Juste avant les infos radio, la Spuerkeess passe ce message aux étudiants : étudiants, vous avez besoin d’argent en attendant la décision du Cedies (Centre de documentation et d’information sur l’enseignement supérieur) sur les aides financières pour vos études ? Pas de soucis, nous vous accordons une avance de fonds de 2 500 euros à zéro pour cent ! Renseignements pris, pour avoir droit à cette aide directe, l’étudiant doit seulement être titulaire d’un compte Access Unif à la banque et s’engager à souscrire un prêt études auprès de la BCEE – qui lui permettra de rembourser cette avance jusqu’au 31 décembre de cette année.
La Spuerkeess a bien détecté le principal problème du nouveau système d’aides financières pour études supérieures, entré en vigueur avec sa publication au Mémorial fin juillet, après une course à travers les instances politiques en moins de trois semaines : la mise en place, avec toutes ses inconnues et tous les imprévus, tombe pile poil au moment où les étudiants ont des dépenses importantes à assumer. Frais d’inscription, dépôt de garanties locatives, équipement de son habitation, acquisition de livres... cela se chiffre vite. Pressés d’investir, les étudiants, déjà en perte de repères à ce passage fondamental dans leur cursus, surtout ceux dont les parents n’ont peut-être pas les moyens d’avancer des sommes importantes, sont souvent perdus. « Au Cedies, c’est le bordel. Ils n’arrivent pas à suivre, on n’arrive pas à les joindre si on a une question, résume une étudiante. En fait, personne ne sait vraiment nous aider, on n’est pas informés. » Alors ils se débrouillent. Et les banques, intéressées par ce marché de quelque 8 000 jeunes clients, débordent d’inventivité pour les attirer vers elles.
Sept banques de la place – BCEE, Banque de Luxembourg, ING, Raiffeisen, BGL BNP Paribas, Dexia-Bil et Fortuna – ont signé un contrat avec l’État par lequel elles s’engagent à accorder des prêts à un taux d’intérêt fixe de deux pour cent aux étudiants, l’État se portant garant pour couvrir les taux qui dépasseraient ces deux pour cent. Ce sont elles qui misent prioritairement sur ce marché, leur offrant des packages plus ou moins folkloriques, avec des avantages « loisirs » (tickets de concerts et de cinéma, Night Rider et restaurant à tarif réduit, possibilité de gagner un iPad..., chez BGL BNP Paribas), des aides pratiques comme la garantie locative et des prêts additionnels à ceux garantis par l’État. Ces prêts supplémentaires s’échelonnent de 12 500 à 16 350 euros sur cinq ou six ans, selon la banque, utilisables en tranches annuelles. Là encore, la Spuerkeess décroche le pompon, avec une offre d’un prêt de 30 000 euros sur six ans.
Pour un jeune qui craint devoir manger des pâtes au beurre pendant les prochaines années, la perspective de pouvoir vivre mieux durant ses études est extrêmement attractive, bien sûr. Mais l’hypothèse d’un endettement aussi conséquent dès la sortie des études est inquiétante. Ainsi, un étudiant qui irait jusqu’au deuxième cycle, niveau master ou bac plus cinq, avec une année de retard, donc en six ans, et contractant le prêt des désormais 6 500 euros par an du ministère plus celui de cette banque se retrouverait avec un endettement de 69 000 euros – soit 575 euros (hors intérêts) à rembourser tous les mois durant dix ans... Comment encore envisager épargner pour fonder une famille, acquérir un logement à trente ou quarante ans ?
C’est parce qu’elles craignaient que le Luxembourg ne suive la tendance internationale forçant les jeunes à s’endetter outre mesure pour faire des études que les associations d’étudiants (Acel, Unel) ont publié des communiqués alarmistes après que les premières informations sur la réforme aient filtré, mettant en garde qu’ils risquaient de devoir hypothéquer leur avenir et que « un diplôme universitaire n’est plus une garantie de trouver un emploi ». Une crainte à laquelle François Biltgen (CSV), le ministre de l’Enseignement supérieur, a réagi avec virulence dans une réponse écrite. Avec sa réforme sur le système d’aides financières, le gouvernement voudrait, affirme-t-il, au contraire, éviter un tel surendettement. Certes, les 7 800 euros d’aides maximales de l’ancien système passent désormais à 13 000 euros par an, mais la moitié de cette somme est attribuée en bourse non remboursable – de manière égalitaire, à tous les étudiants qui la demandent.
