À Bruxelles, dans le quartier de Schaerbeek, chez les Flamands. Au Kriekelaar très précisément – un centre culturel citadin avec tout ce qu’il faut pour en faire une scène de théâtre de taille intéressante. Une compagnie collective, on va dire, belgo-luxembourgeoise, Vivarium Tremens, avec de comédiens de taille et de calibre différents. Un repère pour nous ici, le Luxembourgeois Luc Schiltz. Celui qui, depuis plus de deux ans, campe avec grande force les plateaux et les projets les plus intrigants qu’on puisse s’imaginer au niveau de notre paysage théâtral. Et puis il y a un complice de longue date, François de Saint-Georges et d’autres talents du théâtre pur, mais aussi des gens issus du milieu musical, ainsi qu’un funambule, une danseuse. Voici à peu près le brouillon qu’il faudra avoir en tête quand Les langues étrangères viendront nous déranger poétiquement sur la scène du Grand Théâtre du Luxembourg, les 8 et 11 décembre prochains.
L’histoire qu’on peut dévoiler, c’est celle d’une compositrice d’un certain âge, Diane Arenski (Irina Vavilova) et de sa dernière œuvre musicale qu’elle souhaite voir interprétée par un quatuor (piano, violon, violoncelle et flûte traversière) plus un chanteur arabe au porte-voix démesuré. Une nouvelle œuvre musicale, un concert en préparation et des interrogations sur le processus de création... et puis l’âge aussi, la séduction, la peur de mourir.
La compagnie Vivarium Tremens en est à sa deuxième grande pièce « avec peu de moyens ». La première création ayant été Phasme(s) en 2010-2011, avec entre autres, un autre Belgo-luxembourgeois de taille, à savoir Jean-François Wolff. La compagnie se veut collective, mais pour ce coup-ci, elle confie les rênes pour le texte et la mise en scène à François de Saint-Georges. Vous l’avez peut-être déjà croisé lors de visites guidées un peu décalées, au printemps dernier, au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, aux côtés de son compère, Luc Schiltz. Et si tel est le cas, vous aurez saisi la poésie du travail de ces jeunes créateurs de théâtre. Ils sont clairement du côté de ce théâtre de précision, de réflexion, d’inventivité, mais ils touchent également encore à cet univers de saltimbanques, de circassiens et de funambules. On sent un théâtre jeune, flamboyant d’inventivité, mais parfois un peu imprécis. Tant mieux se dit-on, ils ne peuvent qu’évoluer.
Dans Les langues étrangères, on voit évoluer des personnages déconnectés, aussi bien de la réalité de l’intrigue que celle qui se veut évolutive dans leurs relations. Il est rafraîchissant aussi de voir un spectacle truffé de tous les moyens possibles de communiquer sur scène (peut être un peu trop) : interprétation théâtrale par des comédiens-musiciens (c’est ici que se trouvent les légères imprécisions), interprétation musicale, danse, funambulisme. Il y a là un peu de ce théâtre berlinois, de la Schaubühne en puissance, mais il y a là surtout la poésie du théâtre belge, peut-être même luxembourgeois.
Dans un vaste décor presque cinématographique, un parfait travail scénographique, réalisé par Valérie Perin, on se voit proposer une ambiance proche du Melancholia de Lars von Trier, bien soulignée par une imposante toile peinte qui épouse les différentes ambiances lumineuses et fait circuler les différents personnages à travers des moments indéfinis. Un petit bémol pour les costumes qui ne sont pas assez aboutis, c’est comme s’ils avaient été choisis un peu au hasard, peut-être aussi pas assez ajustés. La composition musicale d’Emmanuel Baily, quant à elle, est parfaite car elle aussi nous plonge dans un univers presque rituel et mystique et la partie finale, consacrée au concert, nous déconnecte de ce qui s’est créé durant les deux heures précédentes. Peut-être est-ce une plus-value pour la création et pour ce que l’on peut en tirer individuellement.
Le fait est qu’il y a ici une intrigue accentuée par la finesse d’un très bon texte avec de belles phrases qui continuent à résonner après : « je suis une petite bourgeoise déprimée avec de belles dents »... Il y a un funambule aussi, dont on admire le courage, forcément (maintenant, après réflexion, il s’agit d’un moment inouï, telle la chute stratosphérique d’un Félix Baumgartner). Et puis, il y une danseuse qui s’inscrit dans une subtile expression corporelle, comme un écho à tous les différents états d’âmes de ces personnages énigmatiques qui évoluent dans ce décor intérieur-extérieur. Des gens qui ne se présentent pas eux-mêmes, mais qui interagissent, tels des inconnus face aux mêmes questionnements, aux soucis analogues, sans doute universels. Ceci offre un univers résolument poétique, néanmoins bien ancré dans nos codes bien à nous.
Les langues étrangères est un spectacle total, une sorte de Gesamtkunstwerk, osons le rapprochement. Et ici, zéro arrogance, une belle et vaste vision de ce qui crée les relations et les dysfonctionnements entre des gens qui viennent de partout et de nulle part, qui parlent des langues étrangères et qui peuvent, s’ils le souhaitent vraiment, se comprendre. Une pièce de théâtre avec quelques imprécisions (et alors ?), auxquelles on ne veut pas tenir rigueur, parce que cette compagnie-là est un groupe de gens qui acceptent leur évolution, leur progression, parce que ce n’est pas du théâtre figé. Allez oui, Les langues étrangères est une bouffée d’inventivité.
Claude Reiles
Kategorien: Theater und Tanz
Ausgabe: 05.10.2012