Déception mercredi avenue Monterey, au numéro 45a, nouveau siège de la radio 100,7, radio socioculturelle de service public. À la lecture des chiffres détaillés du budget de l'État pour 2004 publiés ce jour-là, le directeur Fernand Weides a bien pu constater que la « dotation dans l'intérêt de l'établissement public chargé de diffuser des programmes de radio socioculturels » augmentera de 3,148 millions d'euros cette année à 3,331 millions l'année prochaine mais cette somme ne correspond pas aux moyens financiers que le directeur a demandés. La radio 100,7, comme plein d'autres établissements publics, tombe sous les mesures de restriction budgétaire du gouvernement (voir page 5).
Mesures qui furent déjà prises en partie pour l'année 2003 : les festivités pour le dixième anniversaire de la radio seront plus modestes que prévues, pas de grande réception mais plutôt un « vin d'honneur » pour les officiels vendredi prochain, 19 septembre, qui correspond exactement au jour de lancement des programmes, alors que les auditeurs, eux, sont invités à deux journées portes ouvertes samedi et dimanche (matin).
Tout se passe comme si, née d'une volonté politique - du mythique ministre de la Culture socialiste Robert Krieps surtout - la radio socioculturelle dépendait étroitement dans son développement des cycles politiques. Ce n'est pas un hasard qu'elle fête ses anniversaires, comme déjà le cinquième en 1998 au Casino, à quelques mois des élections législatives et donc avec maints hommes et femmes politiques dans le public, qui, pris d'euphorie préélectorale, lui font tous les plus belles promesses quant à son futur. Or, si ses consurs qui furent autorisées à émettre avec la même loi « sur les médias électroniques » datant de juillet 1991 qu'elle - DNR, Radio Ara, Radio Latina, Eldoradio - ont pu fêter leurs dixièmes anniversaires respectifs l'année dernière déjà, c'est avant tout parce que les débuts de 100,7 furent semés d'embûches. Des problèmes de personnel - nomination et démission de deux directeurs, Jean-Marie Meyer et Paul Kieffer, en moins de deux ans, entre octobre 1992 et juin 1994, mise en place avec une équipe réduite et sans grande expérience en radio -, puis de budget - durant les premiers mois, les émissions furent produites par des free-lances à des tarifs mirobolants dans des studios privés ont précédé le lancement officiel du programme le 19 septembre 1993. Durant les quelques semaines, voire quelques mois qui précédaient les élections législatives de juin 1994, la survie de la radio était loin d'être assurée.
Claude Mangen, un des pionniers de la radio, qui y travaille depuis mai 1993 et a depuis lors grimpé les échelons pour devenir directeur des programmes, se souvient d'une époque extrêmement mouvementée. Fernand Weides, l'actuel directeur, un ancien du Tageblatt et d'Eldoradio, fut nommé quelques jours seulement après les élections de 1994. La radio étatique et sa poignée d'employés fixes étaient alors logés « dans la gueule du loup », dans le bâtiment même de la CLT au Kirchberg, où elle louait non seulement les bureaux, mais aussi toute la technique, voire même les services des techniciens de RTL. « C'est alors que nous avons commencé à reprendre la main, à centraliser la coordination et la responsabilité du contenu dans la maison, » raconte Claude Mangen.
Mais la radio restait limitée, non seulement dans ses moyens financiers et humains, mais aussi dans son temps d'antenne : l'ancien monopoliste privé de la radio RTL Radio Lëtzebuerg avait réussi à imposer que la fréquence 100,7 FM lui revienne jusqu'à 14h30, la radio socioculturelle n'avait donc à sa disposition que les heures de moindre écoute, la radio étant par définition le médium du matin. Les taux d'écoute extrêmement bas en furent une conséquence naturelle, les libéraux, alors dans l'opposition, proposaient même en 1996, par le biais d'une proposition de loi d'Anne Brasseur, d'arrêter les dépenses en l'abolissant purement et simplement.
Suivit un long et douloureux bras de fer entre Alain Berwick de RTL et Fernand Weides de 100,7, avec l'État comme conciliateur parfois tendancieux, pour l'émancipation du programme public et son accession au statut de « vraie radio » avec un programme complet 24 heures sur 24. Le déménagement dans des locaux propres, route de Longwy, en janvier 1996 en fut le pas symbolique ; le lancement, un an et demi plus tard, du programme matinal dès 6 heures l'aboutissement.
« Mais au début, nous avons fait l'erreur de coller deux demi-programmes comme nous les connaissions, l'un derrière l'autre, concède Claude Mangen. Il nous a quasiment fallu trois ans pour vraiment trouver notre concept de radio généraliste. » Aujourd'hui, la radio 100,7 se définit, selon ses dirigeants, comme une radio d'offre - les émissions thématiques très ciblées en journée et le soir - avec des éléments de radio généraliste - les informations matin, midi et soir, et les magazines d'actualité. Aujourd'hui, après dix ans d'existence, dont six à plein temps, et un dernier déménagement, au début de cette année, dans une nouvelle et très spacieuse villa avenue Monterey avec, en parallèle, la numérisation de toute la technique, elle peut, théoriquement, enfin se concentrer au développement de son contenu.
