Une loi pour les assureurs ou pour les consommateurs ? Officiellement, la directive sur les fonds propres des entreprises d’assurances, dite Solvabilité 2, dont on n’est pas certain de la date d’entrée en vigueur tant le dossier est sensible, a été écrite pour protéger les seconds en imposant aux premiers des règles de reporting et des exigences financières censées prémunir leurs clients contre les risques de défaillance et restaurer leur confiance dans les produits financiers. Pour préparer le terrain de la transposition au Luxembourg d’un texte qui va profondément changer les règles du jeu pour les assureurs, le régulateur du secteur a voulu encadrer, en marge des assureurs eux-mêmes, tous les intermédiaires gravitant autour de ce secteur. Ils seront bientôt « enfermés » dans le statut réglementé de professionnel du secteur de l’assurance (PSA), à l’instar de ce qui existe déjà dans le secteur financier (Land du 3.02.2012). Il s’agit surtout d’une revendication du secteur des captives d’assurances. Le Commissariat aux assurances (CAA) a obtenu en janvier le feu vert du gouvernement à la réorganisation des intermédiaires. Le projet de loi, concocté en concertation avec l’Association des compagnies d’assurances, laquelle ne peut que se réjouir de dispositions autorisant les entreprises à externaliser de nombreuses fonctions et alléger leurs coûts de fonctionnement, donne lieu à un enchaînement de réactions épidermiques. La grosse poussée d’urticaire vient des courtiers en assurances. Leur hostilité pourrait amener les autorités à revoir leur copie. Le Conseil d’État, dont l’avis est attendu, pourrait aussi contribuer à mettre un sérieux bémol au texte.
« Victor Rod, le directeur du Commissariat aux assurances, a raison de vouloir réglementer les intermédiaires d’assurance, mais il va trop loin, ses exigences sont disproportionnées et il risque de couler des petites sociétés de courtage », déplore Edouard Georges, secrétaire désigné de l’Association des professionnels du courtage en assurances (Apca), qui verra officiellement le jour la semaine prochaine. La création de l’association est une riposte au projet de loi sur les PSA, mais elle ne se résume pas uniquement à un combat autour du statut controversé des PSA, comme le souligne Frederick Gabriel, qui dirige la branche luxembourgeoise de courtage du géant US du secteur, Marsh : « C’est une bonne chose, dit-il, que cette association voit le jour pour parler désormais d’une seule voix pour l’ensemble du marché, mais il y a d’autres enjeux pour les courtiers que le seul projet de loi sur les PSA, notamment avec la transposition de la future directive sur les intermédiaires en assurances. Il serait également important de nous doter d’une charte ou d’un code de déontologie ». Longtemps divisés en deux camps rivaux, ce qui compliquait le dialogue avec le CAA, les courtiers sont désormais en ordre de bataille pour défendre les intérêts d’une profession qu’ils jugent menacée par le zèle réglementaire du régulateur. Les courtiers (724 personnes employées dans leurs sociétés, avec une moyenne de 5,6 personnes par société) savent qu’ils ne sont pas dans les petits souliers de Victor Rod. Le patron du CAA ne rate jamais une occasion pour déverser son hostilité à leur égard, signe, à leurs yeux, de son indifférence totale à la probable disparition de nombreux petits professionnels du courtage si « son » projet de loi sur les PSA devait passer tel quel à la Chambre des députés. Il a fait à ce propos des déclarations plutôt surréalistes, en présentant certains courtiers comme une catégorie de professionnels nuisibles à la réputation et à la santé de la place financière. On s’attend à davantage de neutralité de la part du régulateur. Du coup, l’Ordre luxembourgeois des courtiers en assurances (Olca) et la Fédération des courtiers en assurances (FCA) ont remisé leurs rancœurs historiques et écrit en juin dernier un avis commun sur le projet de loi PSA, mettant une telle pression sur la Chambre de commerce que l’organisation patronale en a repris presque intégralement les arguments. Il est un peu surprenant de voir que son avis daté de mai 2012 soit consacré davantage aux conséquences que les exigences du projet de loi sur les PSA aura sur l’existence et la consistance des courtiers qu’aux bénéfices que les assureurs en tireront. Or, les assureurs font partie des plus gros contributeurs, avec les banquiers, au budget de la Chambre de commerce.
