Assurance-vie : vers la fin des contrats à rendement garanti ?

Placement fétiche

d'Lëtzebuerger Land vom 27.11.2015

L’assurance-vie, fleuron de la place financière, connaît un trou d’air dont témoignent les statistiques publiées par le Commissariat aux Assurances (CAA). Durant les neuf premiers mois de l’année 2015, l’encaissement a reculé de quelque treize pour cent par rapport à la même période de l’exercice précédent. Faut-il s’en inquiéter ?

Pour répondre à cette question, il importe tout d’abord de prendre un peu de recul afin de juger la portée des turbulences observées ces derniers mois. Quel que soit le secteur d’activité, les évolutions de marché ne sont pas exemptes d’à-coups ; elles s’apprécient sur la longue période. Mesurée à cette échelle de temps, la situation de l’assurance-vie n’incline nullement au catastrophisme. Il suffit de rappeler qu’en 1990, peu avant l’ouverture du marché européen aux produits d’assurance, le total des encaissements de l’assurance-vie luxembourgeoise représentait à peine 115 millions d’euros, autrement dit une broutille. Un quart de siècle plus tard, en 2014, il s’est élevé à 24 milliards d’euros, ce qui témoigne d’une progression spectaculaire. En supposant que l’année 2015 se termine comme elle a commencé, la collecte annualisée resterait supérieure à 19 milliards d’euros, un chiffre comparable à celui réalisé en 2013. Il n’y a donc, à ce stade, pas matière à sonner le tocsin. Néanmoins, le ralentissement observé est suffisant pour justifier une réflexion sur la situation et les perspectives de l’assurance-vie luxembourgeoise.

Quelles sont les activités concernées ? Il s’agit de l’assurance-vie considérée comme instrument d’épargne à moyen/long terme. Cette forme d’assurance-vie, dite d’épargne, est apparue à la fin du siècle dernier ; elle a rapidement connu un éclatant succès qui a fait de l’assurance-vie le placement fétiche des épargnants européens. Il en existe deux variétés : les contrats en euros à rendement garanti, qualifiés également d’assurance-vie classique, et les contrats en unités de compte, désignés également de « contrats liés à des fonds d’investissement ».

Les premiers sont nés en France à la fin des années 1970. Libellés en unités monétaires et adossés à un portefeuille composé principalement d’obligations d’État, ces contrats procurent une rémunération sous forme d’un intérêt capitalisé annuellement (effet de cliquet) dont le taux dépend de la rentabilité des actifs sous-jacents. Ainsi conçu, le contrat en euros à rendement garanti présente une sécurité qui en fait l’archétype du placement de père de famille. Mais sa rusticité financière ne répond pas aux attentes d’épargnants moins conservateurs, attirés par les rendements potentiellement plus élevés des placements boursiers et prêts à en accepter les risques.

C’est pour ce type d’investisseurs qu’ont été créés, dans les années 1990, les contrats en unités de compte. Sitôt versées, les primes y sont converties en unités de compte et investies dans des placements financiers dont les variations sur les marchés sont directement répercutées sur la valeur du contrat.

L’apparition des contrats en unités de compte a représenté une étape décisive, car elle marque l’ouverture de l’assurance-vie à la bourse. Et elle a coïncidé avec le développement et la diversification des fonds d’investissement, lesquels ont naturellement vocation à servir d’unités de compte dans les contrats d’assurance-vie. Grâce aux unités de compte, les assureurs-vie ont été en mesure de proposer au public une large variété de placements boursiers bénéficiant d’une gestion financière professionnelle encadrée par une règlementation prudentielle protectrice. Et ainsi de rivaliser avec les banquiers sur le segment des Sicav et autres formes de placement collectif en valeurs mobilières.

Il restait encore aux banquiers un domaine réservé : la gestion de portefeuille personnalisée destinée aux investisseurs les plus aisés. Pour les concurrencer sur ce terrain, il ne restait qu’à mettre au point un contrat d’assurance-vie spécifique. C’est ce qu’a réalisé la réglementation luxembourgeoise en autorisant, à partir de 2001, la création de contrats en unités de compte « à fonds dédiés ». Ces contrats, réservés aux investisseurs justifiant d’une solide surface financière, permettent grâce à une réglementation des placements assouplie pour la circonstance d’adosser le contrat à un portefeuille d’actifs financiers individualisé, composé et géré selon les vœux du client. Bref, comme l’a bien exprimé le CAA, les fonds dédiés représentent la déclinaison de la gestion de fortune dans sa version assurance.

C’est cette gamme diversifiée de contrats d’assurance-vie d’épargne qui a permis aux assureurs luxembourgeois de porter leur activité au niveau actuel : ces contrats représentent l’essentiel des quelque 24 milliardsd’euros de primes de 2014, collectées à hauteur de 90 pour cent sur le marché international. Et ce sont eux qui souffrent du ralentissement observé durant les premiers mois de 2015.