Et ce, autre changement notable, indépendamment de la situation financière des parents (qui définissait la part d’aide non-remboursable et du prêt dans l’ancien système), mais basé sur le seul budget de l’étudiant, qui serait, se vantaient les partenaires de coalition lors des débats à la Chambre, ainsi enfin considéré comme un jeune adulte responsable, faire des études supérieures devenant un droit pour tous. Désormais donc, tous les étudiants, que les parents soient riches ou pauvres, ont droit à une bourse non-remboursable de 6 500 euros par année d’études. « Ce changement fondamental de paradigme vers une allocation universelle, nous la saluons, en principe, souligne Nico Fehlen, président de l’Unel (Union nationale des étudiants Luxembourg). Mais nous trouvons inacceptable que d’autres personnes, notamment les frontaliers, soient pénalisées pour financer ce système. C’est une tendance politique dangereuse que de diviser au lieu d’unir le population en temps de crise ».
Car les 55 millions d’euros que coûtera le nouveau système en bourses seront couverts par la suppression des allocations familiales pour enfants au-delà de 18 ans – soit 74 millions d’euros d’économies par an (voir d’Land 35/10). Or, même si les familles de travailleurs frontaliers sont le plus lourdement pénalisées par cette suppression des allocations familiales (elles seraient quelque 6 000 dans ce cas), parce qu’elles ne profitent d’aucune compensation de cette perte, elles touchent aussi les familles luxembourgeoises aux revenus modestes et qui ont plusieurs enfants à charge. La Chambre des salariés a calculé qu’une famille avec trois enfants à l’université et un revenu imposable de 40 000 euros perdait jusqu’à 5 800 euros par rapport à l’ancien système de bourses et d’allocations familiales.
Cela fait une perte énorme dans le budget disponible d’un foyer, au moment où les dépenses sont au plus haut. Ce sont eux qui risquent alors de devoir contracter ces prêts bancaires supplémentaires pour joindre les deux bouts, alors que les enfants de familles aisées qui commencent leurs études au Luxem-bourg seraient tentés de s’acheter une voiture ou de s’accorder de petits luxes avec cette bourse à laquelle ils ont désormais droit.
Le ministre François Biltgen devait donner une conférence de presse sur la rentrée académique ce mercredi, 8 septembre, où on s’attendait à une première évaluation de la mise en place du système et une réponse aux critiques formulées. Elle a été annulée en dernière minute, pour raisons de santé (le ministre a subi une intervention chirurgicale le mois passé et est en convalescence ; il avait néanmoins assisté au tournage de Bady Minck mardi). En parallèle, le Cedies a annulé toute communication avec la presse, estimant soudain manquer de données. « Nous n’avons pas encore beaucoup d’informations sur les premières expériences avec ce nouveau système, » indique aussi Laurent Eicher de l’Acel (Association des cercles d’étudiants luxembourgeois). La grande réunion annuelle de tous les étudiants, la Réel, qui se tiendra à la mi-octobre à Zurich, doit être l’occasion d’un échange de vues entre les étudiants et le ministre. « Mais, ajoute Laurent Eicher, nous ne sommes pas encore vraiment satisfaits. »
Le Cedies a commencé à traiter les demandes selon le nouveau système le 2 août, les étudiants ont encore jusqu’au 31 octobre pour introduire une demande d’aide. Le traitement d’un dossier prend en règle générale plus d’un mois actuellement. Ce n’est que vers la fin de l’année de calendrier que l’on y verra plus clair ; lors du vote de la loi, les députés ont d’ailleurs demandé par une motion une évaluation avant la fin de l’année académique. « Mais il sera impossible de faire une bonne évaluation, parce que les données manquent tout simplement, estime Nico Fehlen. Il en a toujours été ainsi au Luxembourg : on manque de données statistiques fiables qu’on puisse exploiter. Il faut forcément y voir une volonté politique ! »