Il est toujours étonnant d’entendre des commentateurs ou des journalistes parler d’un événement sportif en se servant d’un lexique qui n’est, en somme, pas destiné à ce genre d’événement et qu’ils transposent plus ou moins heureusement. Ainsi un match de football se joue selon des stratégies précises, il y a une offensive et une défensive, les capitaines d’équipes sont des leaders, des généraux d’armées, et le match en question une véritable bataille – et son issue peut décider de l’état d’âme de toute une nation, comme nous venons de le voir récemment. Il en est de même pour le cyclisme : les coureurs attaquent, tentent des percées, font des échappées, prennent le relais d’autres coureurs, tout en respectant la stratégie du directeur sportif qui les suit en voiture en télécommandant la moindre de leurs actions – tel un général d’armée juché sur son cheval hurlant des ordres à ses troupes depuis l’arrière de la bataille.
Le dernier livre de François Guillaume (plus connu sous le nom de Frank Wilhelm, professeur de littérature française à l’Université du Luxembourg), Mon Dico du vélo, est un livre sous forme d’abécédaire qui non seulement recense ces termes techniques empruntés à d’autres domaines ou disciplines dont se sert le cyclisme, comme « l’emballage », qui n’est rien d’autre que le sprint, mais nous propose également une liste de coureurs luxembourgeois qui sont entrés dans les annales de l’histoire dudit sport, comme Charly Gaul, Nicolas Frantz, ou les récents héros de la nation, Kim Kirchen et les frères Schleck. Le tout est rehaussé de photographies et de quelques anecdotes judicieuses de la jeunesse cycliste de l’auteur, comme par exemple l’épisode du mini-Tour de France que ce dernier a effectué avec deux amis en 1964, où les trois aventuriers se sont retrouvés à vélo sur l’autoroute.
Et bien qu’on constate, chez François Guillaume, une fascination et une passion (les mots sont faibles) intarissables pour ce sport – il n’y a qu’à lire certains commentaires quasi mystifiants : Charly Gaul est « au cyclisme ce que Greta Garbo était au cinéma » ; Fränk Schleck est le « coureur au regard bleu perçant » – l’auteur dénonce avec une certaine lucidité les absurdités du cyclisme professionnel, comme les enjeux économiques toujours grandissants, et les maillots arborant les logos « de groupes bancaires, de sociétés d’assurance ou de firmes électroniques », les coureurs ne se souciant guères « des valeurs dont ils font ainsi la promotion », ou encore l’équipement des sportifs envahis par la publicité.
Cependant, il ne s’agit ici pas d’un simple glossaire du vélo. Suivant l’exemple de l’écrivain et journaliste français Antoine Blondin (1922-1991), qui reçoit son entrée dans le Dico, informations sportives, définitions de maintes pièces détachables, de types de courses et de néologismes vélophiles se mêlent à toutes sortes de réflexions érudites et d’allusions à des écrivains ou cinéastes qui, de loin ou de près, se sont intéressés au vélo, comme Vittorio de Sica et son Ladri di biciclette, ou Samuel Beckett, dans les premiers romans duquel le vélo joue un rôle symbolique, ou encore Roland Barthes qui évoque Charly Gaul dans Mythologies.
En effet, Mon Dico du vélo se veut également, comme le dit la préface, un exercice de style, un recueil de petits fragments de prose travaillée, polie, c’est-à-dire un ouvrage de littérature. Et comme on s’y attendait de la part d’un professeur de littérature, les phrases sont adroites, le lexique recherché, souvent un peu précieux, vantard même, virtuose des fois, comme lors de la définition négative du livre : « Ce qu’on va lire n’est pas un livre savant […] ni un ouvrage technique, ni un mémoire philosophique, ni un bêtisier du dérailleur, ni un trombinoscope littéraire de coureurs et de suiveurs, ni un manuel d’entraînement cycliste, ni un catéchisme du pignon fixe, ni un rituel d’érudition athlétique, [etc.] »
Au cours des millénaires, l’écriture a souvent été comparée à d’autres compétences plus ou moins artisanales, ou qui exigent plus ou moins d’efforts, par exemple la maçonnerie, ou le jardinage. François Guillaume constitue ici une autre comparaison, en disant, à la fin de son dictionnaire : « courir, écrire, même combat ».