Réforme des aides pour étudiants et des allocations familiales

Mayonnaise

d'Lëtzebuerger Land du 01.07.2010

« Le Conseil d’État ne peut se défaire de l’impression qu’il existe un décalage entre le discours prônant une politique sociale sélective, c’est-à-dire une politique qui s’adresserait prioritairement aux besoins des couches les moins aisées de la population, et la réalité de la politique sociale. » Le jugement est cassant, mais il n’est pas certain pour autant qu’il impressionnera le gouvernement. Car il faut faire vite, le ministre François Biltgen (CSV) voudrait que la nouvelle loi entre en vigueur le 1er octobre prochain. Les conseillers ont donc obéi à la volonté du ministre François Biltgen et ont pris à peine onze jours pour aviser son projet de loi sur la réforme des aides financières pour étudiants et des allocations familiales. La Commission de l’Enseignement supérieur, elle, a ouvert ses travaux jeudi.

Or, ils doivent travailler dans le vide. Aucune fiche financière ni estimation sur l’impact financier de cette mesure n’ont été transmises avec le texte du projet de loi, alors que le gouvernement s’attache à comprimer les déficits publics. C’est la raison pour laquelle les allocations familiales s’arrêteront à 18 ans, sauf pour les élèves de l’enseignement secondaire. Le boni pour enfants continuera à être payé jusqu’à 27 ans et sera versé aux étudiants. Ils pourront aussi obtenir des aides financières – bourses et prêts à taux réduit – jusqu’à 16 700 euros par an.

Il faut consulter les estimations du Statec et de la Banque centrale pour y voir plus clair. Dans sa Note de conjoncture 1/2010, le Service des statistiques estime que la baisse des allocations familiales renflouera les caisses de 44,1 millions par an – c’est la plus grosse part des 85 millions d’économies en matière de réductions des allocations familiales. Dans son rapport annuel de 2009, la BCL évalue l’épargne à 44 millions d’euros pour 2011 et 46 millions en 2012 par rapport au scénario de base à politique inchangée. Interrogé sur le cursus des jeunes par le député socialiste Ben Fayot, le ministre Biltgen répond qu’il n’existe pas d’études permettant de suivre le parcours académique des étudiants luxembourgeois. Il est seulement au courant des données qui résultent du financement de l’État selon lequel 25 pour cent des bénéficiaires des aides sont âgés de 18 à 21 ans et 62 pour cent ont entre 21 et 25 ans. « On peut donc en conclure que la majorité de ces étudiants effectuent leur parcours académique, dont la durée moyenne est de cinq ans (bachelor et master), endéans des délais raisonnables », écrit-il.

Il n’existe aucune évaluation concernant l’impact des mesures annoncées sur le manque à gagner pour les ménages. Les syndicats OGBL et LCGB craignent une dégradation financière considérable, surtout pour les ménages à faible revenu – alors que la situation s’améliorera pour les étudiants issus de familles aisées. Dans une prise de communication commune, les syndicats écrivent que « dans de nombreux cas de figure, notamment donc dans celui de ménages à faible revenu comprenant plusieurs enfants, le nouveau système de bourse pourrait ne pas compenser la perte financière résultant de la suppression des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire afférente, mais au contraire constituer une dégradation financière sensible. » Il n’y aura donc pas que les familles des frontaliers qui devront en pâtir. En outre, le nouveau système ne motivera pas les étudiants à quitter l’hôtel mamma, jugent les syndicats. Au contraire, ceux qui ne vivent plus dans le cocon familial n’auront plus droit au boni pour enfants. Une nouvelle inégalité de traitement, selon les deux syndicats qui fustigent « les auteurs du projet qui contredisent ainsi leur propre logique, celle de promouvoir l’indépendance des jeunes volontaires et étudiants ». Cette prise de position est relayée par la Gauche qui parle de ségrégation sociale. Suivre des études deviendra le privilège des nantis, écrit le parti mercredi dans une prise de position.

C’est une question d’équité, martèle aussi le Conseil d’État. Qu’en est-il des étudiants exclus de ce système comme les personnes qui suivent une formation sous contrat d’apprentissage ou les personnes adultes actives qui suivent une formation supérieure ? Et de mettre en doute le changement de méthode : « Le Conseil d’État éprouve de sérieuses hésitations sur la possibilité d’apprécier équitablement la situation financière et sociale de l’étudiant, si l’on fait abstraction des revenus de ses parents. Admettrait-on qu’un étudiant issu d’une famille aisée n’a pas de ressources propres, alors que l’étudiant travaillant parallèlement à ses études dispose de revenus personnels ? »

La question est pertinente. Car même s’il arrive que des parents à revenu élevé soient pingres avec leurs jeunes, ceux-ci pouvaient jusqu’à présent se faire verser les allocations familiales sur leur propre compte. Ce sera fini après la réforme.

De façon générale, le Conseil d’État regrette aussi « que les décisions en matière de compensation des charges familiales, au sens large, prévoyant des solutions innovantes (chèques service, boni pour enfants, aides financières d’études) soient souvent prises sous le feu de l’actualité, de sorte que l’on a de plus en plus de mal à reconnaître l’architecture d’ensemble ». On aurait plutôt tendance à parler de patouillis.

anne heniqui
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