Frank-Walter Steinmeier, ancien ministre des Affaires étrangères et actuel président du groupe parlementaire socialiste allemand, défraie la chronique cette semaine parce qu’il vient d’annoncer qu’il faisait une pause dans son activité politique pour donner un rein à sa femme. Le fait qu’un homme politique aussi célèbre fasse preuve d’autant d’amour et de véritable don de soi – et parle si ouvertement d’une réalité médicale (la pénurie d’organes de donneurs) – a touché les gens et pourrait sensibiliser le public à se porter donneurs. Mais la médiatisation de sujets aussi privés que la maladie et la mort peuvent aussi heurter – ou agacer.
Claude Mangen, metteur en scène et acteur, interpellé à l’époque par les maladies médiatisées de Thierry van Werweke et de Christoph Schlingensief, tous les deux morts depuis lors, en a fait le thème d’un spectacle : Shanghai, I give you my heart est une performance sur la maladie, le don d’organes et le malaise que la publicité autour de ces drames intimes peut provoquer. Les répétitions ont actuellement lieu au Luxemboug, sept intervenants, dont Claude Mangen lui-même, le danseur Bernard Baumgarten et le musicien Serge Tonnar, imaginent sur base d’une recherche documentaire sur le sujet (à l’image de Mischa – der Fall qu’ils ont monté en 2008) des contraintes du lieu et d’improvisations spontanées un spectacle multimédia très visuel et compréhensible sans texte.
Shanghai, I give you my heart est une des quinze commandes du ministère de la Culture à 75 artistes luxembourgeois, pour un budget total de 500 000 euros, dans le cadre du programme culturel du pavillon luxembourgeois à l’expo de Shanghai 2010. La performance y sera jouée trois à quatre fois par jour du 4 au 9 octobre, sur tout le site du pavillon, intérieur et extérieur ; elle sera ensuite montrée fin octobre (du 27 au 30) à l’hôpital d’Ettelbruck. « Ce n’est qu’en cours de route que nous nous sommes rendus compte que le don d’organe est un sujet extrêmement délicat en Chine, » raconte Claude Mangen. Amnesty International et d’autres ONGs alarment régulièrement l’opinion publique sur de véritables réseaux illégaux de trafic d’organes en Chine, notamment avec des organes de condamnés à mort, qui valent plus chers morts que vivants. Donc la tension monte, aussi auprès des représentants du consulat luxembourgeois, il ne s’agit pas de provoquer un incident diplomatique – d’autant plus que le point de départ du spectacle était tout autre.
« En règle générale, il s’est avéré extrêmement difficile pour les artistes de travailler sur place, » estime, pour sa part, le commissaire du programme culturel, Christian Mosar. D’une part, parce que les autorités chinoises ont dû donner leur accord à chacun des éléments du programme et qu’elles n’accordent guère de licences de travailler aux artistes étrangers ailleurs que sur le site de l’expo. De l’autre parce que l’architecture du pavillon conçu par Hermann [&] Valentiny ne se prête pas à l’exposition d’arts plastiques – surtout à cause des très grands flux de spectateurs qu’il doit drainer (en début de cette semaine, il a accueilli son quatre millionième visiteur) –, mais que la mission était clairement de concevoir une offre culturelle in situ, pour le pavillon.
Christian Mosar s’est donc très vite orienté vers les arts vivants. Avec, là encore une limitation : la langue. Peu de Chinois comprennent une langue étrangère, y compris l’anglais, donc le choix du programme s’est à nouveau limité à la danse et à la musique. « Mon idée était alors de tout axer sur les spectacles très contemporains, parce que les Chinois n’en ont guère l’habitude, » explique Christian Mosar. Ainsi, le spectacle imaginé par le chorégraphe Philippe Talard, qui réunissait le violoncelliste André Mergenthaler et les danseuses chinoises Lingxi Li (originaire de Shanghai) et Hannah Ma, montré en juin, a connu un très grand succès, selon le commissaire, provoquant étonnement et enthousiasme.
À deux mois de la fermeture de l’expo, le programme culturel entame son troisième tiers fin août, début septembre, avec un nouveau pic d’activités, notamment la présentation des résultats de deux workshops réalisés en collaboration avec des artistes et étudiants luxembourgeois, chinois et internationaux. Aujourd’hui, vendredi 27 août, aura lieu le lancement du Art workshop organisé par le Casino Luxembourg avec l’Université du Luxembourg et la Asia Europe Foundation. Paul di Felice de l’Uni.lu et l’artiste Sylvie Blocher y encadreront les recherches sur les Moved, Mutated and Disturbed Identities entamées lors de la première partie du workshop, qui avait eu lieu l’année dernière à Luxembourg. Sur les 17 artistes qui avaient participé l’année dernière, dix ont été retenus pour l’aventure chinoise, dont deux autochtones (la seule Luxembougeoise Tessy Bauer n’a pas été retenue par le jury pour cette deuxième partie). Durant dix jours, les artistes vont travailler au DDM Warehouse, centre d’art partenaire sur place, où ils exposeront aussi les œuvres qui en résultent ; seule une présentation est prévue dans le pavillon.
Pour Picture your family, le photographe Joseph Tomassini quant à lui a travaillé avec des élèves luxembourgeois du Lycée technique des arts et métiers et avec deux classes de lycée à Shanghai sur le thème de la famille. Les photos issues de ces workshops sont actuellement montrées dans les deux lycées là-bas, elles seront projetées au pavillon à partir du 3 septembre et montrées en automne au Luxembourg, probablement à la BGL BNP Paribas.
Ces deux ateliers sont les pièces maîtresses du thème « échanges » du programme culturel, que la ministre de la Culture Octavie Modert (CSV) a présenté fin juillet lors d’une conférence de presse au Luxembourg, les autres thèmes étant « identités » et « durabilité ». Le public luxembourgeois en verra des bribes, comme le spectacle de Claude Mangen et Bernard Baumgarten (coproduit par Maskénada et le Trois-CL) ainsi que celui de Camille Kerger (composition) et d’Annick Pütz (chorégraphie), coproduit par United Instruments of Lucilin. Le fait que le grand-duché promeuve si résolument sa volonté de contemporanéité est plutôt un bon signe – qui pourrait aussi indiquer un changement essentiel dans la politique culturelle. Changement auquel œuvrent les institutions culturelles depuis dix ans.