Depuis quelques semaines, les peintres Jean-Marie Biwer et Moritz Ney arpentent les alentours de Basbellain pour y produire une série de croquis, de dessins et de peintures en plein air. Biwer en tire essentiellement de grands carnets de croquis dans un format qui ressemble à ce qu’en cinématographie, on appelait le « scope ». Ney, quant à lui, réalise des feuilles libres, dans son style tout particulier : fauve, expressif, faussement naïf et intrinsèquement bon vivant.
Car il y a une attitude de bon vivant à trouver dans cette démarche hors du temps qui consiste à s’asseoir dans une chaise pliante en plein sur les Koppen et de commencer à reproduire ce que l’œil peut enregistrer. Il ne s’agit pas pour eux d’imiter une école de peintres, comme celle de Barbizon, mais plutôt de quitter l’atelier pour retrouver un souffle et une manière de faire qui est à l’opposé de la production de certains des tableaux monumentaux que Jean-Marie Biwer avait produits ces dernières années.
Ni anachronisme, ni retour aux sources, Biwer et Ney ont plutôt décidé de faire de leurs rendez-vous hebdomadaires un exercice qui pose les problèmes de la vitesse et de l’interprétation par le geste et l’œil. Il ne s’agit pas pour eux d’investir un espace ou de créer un environnement, mais de prendre au naturel, plus précisément au paysage, ce qui semble parfois faire défaut aux artifices des institutions d’exposition locales : une énergie et une dynamique progressives.
Avec A Wooden Sktechbook, Jean-Marie Biwer avait commencé, il y a cinq ans, une série de peintures sur panneaux de bois en petit format. Une série qu’il a conçue comme un laboratoire de sa peinture. Le résultat de ce work in progress est une sorte de kaléidoscope où Biwer a tenté de ramener et de concentrer son univers pictural. Il s’agissait là d’un travail d’atelier.
En plein air, Jean-Marie Biwer note et produit une écriture visuelle rapide et nerveuse, amplifie les contrastes colorés tout en y associant un graphisme libéré. Il semble qu’au contact de son ami Moritz Ney, il ait repris du poil de la bête. Pour Moritz Ney, tout comme Jean-Marie Biwer, le plein air, l’Ösling et cette transposition de la notion de pittoresque et de paysage dans l’actualité de leurs peintures individuelles est devenu un geste presque quotidien.
Un exercice de base qui se situe dans un contexte de l’éloignement, d’une distance par rapport à une situation de l’art au Luxembourg qui semble plutôt confuse pour l’instant. Jean-Marie Biwer a jusqu’à présent pratiqué un aller-retour entre musées et galeries du centre-ville et son atelier de l’Ösling. Moritz Ney, quant à lui, n’a tout simplement pas de galeriste officiel, il suffit de lui rendre visite à son atelier à Luxembourg-Ville pour voir ses dessins. Tous les deux ont choisi l’Ösling comme lieu de travail et de vie, un choix qui, selon Jean-Marie Biwer, explique ce retour vers le paysage comme sujet central. Selon lui, il ne ferait pas grand sens d’élaborer un travail politique dans sa ferme de l’Ösling, qu’il considère comme un paradis perdu.
Mais cette volonté de se remettre en question en travaillant ensemble est un fait assez rare dans l’art au Luxembourg pour être signalé. Jean Schaack l’avait pratiqué un certain temps en accompagnant Jean-Pierre Lamboray lors de randonnées pendant lesquelles ils amenaient leurs chevalets et boîtes de couleurs. Jean-Marie Biwer et Moritz Ney choisissent le même sujet, voire parfois des vues identiques, mais produisent finalement des objets très différents.
Alors que l’ambiance pourrait suggérer une certaine mollesse bucolique, l’attitude et les gestes des deux peintres sont précis, décidés et rigoureux. Ney a développé cette technique toute particulière, qui consiste à associer surfaces et taches de couleur d’une manière spontanée. Alors que Biwer utilise le trait pour structurer et ordonner le paysage. Il n’y a pas de terme précis pour résumer cette activité de peinture en plein air, qui n’est pas vraiment contemporaine en elle-même, bien que des artistes d’aujourd’hui comme Per Kirkeby, David Hockney et plus récemment Peter Doig, l’utilisent. Cette manière de peindre, sur le motif, semble traduire un besoin de s’éloigner des attitudes de réappropriation qui sont une règle dans beaucoup de productions artistiques actuelles. Distance, repli sur soi, volonté de revenir sur un sujet classique pour l’art au Luxem-bourg, comme le paysage de l’Ösling, pour s’y ressourcer et découvrir d’autres façons de voir et de peindre. Pour Jean-Marie Biwer et Moritz Ney, ce n’est pas le temps de la parole, mais celui de la peinture en-soi qui est redevenu essentiel.