Mais voilà, le budget n'évolue plus vers le haut. Car même si beaucoup de ses consurs privées - notamment l'associative radio Ara, qui fonctionne avec presque rien, faite uniquement par des bénévoles -, ne cessent de lui envier ses moyens fastueux, ses millions et millions d'euros de subventions directes par l'État, il n'en demeure pas moins que 100,7 fonctionne avec une équipe minimale de 25 actuellement, dont trois sont des demi-tâches ; son cadre lui permettrait en théorie d'engager une personne et demie de plus. Mais que sont 25 personnes pour 365 jours de programmes 24 heures sur 24 ? Car il ne faut pas oublier que de ces 25 personnes, quatre sont engagées en technique, trois dans l'administration, trois en culture, trois en rédaction musicale, trois dans l'animation et le reste seulement en rédaction.
« Il y a des jours où aucun de nos rédacteurs n'arrive à sortir un pied dehors, où tous nos reportages sont faits par des free-lances parce que nous ne sommes tout simplement pas assez nombreux, » regrette Jean-Claude Wolff, journaliste au sein de 100,7 et président de la délégation du personnel. Une radio fonctionne forcément par roulement, les week-ends et jours fériés qu'un journaliste, animateur ou technicien travaille doivent être récupérés, l'organisation des plans de travail devenant alors un véritable casse-tête. Depuis des années, les journalistes-rédacteurs revendiquent une augmentation de l'effectif, car les free-lances « fixes » travaillent souvent aux mêmes horaires, mais ne sont payés qu'à la pige, sans sécurité, et doivent assumer eux-mêmes toutes les charges sociales. Actuellement, ils sont trois à travailler selon ce statut à la rédaction de 100,7. « Sans les free-lances, notre radio ne pourrait tout simplement pas fonctionner, estime Jean-Claude Wolff, c'est pour cela que je regrette qu'on n'ait pas profité des années fastes pour régulariser leur situation. »
C'est dans la rédaction qu'il y a eu le plus de mouvement durant les dernières années, les rédacteurs en chef s'y sont succédés à un rythme endiablé. Le premier, Tom Graas, ainsi que les deux derniers, Marc Linster durant quelques mois en 2000 puis Jay Schiltz depuis 2001, venaient de RTL Radio Lëtzebuerg (deux y sont d'ailleurs retournés) apportant son style dans les news. « Mais chez nous, dans l'émission d'information Panorama, un sujet est traité en quatre minutes, alors que RTL doit faire le même exercice en une minute trente, selon Fernand Weides. En plus, nous pouvons revenir dessus et l'approfondir encore dans un des magazines de la rédaction. Mais nous savons aussi que la radio est le médium de l'actualité et de la rapidité, et j'avoue que nous sommes devenus beaucoup plus flexibles sur ce point-là. »
Toutefois, malgré toutes les tentatives de se distinguer, certains parallélismes, un rapprochement des formats RTL et 100,7 sont indéniables. « Je trouve absolument injuste de toujours nous comparer sur les seuls news, » s'insurge Claude Mangen. Et Fernand Weides d'enchaîner : « 17 personnes ne travaillent pas dans la rédaction chez nous ! L'information peut être un moteur, mais elle n'est pas notre seul métier. » Car en l'espace de dix ans, les missions de la radio 100,7 se sont considérablement multipliées. Peu à peu, de nouvelles charges lui incombaient, souvent celles qui furent délaissées au fil du temps par la CLT. La musique classique d'abord, qui y trouva une place importante dès les débuts et fut quasiment en même temps complètement rayée des programmes de RTL. En parallèle, la CLT céda son orchestre radiophonique à l'État luxembourgeois, qui en fit l'Orchestre philharmonique du Luxembourg, OPL.
En janvier 1997, 100,7 devient membre de l'UER, l'Union européenne de radio-télévision, un réseau regroupant une vingtaine de radios. Par ce biais, 100,7 peut non seulement rediffuser des concerts enregistrés par ses radios - elle le fait les mardi soir en règle générale -, mais peut également toucher un public allant jusqu'à 3,5 millions d'auditeurs sur toute l'Europe pour les concerts de l'OPL, avec lequel elle a conclu un contrat pour ces rediffusions. Au-delà de l'OPL, 100,7 est de plus en plus souvent partenaire de petits ensembles ou des petits festivals de musique à travers tout le pays, du Syrdall à Marnech, et enregistre ainsi une cinquantaine de concerts par an, qu'elle rediffuse par la suite sur son antenne.
En parallèle, les demandes de partenariat d'organisateurs de toutes sortes de conférences et table-rondes afin de s'assurer l'enregistrement et la diffusion de leurs évènement sur les ondes de 100,7 se multiplient. À tel point que l'équipe de direction doit désormais faire des choix. La chaîne de télévision ouverte que compte exploiter Maurice Molitor, Den oppene Kanal, mise justement sur cette clientèle d'organisateurs d'évènements. Sauf que lui compte offrir un soutien logistique payant alors que la radio 100,7 considère cette mission comme son obligation de service public.
