Ce samedi 20 octobre, Ólafur Arnalds a joué à la Philharmonie. Enfin. Après son passage à la Rockhal, en 2013 déjà, nous avions fait part ici-même de notre incompréhension qu’il ne se soit pas encore produit dans la Mecque de la musique classique à Luxembourg. Il aura fallu attendre cinq ans de plus et une signature sur une major (Mercury KX, branche musique classique d’Universal) pour revoir au Grand-Duché ce génie islandais, musicien émérite aux mélodies intimistes et mélancoliques. Mais même si pour beaucoup d’autochtones Ólafur Arnalds est toujours une découverte, plus de dix ans après ses débuts, ce concert ne tombait-il pas un peu trop tard ?
Le sentiment qui nous habite après sa prestation de samedi est un peu mitigé. D’un côté, on aime à s’imaginer dans la tête de ceux qui découvrirent l’artiste lors de ce concert, ceux là-même qui ont eu un peu de mal à taper son nom dans Spotify le lendemain, à l’heure de piocher une musique d’ambiance pour le dîner. Une bonne moitié de salle à vue de nez, pas trop au fait de la discographie du gaillard, du style à n’avoir aucune idée du disque à acheter au stand merchandising. Déjà qu’il n’y a quasiment que des vinyles.
D’un autre côté, les fans de la première heure doivent se dire qu’on a déjà connu le blond islandais plus original, plus émotif, plus brut. À certains moments du concert, on ne pouvait s’empêcher de penser que ces deux communautés de spectateurs auraient pris une claque monumentale s’il s’était produit au même endroit il y a six ou sept ans. Ses premiers disques (notamment Eulogy for evolution, Dyad 1909 et …and they have escaped the weight of darkness) sont autant de chefs-d’œuvre magnifiés en live, dont on eut deux aperçus ce samedi, lorsque Pètur Björnsson joua le splendide 3326 en solo violon, ou quand le sextet (piano, violons, violoncelle, batterie) interpréta 3055, un morceau très rarement joué en public lors des dernières tournées.
Malgré ces réserves peut être un poil capillotractées, l’artiste reste suffisamment prolixe et inventif pour générer une certaine excitation. Et cette fois l’évolution d’Ólafur Arnalds n’est pas forcément dans le style ou le choix des morceaux (tout comme lors de son passage à la Rockhal en 2013, il a par exemple joué en rappel Lag fyrir ömmu, chanson dédiée à sa grand-mère), mais se situe plutôt du côté de la technologie. Pour ce nouvel album Re:Member, il a en effet co-développé un logiciel musical appelé Stratus, lui permettant de générer des boucles de piano sur base des informations Midi provenant de son piano principal (équipé d’une Moog Piano Bar). Sur scène, cela se traduit par deux pianos droits, un de chaque côté, jouant tout seuls, comme si deux musiciens invisibles y étaient assis. Le tout est commandé en direct par l’artiste depuis son piano à queue. C’est extrêmement innovant et assez bluffant visuellement, les pianos droits ouverts offrant leurs entrailles mouvantes au public (dont la moitié citée plus haut n’a peut-être pas compris le stratagème).
C’est ce dernier album Re:Member qui fut majoritairement au centre du concert. Et si l’innovation technologique est bien là, on a l’impression qu’Ólafur Arnalds, malgré un voyage récent autour du monde, patine un peu au niveau de l’inspiration musicale. Entre minimalisme dépouillé et instrumentation à base de cordes très symphoniques et de bidouillages électroniques, on ne perçoit pas de renouvellement évident dans sa musique. Plutôt une progression polie venant de ce garçon délicat et réservé, s’éloignant un peu du lyrisme sombre des débuts. On aimerait parfois que son passé de batteur d’un groupe de death metal (sobrement baptisé Fighting Shit) se réveille et vienne le hanter pour voir ce dont ses tripes sont capables. D’ici là, on continuera à se passer ses disques en boucle. Sébastien Cuvelier