Le Siren’s Call c’est, à n’en pas douter, de la musique (voir l’article de Sébastien Cuvelier ci-dessus), mais c’est aussi un festival culturel rassemblant des acteurs locaux et costauds du domaine. Ce « off », comme il semble être ficelé, nous a offert samedi, une myriade de moments étonnants et détonants, comme si en marge des grosses scènes où dansent les « petits bouts de chair », se dessinait un tout autre festival : scénique et spectaculaire, plastique et visuel. Visite guidée.
Love, Death & Polar Bears Catherine Elsen pousse un joli coup de gueule dans son Love, Death & Polar Bears, un one-woman-show taré, drôle et intriguant. Montré par deux fois, au cœur de la Garden Stage, brûlante de soleil (le « jardin Lucien Wercollier », pour les intimes), ce spectacle un brin alternatif, nous mène à interroger le monde et le regard qu’on lui porte, dans un contexte où même les ours polaires n’émeuvent plus la politique mondiale. Entre poésie, karaoké pop, sons électroniques, humour, cris d’animaux et corps désarticulé, Elsen allie des qualités de chansonnière à un usage du corps et de la dramaturgie fidèles à la performance. C’est tout bonnement un régal d’absurde, nickelé d’une réalité qui inquiète furieusement. En reprenant les titres phares de plusieurs générations de groupies, les chanteuses à tue-tête du premier rang, celles qui veulent qu’on les accepte, qu’on les aime, la comédienne donne une critique acerbe du désintérêt incroyable – ou du manque d’intérêt – que nous avons de notre propre sort et plus précisément, ceux de nos mômes. Il y a un sacré coaching à faire, comme elle l’explique avec ironie en amorce de son show, et ce spectacle est déjà en soi une réponse intransigeante. Une prise de parole d’autant plus cinglante dans ce contexte de représentation là, où clairement personne n’est venu avec sa carte de membre de Greenpeace1…
In&Out Les chorégraphes Jennifer Gohier et Grégory Beaumont de chez Corps In Situ et Artezia, nous ont revigoré de leur In&Out spécialement conçu pour les couloirs bordant le jardin intérieur de Neimënster. Tenue par les danseurs Rhiannon Morgan, Georges Maikel Pires Monteiro et le musicien Louis Michel Marion, la performance nous choppe directement à la sortie du monologue d’Elsen. On croise d’abord un contrebassiste, posé dans un des coins du cloître, entre deux photos de Boris Loder, accrochées au mur. Puis, en continuant notre route, deux corps nous font barrages, sans que ça nous déplaise. Nos pas n’ont plus de raison de continuer, le festival semble nous embarquer ailleurs, dans un monde à part où le spectacle vivant occupe, sans contraindre. On s’accoude à un mur, on s’accroupit, on se pousse pour laisser passer l’énorme instrument… On est nous-mêmes corps dansant, occupant les bordures d’une « scène totale » qu’occupent les interprètes. En fait, c’est tout l’objet du groupe d’artistes : travailler à des performances in situ, hors du cadre conventionnel de représentation. Le lieu dit est ainsi magnifié, rendu actif, tandis que les spectateurs, après un léger moment de flottement induit par la gêne de la représentation, trouvent là-dedans une place assez singulière. Sans être « utilisés » – comme dans certains mauvais spectacles qui n’ont pas de meilleures idées – nous sommes tendrement inclus, investis, dans ce moment de danse, sans être bousculés et surtout, forcés d’adopter une « certaine » posture2.
Particles Passé par le festival parisien Circulations en 2018 avec cette même expo, le photographe Boris Loder pose ses valises toutes les vacances à l’abbaye. Installé sur les murs du cloître, jalonnant le fameux jardin, ses photos de sculptures cubiques d’objets du « nonchalant quotidien urbain », relatent en elles-mêmes des paysages tantôt enthousiastes, tantôt infernaux. Ce sont des mondes divers et bariolés, que Boris Loder a enfermés dans des tout petits cubes, pour en faire des photos qui interrogent sur l’idée qu’on se fait d’un lieu, sur les stéréotypes et faux-semblant qui accompagnent tel ou tel panorama. Comme il l’explique savamment, « bien que la série puisse être vue comme une étude de type environnementaliste, l’accent est mis sur son aspect sociogéographique, en ce sens qu’il met au défi les clichés que nous avons de lieux spécifiques »3.
Inside Out Max Dauphin, gosse du street-art à ses débuts et aujourd’hui artiste plasticien associé au collectif luxembourgeois Bamhaus, prend le passé carcéral de l’abbaye comme inspiration, pour offrir cohérence entre ses œuvres et le lieu dans lequel il les montre. Fresque d’exorcisme, l’expo baptisée Inside Out prend la pensée du philosophe Carl Jung pour prophétie, afin de livrer une exploration intérieure de l’humain, ses démons et ceux qui vivent encore dans les murs du lieu d’exposition. Présentés avec beaucoup de mystique, les grands formats qui jonchent les salles voûtées de Neimënster proposent, étrangement, du mouvement à ce lieu qui semble, depuis trop longtemps, figé dans la vieille pierre4.
The End Collective Issue du festival créatif The Open End qui a eu lieu le 8 juin dernier aux Rotondes, ce remake de l’exposition source, montre quelques jolies choses mais souffre cruellement de cohérence dans le commissariat. Enfin, ce n’est sûrement pas le propos, semble-t-il. L’objet est dans la pluralité et la diversité des pratiques, techniques et esthétiques. Aussi, si certaines œuvres touchent, d’autres nous frôlent, certaines ne renvoient que du vent, finalement de bon augure sous ce soleil de plomb et dans cette Agora du festival qui surchauffe.