À propos télévision : qu'en est-il de cette urban legend d'une télévision de service public qui hante toutes les discussions publiques ou privées sur les médias audiovisuels depuis quelques années ? À quand 100,7-TV ? Fernand Weides est formel : « Le conseil d'administration n'a pas encore pris de décision sur ce dossier. Il n'en a même pas encore parlé. Et s'il en est ainsi, c'est parce qu'aucun projet dans ce sens ne lui a jamais été soumis pour discussion ! » Des demandes de collaboration lui auraient été soumises à plusieurs reprises de la part de producteurs privés, « mais nous avons toujours refusé ».
« Nous sommes aujourd'hui un important producteur de mémoire collective, » résume Claude Mangen. Car ce qui différencie la radio 100,7 des radios commerciales, c'est qu'elle n'est pas dans une logique de flux mais de stock. Elle prend son temps, prend du recul et peut aller au fond des choses dans des émissions qui peuvent durer une ou deux heures. Si une interview radio de l'ancien Premier ministre Gaston Thorn pour son 75e anniversaire dure dix minutes maximum sur une radio commerciale, 100,7 lui accorde deux heures entières. Mais, franchement : qui écoute deux heures d'interview questions/réponses ?
Qui est le public de 100,7 ? Fernand Weides est fier des derniers chiffres sortis du sondage Ilres, qui leur certifient une audience cumulée par jour moyen de cinq pour cent, soit une augmentation de plus d'un pour cent en une saison. En écoute globale, 100,7 atteint même 21 pour cent des Luxembourgeois. « Le portrait-type d'un auditeur de 100,7 est un homme ayant entre 35 et 64 ans, détenant un bac ou un diplôme universitaire, qui travaille en tant qu'indépendant, cadre supérieur ou cadre moyen, » résume le directeur. Depuis les débuts de la radio, ce portrait-robot de l'auditeur moyen se serait démocratisé, la part d'ouvriers et de femmes au foyer est en augmentation. « Je crois que cela est avant tout dû à nos blocs de radio généraliste, qui sont probablement plus accessibles à un public plus large, est l'explication du directeur des programmes. Bien sûr que nous aimerions encore nous développer, notamment sur les 25 à 35 ans. Mais il ne faut pas non plus que nous commencions à vouloir concurrencer les radios jeunes, ce n'est pas notre format. »
Les choses se mettent par contre en place tout naturellement, au fur et à mesure que de nouvelles missions lui incombent, que les autres radios évoluent aussi. Ainsi, la radio 100,7 a commencé l'année dernière à prendre au sérieux les musiques actuelles, en leur accordant de larges tranches dans l'après-midi notamment la musique lounge au détriment de la seule musique classique. Car il est facile aujourd'hui d'offrir de la bonne musique, lorsque les formats plus commerciaux ont des ordinateurs qui programment des mix idéaux de musique au mètre des différentes époques selon des logarithmes très compliqués mais parfaitement impersonnels. Et c'est là que la radio 100,7 n'ose pas encore le grand pas d'une « personnalisation » plus forte de ses émissions.
Claude Mangen est bien conscient qu'en radio, « tout dépend de la personne qui fait le programme », que l'habillage d'antenne de Serge Tonnar ou les grandes émissions historiques de Mick Entringer ont fortement marqué la radio de leur ton. Mais la radio publique n'ose plus vraiment identifier trop fortement les émissions à leur animateur ou leur journaliste. Or, qu'est-ce qui fait le succès de la tranche matinale sur France Inter par exemple, sinon la personnalité et le professionnalisme de Stéphane Paoli ? Qu'est-ce qui fait qu'on aime écouter Tam Tam etcetera sinon Pascale Clark ? Alors soit on aime une voix, un ton, une présence et son choix de musique, soit on déteste, mais au moins, on sait où on en est. À quelques émissions près, les principales tranches d'animation de 100,7 pourtant restent anonymes, assurées par roulement par l'un(e) ou l'autre des animateurs, peut-être pour assurer la pérennité de l'émission, malgré la très grande mobilité du personnel ces dernières années dans le métier au Luxembourg.
Cet été fut particulièrement dur pour les inconditionnels de 100,7. Sur le site Internet www.100-komma7.lu, une internaute note qu'elle a relevé dix rediffusions d'émissions sur les quatorze programmées un dimanche. Le webmaster Pascal Tesch a beau tempérer online que ce n'est dû qu'au manque de moyens humains durant les congés, que la production d'une émission demande beaucoup de temps, mais les auditeurs ne veulent ou ne peuvent le croire. « Nous pensons que la rediffusion de nos meilleurs émissions est un service pour nos auditeurs, et non pas une punition, redresse Claude Mangen. Nous n'avons tout simplement pas les moyens pour produire à un tel rythme durant toute l'année. » Cette année, il faut le concéder, fut exceptionnelle, d'une part pour cause de déménagement et le basculement de la technique, de l'autre pour ce dixième anniversaire, qui fut l'occasion aussi de regarder en arrière et de se souvenir de ce que la direction estimait être les meilleurs moments de la radio. Mais promis, juré, avec la rentrée, lundi prochain, il n'y aura plus que du frais.