L’Union des consommateurs (ULC) vient également de jeter la pierre au régulateur dans son avis que la Chambre des députés a posté cette semaine sur son site Internet : « Le projet de loi introduit de nouvelles obligations de reporting et d’assises financières pour les courtiers d’assurance avec l’objectif déclaré d’une meilleure protection des assurés. Comme la Chambre de commerce, l’ULC doute de la pertinence de ces mesures et y voit plutôt une nouvelle distorsion de concurrence en faveur des agents d’assurance ». L’organisation insiste par ailleurs pour que soit garantie l’indépendance des courtiers en assurances par rapport aux compagnies d’assurances et de leurs réseaux d’agents « en vue d’une saine concurrence ». Sans quoi on risque, soutiennent en substance les défenseurs des consommateurs, de « refermer la profession de courtier » pour ne laisser survivre que les grandes entreprises étrangères.
C’est peut-être là le souhait du Commissariat et le sens qu’il faut donner aux déclarations de son dirigeant historique, lorsqu’il dit sans s’embarrasser de précautions oratoires « bon débarras » aux courtiers qui seraient obligés d’abandonner les affaires en raisons des trop grosses contraintes réglementaires pesant sur leurs épaules : bloquer des montants entre 50 000 et 125 000 euros comme le prévoit le projet, n’est pas à la portée du premier venu. Les gros acteurs du courtage disposent déjà de fonds propres suffisants pour s’adapter sans problèmes aux nouveaux standards. Le régulateur voudrait faire fuir les courtiers en assurance (mises à part les grandes boîtes – 80 pour cent des primes ont été encaissées par cinq gros acteurs l’année dernière) qu’il ne s’y prendrait pas autrement.
L’image d’Épinal de professionnels du courtage qui n’en auraient que le nom et constitueraient des sociétés boites-aux-lettres au Luxembourg pour y immatriculer leurs grosses cylindrées, est non seulement un peu faible, mais aussi offensante pour les petits courtiers qui sont souvent des « auto-entrepreneurs ». Le projet de loi sur les PSA, avec ses exigences de fonds propres poussés à 125 000 euros (exigences inexistantes pour les agents), ainsi que des obligations de reporting qui devraient alourdir chaque année leurs charges de près de 30 000 euros, risque de les envoyer bientôt rejoindre les rangs déjà fournis des chômeurs. Le CAA semble faire une « fixette » sur les courtiers sans substance, alors qu’il n’a jamais pu caractériser « le risque posé par l’absence de substance d’un courtier ». Pas plus que le régulateur n’a été en mesure de « quantifier le risque représenté par la présence de capitaux propres négatifs », estiment les courtiers.
Il n’y a aucune nécessité ni d’urgence, aux yeux d’Edouard Georges, de modifier le cadre réglementaire actuel pour ces intermédiaires. D’autant moins que la Commission européenne n’a pas encore définitivement terminé son texte sur l’intermédiation en assurances (IMD2). Il n’y pas non plus, dans la version préliminaire de la directive sur Solvabilité 2 (un projet de loi pour transposer par anticipation cette future directive a quand même été déposé au parlement cet été), de dispositions similaires imposant aux courtiers des assises financières et un cadre réglementaire aussi strict que ce qui est inscrit dans le texte sur les PSA. Il n’existe pas non plus de normes équivalentes à l’étranger, ce qui risque de fausser la concurrence. « Ni la directive Solvabilité 2, ni le projet de directive IMD2 en préparation, expliquent les organisations de courtiers dans leur avis, n’imposent des assises financières ou des audits coûteux aux courtiers En outre, le nouveau cadre réglementaire n’est apte ni nécessaire pour améliorer la sécurité du client ».
Les courtiers (qui n’encaissent que rarement les primes, ce qui minimise encore le risque) ne sont pas des assureurs qui, eux, couvrent le risque client. D’où la justification pour eux du renforcement de ses assises financières. Une première directive européenne sur les intermédiaires (IMD1), que le Luxembourg n’a que très partiellement transposée, offre d’ailleurs des solutions aux craintes du Commissariat : la mise en place d’un fonds de garantie et l’exigence pour les intermédiaires de posséder une capacité financière correspondant à tout moment à quatre pour cent du montant des primes perçues par an. « Une garantie proportionnelle aux montants encaissés est mieux adaptée à protéger les clients contre l’incapacité du courtier de transférer les montants encaissés », signalent encore les courtiers.
Et si on recommençait par le commencement, c’est-à-dire déjà remplir les conditions de la première directive, avant d’anticiper les exigences d’un texte européen sur les intermédiaires qui n’est pas encore finalisé ?
Michèle Sinner
Kategorien: Finanzplatz
Ausgabe: 12.10.2012