Affaire Gaydamak

Des preuves

d'Lëtzebuerger Land du 28.09.2012

L’homme d’affaires israélien Arcadi Gaydamak, dont le nom fut longtemps associé à celui de l’ancien ministre français de l’Intérieur, Charles Pasqua, ses barbouzeries et la Françafrique, attend un miracle de la justice luxembourgeoise. Ou mieux encore une révolution du droit bancaire luxembourgeois, jusqu’ici peu favorable aux bénéficiaires économiques, ceux qui se cachent souvent derrière des structures opaques afin de rester discrets. « J’attends de la justice luxembourgeoise qu’elle sanctionne ceux qui m’ont spolié », résume Arcadi Gaydamak dans un entretien téléphonique au Land. En cause donc, un montant que l’intéressé estime à 600 millions d’euros, placés initialement dans trois fonds d’investissement auprès de deux banques de la place, toutes deux disparues depuis lors : IBL/Sella et Alcor Bank (d'Land du 13.04.2012). La premier établissement a abandonné sa licence bancaire et opère désormais sous le nom de Miret et la seconde est en liquidation. On trouve derrière ces fonds trois autres sociétés (Iksan Ltd, Dresben Ltd et Castrol Overseas Ltd) relevant du droit des Îles vierges britanniques. Gaydamak s’en revendique l’actionnaire unique. Ce décor a servi à cacher son identité lorsqu’il était aux prises avec la justice française dans le cadre de l’enquête sur une vente d’armes à Angola, dans laquelle la justice française a définitivement blanchi l’homme d’affaires. Les fonds furent identifiés au Luxembourg au début des années 2000. D’abord gelés sur instruction du Parquet économique luxembourgeois, ils furent débloqués grâce à un stratagème ayant fait intervenir une fiduciaire luxembourgeoise, Gestman et deux de ses responsables, les époux Joelle Mamane et Guy Boukobza, personnes de confiance de Gaydamak au Luxembourg. L’origine des fonds venait d’une fondation religieuse, affirme-t-on. À moitié enfumé par cette théorie, le Parquet débloqua les fonds qui prirent la direction de Chypre et allèrent en partie dans l’obscure Fondacion Dorset, laquelle alimenta à son tour la Fondation Matanel au Luxembourg. Par un jeu de signatures et de procurations pour cacher son identité, Gaydamak assure avoir été au final dépossédé de ses fonds et accuse le couple Boukobza/Mamane de l’avoir volé, ce que les intéressés démentent catégoriquement.
La quête de l’homme d’affaires israélien pour récupérer son argent a démarré lundi devant le juge des référés Marc Hobscheit : son avocat, en assignant d’un côté personnellement Joelle Mamane et Guy Boukobza et de l’autre les anciennes banques demande à la justice de les obliger à communiquer des pièces et des mouvements financiers qui permettraient de prouver qu’il n’y a qu’un seul « propriétaire » des fonds, Arkadi Gaydamak. Comment d’ailleurs, a fait plaider l’intéressé, ces centaines de millions d’euros pourraient appartenir à des dirigeants  d’une petite fiduciaire luxembourgeoise ?
En droit, les espoirs de Gaydamak d’obtenir la levée du secret bancaire pourraient être rapidement douchés. Le juge des référés se prononcera le 2 octobre sur la demande de communication des documents. Les banques ne s’y opposent pas par principe, mais, par souci de sécurité juridique, ne sont d’accord à fournir les pièces qu’aux personnes habilitées. Or, Gaydamak n’est jamais apparu personnellement, de près ou de loin, dans les montages, et son nom n’apparaît nulle part dans les documents contractuels avec les banques, même si, de fait, il est le bénéficiaire économique des fonds. En droit, à supposer la qualité de bénéficiaire économique établie, il ne suffit pas de se prévaloir d’une telle qualité pour fonder une demande de levée du secret bancaire, ont argumenté les avocats des banques. La jurisprudence, en bétonnant encore le secret professionnel contre les attaques de toutes parts, ne laisse d’ailleurs aucun doute à ce sujet : ni le droit des sociétés, ni le droit contractuel luxembourgeois ne connaissant la notion de bénéficiaire économique. C’est d’ailleurs le juge Thierry Hoscheit (abondamment cité par les avocats des banques) qui l’a écrit lui-même en commentant la jurisprudence luxembourgeoise : « L’identification du bénéficiaire économique telle que prévue par la législation bancaire et fiscale luxembourgeoise n’entend pas créer un lien contractuel entre le professionnel du secteur financier et le bénéficiaire économique en question, mais existe en vue de satisfaire des considérations fiscales, pénales et prudentielles ». En bref : la justice, comme elle l’a d’ailleurs fait en 2005, a beau reconnaître que Gaydamak est bel et bien le bénéficiaire économique des fonds et une des banques aller le voir jusqu’en Israël, il y a un an, pour lui faire signer une déclaration dans ce sens, les établissements n’en continuent pas moins de claironner que le secret bancaire demeure opposable au bénéficiaire économique. Pour contourner cette difficulté, l’avocat de Gaydamak a plaidé la fictivité des sociétés qui ont servi au montage pour dissimuler à l’origine l’identité de « l’actionnaire ». Rien ne dit cependant, à moins de faire une petite révolution dans le droit, que le juge morde à cet hameçon.

Véronique Poujol
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