En juillet dernier, la presse autochtone annonçait timidement l’arrivée des Francofolies au Grand-Duché pour cinq années. Les Francofolies, fondées en 1985, se sont exportées à travers le monde et l’idée de les faire venir au Luxembourg a naturellement germé dans la tête de Jean-Serge Kuhn. Originairement, le célèbre festival de musique francophone était exclusivement basé à la Rochelle, en France. Depuis, quelques filiales se sont implantées à l’étranger, notamment en Belgique et au Québec. La maison mère continue à voir son affluence grandir. Pour preuve, plus de 150 000 spectateurs s’y sont pressés l’an dernier. Ceci étant précisé, le choix du Grand-Duché coulait de source. Nul doute qu’il existe, au sein de ce petit pays, en partie francophone, un créneau pour ce genre d’évènement culturel. D’autant plus que depuis la disparition du feu Rock-A-Field, il y manque cruellement un festival de musique généraliste digne de ce nom qui serait capable de rivaliser avec ses homologues voisins.
La création des Francofolies du Luxembourg était donc, sur le papier du moins, une idée pertinente. Le lieu choisi ? Esch-sur-Alzette, future capitale européenne de la culture. Pour cette première année, les organisateurs de l’heureux évènement ont décidé de lancer une courte édition warm up, c’est-à-dire une sorte de tour de chauffe pour prendre la température du public. La programmation ? Julien Clerc au théâtre d’Esch, Shaka Ponk à la Rockhal et enfin, la cerise sur le gâteau, un open stage au centre de la ville avec plusieurs formations. Mais trêve de digressions. Ce warm up n’a pas été à la hauteur des attentes. Les étoiles ne se sont pas alignées, et les imprévus se sont multipliés. Julien Clerc était vraisemblablement souffrant, la seconde soirée a été reportée et la troisième, totalement éclipsée par la Escher Kulturlaf. La sincérité et la motivation des organisateurs n’ont visiblement pas suffi à éviter le fiasco. L’auteur de ces lignes tient d’abord à rappeler qu’il n’a pas l’habitude de tirer sur une ambulance, et encore moins lorsqu’elle celle-ci peine à démarrer. Retour sur cette bien triste avant-première édition.
Quelques jours avant le lancement des hostilités, mardi 4 septembre, la nouvelle tombe donc et met à mal les plans prévus. La formation Shaka Ponk, véritable tête d’affiche de cette édition, reporte sa venue à mars 2019. Les raisons sont malheureuses et relatives à l’état de santé de Frah, le chanteur du groupe. Ce dernier est un grand adepte notoire des plongeons dans la foule, véritable expert du slam, il a récemment tenté celui de trop et s’est blessé aux cervicales. Les premières parties Versus You et Mat Bastard sont elles aussi reportées par ricochet. Et voilà, que la soirée qui avait le plus de potentiel est enterrée, pour les six prochains mois du moins. Qu’à cela ne tienne, le staff affiche un optimisme à toute épreuve car ces choses arrivent. Les amateurs de jazz aiment à citer une célèbre formule utilisée par Jean Cocteau. Celui-ci avait qualifié le jeu d’un orchestre de jazz de « catastrophe apprivoisée ». Cette image correspond tout aussi bien à l’organisation d’un évènement comme un festival qui s’avère souvent être un véritable parcours du combattant tant les imprévus sont légion. Il n’est pas donné à tous d’apprivoiser la catastrophe ou plutôt de la dompter dans le cas des Francofolies.
Le warm up est lancé le jeudi 6 septembre. Julien Clerc est souffrant et sa voix est diminuée comme l’ont rapporté plusieurs journaux. À quelques kilomètres de là, la Rockhal affiche complet avec la présence de Thirty Seconds to Mars, formation musicale de Jared Leto. Le choc générationnel est bien présent et Belval remporte le duel. Le lendemain, le warm up est à l’arrêt et le samedi 8 l’open stage est lancé dans une indifférence généralisée. Vers quinze heures, la place de l’Hôtel de ville est quasiment déserte malgré les moyens déployés, assez impressionnants, il faut l’admette. Une grande scène dévore une partie de la place. Deux écrans géants affichent la programmation et un stand de bières et quelques food trucks font face à l’estrade. Chose déterminante, le même jour est programmé le Sudstroum Escher Kulturlaf, course culturelle à travers la ville. La concurrence était inévitable et la cohabitation, incompatible. En milieu d’après-midi le premier artiste monte sur scène. Il s’agit de Didier Sustrac. Assis sur un tabouret, le chanteur guitariste conte ses voyages au Brésil et à Madagascar. Quelques badauds s’arrêtent un instant.
Après lui c’est George Goerens qui présente son projet solo Bartleby Delicate tandis que les plusieurs milliers de coureurs commencent à remonter la zone piétonne. La ville est bloquée et les piétons encouragent les participants, laissant la place de l’Hôtel de ville à l’abandon. La musique pop-folk qui en émane est d’ailleurs couverte par celle d’une fanfare installée à cent mètres de là, qui interprète les plus célèbres morceaux d’Abba. Les coureurs et les spectateurs sont ravis.
Plus d’une heure durant, la grande scène est vide. DJ Kirsty Sutherland arrive avec 40 minutes de retard, la faute aux bouchons. Elle lance alors vers dix-neuf heures un set clubbing sur une place encore et toujours désertique. Les personnes installées en terrasse s’en vont petit à petit. Plus tard, les membres du Southern Caravan Breath assurent un show rythmé et efficace d’indie rock à l’anglaise. La bonne musique est au rendez-vous, là n’est pas le problème. La soirée se termine sur un show laconique de la formation luxembourgeoise Seed to Tree. Le pic de fréquentation est atteint. Une centaine de personnes. Pendant ce temps, la soirée bat son plein à Belval, ce soi-disant « non-lieu de culture ». On aura beau retourner les choses dans tous les sens, le constat sera le même, définitif et brutal. Tout a cafouillé.