À ceux qui seraient tentés d’attribuer la cause de ce phénomène à la disparition du secret fiscal (l’échange automatique d’informations sur les contrats d’assurance-vie entrera en vigueur en 2017), il faut rétorquer que le revirement opéré en la matière par le gouvernement luxembourgeois a été décidé en avril 2013. Et qu’il a été bien surmonté par le secteur de l’assurance-vie comme le démontre la collecte record engrangée en 2014.

Les explications doivent être recherchées ailleurs. Le CAA observe que la régression de l’année 2015 concerne les seuls contrats en euros à rendement garanti (les primes qui s’y rapportent ont baissé de 45 pour cent alors que celles relatives aux contrats en unités de compte progressaient de vingt pour cent). Et il explique ce recul par la baisse des rendements susceptibles d’être offerts ainsi que par une réorientation délibérée de la clientèle vers les produits en unités de compte.

On ne saurait mieux dire. Avec des taux d’intérêt ayant atteint un niveau historiquement bas, le rendement servi par les contrats d’assurance-vie adossés à ce type de placements ne peut que décliner jusqu’à devenir ridiculement bas. Et si les meilleurs assureurs français ont servi en 2014 une rémunération nette supérieure à trois pour cent, ils le doivent à un portefeuille obligataire ancien comportant, pour un temps encore, une proportion d’actifs plus rentables que ceux émis actuellement. Les contrats luxembourgeois quant à eux ont affiché en 2014 des performances plus modestes. Par exemple, le contrat « AXA Borea Invest 30 » a servi un intérêt net de 2,80 pour cent. Tandis que le contrat « Foyer Flexivie click » fait état d’un rendement de 2,50 pour cent qui se révèle, après déduction des frais de gestion, être inférieur à deux pour cent net.

Non contents de servir aux clients une rémunération décevante, les contrats d’assurance-vie en euros sont également dangereux pour les assureurs. Dans l’hypothèse d’une hausse des taux d’intérêt, qui entraînerait des déplacements d’épargne vers des formules plus rémunératrices, les assureurs confrontés à des rachats massifs de contrats essuieraient des pertes sur la réalisation de leurs obligations en portefeuille. La compagnie Foyer s’est du reste protégée contre ce risque en introduisant dans son contrat « Flexivie click » une indemnité de rachat applicable en cas de hausse des taux d’intérêt. On comprend dans ces conditions que les compagnies s’appliquent à réorienter leur clientèle vers des contrats en unités de compte où les risques de dévaluation des placements sont supportés par le client.

Il faut ajouter que la réglementation des assurances est suffisamment souple pour permettre aux assureurs-vie d’offrir à leurs clients des substituts au contrat en euros. La formule la plus proche est le contrat à capital garanti à terme. Ce contrat est adossé à des placements financiers dont les performances reviennent en partie au client. Mais en cas de chute des marchés, celui-ci est assuré de récupérer le montant du capital versé s’il conserve son contrat jusqu’au terme d’une période fixée habituellement à huit ans. On peut songer également à des formules en unités de compte adaptées aux épargnants soucieux de sécurité ; par exemple des contrats adossés à des fonds d’investissement immobiliers, peu sujets aux brutales fluctuations de valeur, et dont les meilleurs ont rapporté l’an dernier plus de cinq pour cent.

On le voit, les assureurs-vie ne sont pas désarmés face aux difficultés qu’ils traversent en cette année 2015. Ils peuvent s’appuyer notamment sur la flexibilité de la réglementation des produits et des actifs éligibles, illustrée par les fonds dédiés « à la luxembourgeoise ». Or cet avantage concurrentiel, qui concourt au succès international de l’assurance-vie luxembourgeoise, a été mis à l’épreuve par une loi belge du 4 avril 2014. Celle-ci comporte une réglementation des assurances vie liées à des fonds d’investissement moins souple que la réglementation luxembourgeoise. Et elle dispose en forme de provocation, puisque ce point de la loi a été jugé contraire au droit communautaire par le Conseil d’État belge, que la limitation des actifs éligibles qu’elle édicte s’impose à tous les contrats souscrits par des résidents belges, même auprès d’assureurs étrangers. Ce qui, en clair, exclut la commercialisation de fonds dédiés « à la luxembourgeoise » sur le marché belge. L’organisation professionnelle des assureurs, l’ACA, s’est étonnée de l’absence de réaction de la Commission à cette violation manifeste des règles du marché unique européen et a déposé à ce sujet une plainte.

Il faut souhaiter le succès de cette démarche car le maintien en l’état d’une législation qui, en l’occurrence, interdit aux assureurs européens d’exporter leur produit en Belgique, ne pourrait qu’encourager d’autres pays à adopter des mesures protectionnistes comparables. Et ce sont précisément les obstacles dressés contre la libre prestation de services qui constituent la plus grave menace pour le développement futur de l’assurance-vie luxembourgeoise.

Sous cette réserve, le sentiment de confiance exprimé par le CAA quant à la poursuite d’une évolution favorable de l’assurance-vie apparaît justifié. Il est du reste conforté par de grands opérateurs du secteur qui continuent à choisir la place de Luxembourg pour y implanter leur plate-forme européenne d’assurance-vie. Le dernier en date est la Caisse Nationale de Prévoyance (CNP), premier assureur-vie français.

Gérard Klein
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