Falk Richter n’est pas un inconnu au Luxembourg. Déjà en 2010, Kult a été joué au théâtre des Casemates sous la régie d’Anne Simon. Trust, une pièce datée de 2009, qui a fêté sa première à la Schaubühne de Berlin avant de triompher en grande pompe à Avignon la même année, fait son entrée trois ans plus tard au théâtre du Centaure. Trois jeunes théâtreux issus du Max-Reinhardt Seminar à Vienne s’y sont attaqués : Jens Bluhm met en scène l’Autrichien Dominik Raneburger et la Luxembourgeoise Anouk Wagener qui incarnent tous les rôles joués par non moins de cinq acteurs dans la mise en scène originale de Richter.
Anouk Wagener est par exemple à la fois la fille qui a été oubliée par ses parents dans une chambre d’hôtel à Shanghai depuis une dizaine d’années et la femme d’un milliardaire qui offre les voitures de luxe de son mari à ses amants tout en vendant son appartement, le métro et, pourquoi pas, toute la ville, afin de se payer des vacances avec ses amants dans le but de redécouvrir son amour pour son mari.
Que la fraîcheur et la vivacité de cette pièce, composée de multiples textes aux rôles toujours changeants qui amène rapidement à une explosion de la dramaturgie classique pour créer un patchwork où le public doit faire son travail de reconstitution, aient fascinés ces trois passionnés du théâtre n’est pas surprenant. De par son sujet, Trust – confiance ou produit financier ? – est aussi toujours d’actualité, car la crise financière a des tentacules assez longues pour que ses répercussions se fassent sentir encore en 2012 et bien au-delà.
Comment parler de cette crise financière au théâtre et comment faire du théâtre politiquement engagé aujourd’hui sans pour autant perdre de vue les corps humains et leurs voix qui en sont sa spécificité ? La réponse de Falk Richter est à la fois rapide et directe, complexe et compliquée, déconstruite et esquissée, et par conséquent surprenante dans sa sincérité et son autodérision. La constante qui en ressurgit après la ribambelle de textes qui déferlent sur le public tel un bombardement aérien, est la mise en branle de l’amour face à la survie éternelle de l’argent dans un monde où le mot confiance est banni du dictionnaire. Que devient la confiance au sein d’un couple si la corruption est le maître mot au sein de notre turbo-capitalisme ?
Dans sa mise en scène pour la Schaubühne, les textes de Richter ont été redoublés et interprétés par des corps dansants sous la direction de la chorégraphe néerlandaise Anouk van Dijk. La structure et l’agencement des différents textes sont effectivement comparables à une danse improvisée sur un thème musical, avec des répétitions de motifs récurrents sous une forme différente à chaque fois. Il n’y a donc pas un couple, mais des couples, joués dans la mise en scène de Bluhm par seulement deux acteurs, ce qui peut prêter à confusion au début, mais ce qui s’avère être une adaptation minimaliste et signifiante de l’ambition grandiloquente de Richter. Car la concentration de ces couples en un seul amène le public à se reconnaître dans tous les traits de caractère excentriques et caricaturaux et à les percevoir comme différentes faces d’une seule médaille.
Quant à la crise, elle s’infiltre à tous les niveaux de la même manière en semant le doute par la transformation des relations humaines en marchandise. Acheter et vendre correspond progressivement à s’engager et rompre, avoir une discussion avec sa/son partenaire est quantifiée en temps non-travaillé et dépensé inutilement.
Le regret qu’on peut avoir face à la mise en scène de Jens Bluhm est l’ambition de vouloir transposer le travail d’Anouk van Dijk sur la modeste scène du Centaure par des interludes musicaux trop nombreux et d’une qualité médiocre. Ne confondons pas le talent des danseurs avec celui des comédiens. Cette mise en scène puise sa force dans son minimalisme – deux corps, deux voix et des textes – et devrait interroger davantage la dramaturgie contemporaine de Richter dans ce qu’elle a de plus vulnérable et superficiel. Bien que pointant un sujet aussi capital que la crise financière sans jamais arriver à l’assimiler vraiment vu que la distance nécessaire n’est pas au rendez-vous est un reproche qu’on pourrait faire à Richter. Dommage que Bluhm ne soit pas allé jusqu’au bout, en laissant de côté les artifices musicaux et dansés que Richter avait imaginés, car le parti pris de creuser davantage le texte à travers son couple de comédiens fût pertinent.
josée hansen
Kategorien: Theater und Tanz
Ausgabe: 07.09.2012