Il fallait oser dans le contexte actuel et ils l’ont fait : les représentants du patronat réclament un petit geste de la part du gouvernement pour qu’il soutienne les investissements que le secteur privé pourrait être amené à faire pour assurer la sécurité des infrastructures critiques. Et se conformer ainsi aux exigences qui sont inscrites dans le projet de loi relatif à la protection nationale. Le secteur privé (grandes banques commerciales, opérateurs énergétiques, télécommunications, etc) est autant concerné que le secteur public. La Chambre de commerce vient d’aviser le texte qui structurera les mécanismes de protection nationale (et leur donneront une base légale) sous la coordination du Haut commissariat à la protection nationale, dirigé depuis peu par un non-militaire, l’ex-patron de Cargolux, Frank Reimen. L’organisation patronale soutient grosso modo le projet, bien qu’elle lui reproche de ne pas être assez explicite sur l’implication du secteur privé dans la prévention et la gestion des risques en cas de crise majeure. La question de la représentation se pose notamment et, s’il devait être acquis que les opérateurs aient leur mot à dire dans le dispositif, on ignore sous quel statut (celui d’observateur semble être un minimum). Compte tenu de l’implication des opérateurs privés dans l’économie, il semble légitime pour eux d’avoir accès à des « informations qualifiées » leur permettant, le cas échéant, d’appuyer sur le bouton de secours et de déclencher, à bon escient et à la bonne dose, les plans de continuité adaptés à la situation de crise. « Nous n’avons pas besoin de connaître le détail des informations qualifiées, mais il serait important que nous sachions, avant de déclencher un plan de continuité du business, si les feux sont au vert, à l’orange ou au rouge », explique Marc Hemmerling, membre du comité de direction de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL), très impliqué dans les questions de sécurité et de gestion de crise.
La réforme de la protection nationale va obliger les propriétaires et les opérateurs d’infrastructures critiques (la liste est encore à dresser et sa diffusion publique ou non à définir) à financer avec leurs deniers « les mesures permanentes ou passagères » pour prévenir le risque d’une réduction ou d’une discontinuité de la disponibilité de fournitures ou de services indispensable à la sauvegarde des intérêts vitaux du pays. « Les propriétaires et les opérateurs pourraient être amenés à investir de façon importante pour s’aligner sur les exigences voulues par l’État (…) pour assurer le bon fonctionnement de leurs infrastructures dans des situations critiques exceptionnelles », souligne l’avis de la Chambre de commerce en proposant « une réflexion sur un éventuel accompagnement étatique ». Quelque chose d’assez neutre, comme un système de garantie d’emprunts pour travaux d’aménagement importants et d’intérêt national, « qui n’alourdirait a priori pas le budget de l’État en ces temps de crise ». Les patrons peuvent toujours demander.
Ça ne ressort pas du projet de loi, mais il est clair que la place financière peut être considérée à elle seule comme « une infrastructure critique par rapport à l’économie nationale », souligne la Chambre de commerce, en reprenant à son compte les arguments développés par l’ABBL. La continuité du business est un paramètre que le secteur financier a intégré depuis plusieurs années dans son programme d’action, la Banque centrale du Luxembourg et la Commission de surveillance du secteur financier lui ayant déjà imposé des lignes de conduite précises. La question est de savoir si les exigences des régulateurs ne feront pas double emploi avec celles, nouvelles, du Haut commissariat à la protection nationale et si ce dernier ne prendra pas trop d’ascendance. Les dispositions du texte lui octroient un droit de regard et presque d’inquisition dans les plans de crise du secteur privé qui n’est pas du goût des banquiers, toujours prompts à défendre le pré carré de leur secret professionnel et le respect de la vie privée.
Les banquiers, et leur argument n’apparaît pas dans l’avis de la Chambre de commerce, souhaiteraient également que des standards soient posés dans la loi sur la protection nationale pour tester les capacités psychologiques de résistance et les compétences de ceux qui seront en charge de la coordination de la gestion de crise. Un stress test que l’actuel occupant du HCPN devrait passer pour légitimer sa position.
Michèle Sinner
Catégories: Industrie, Politique économique
Édition: 19.10.2012