Entrer dans le grand hall du Mudam est toujours un émerveillement. Surtout quand il fait beau, que le soleil perce par les grandes verrières sur les pierres naturelles au couleurs chaudes choisies par l’architecte IM Pei justement pour cet effet de douceur et de chaleur. On y entre avec des attentes quant aux expositions qu’on va découvrir en tournant à gauche ou à droite dans les salles d’exposition. Pensé pour des réceptions fastueuses, ce grand hall est pourtant difficile pour y exposer des œuvres d’art, forcément écrasées et par le poids symbolique de sa fonction et par les dimensions monumentales de l’architecture, surtout cette présence des verrières. Dès l’ouverture du musée, la directrice de l’époque Marie-Claude Beaud a donc décidé de jouer avec ces contraintes et de charger des artistes d’élaborer des œuvres spécifiquement pour cet espace. Daniel Buren, Simone Decker et Nicolay Polissky se l’étaient approprié avec bonheur et majesté, choisissant eux aussi de grands gestes monumentaux pour y répondre.
Actuellement, l’émerveillement de l’attente garde sa magie un peu plus longtemps, car plusieurs sens sont stimulés : outre la vue, Home Sweet Home de Pascale Marthine Tayou a aussi une odeur, celle du foin jeté en cercle sous une forêt de troncs d’arbres, et un son, celui des chants de dizaines d’oiseaux qui semblent s’évader des cages exotiques juchées à plus de cinq mètres en haut des arbres. L’installation est la pièce centrale de son exposition Black Forest, qui se poursuit par quelques œuvres supplémentaires au sous-sol. Des cages d’oiseaux dépassent des sculptures artisanales africaines, des câbles électriques pendouillent de ce nid fait de rognures de papiers blancs, parodie récurrente de l’artiste pour la bureaucratie européenne. Home Sweet Home est une hybridation Nord-Sud, comme tout le travail de Pascale Marthine Tayou.
Au Luxembourg, on a découvert le travail de cet artiste d’origine camerounaise (il est né en 1967 à Yaoundé) qui vit et travaille actuellement à Gand en Belgique dès 1999 grâce à l’exposition Gare de l’Est au Casino, qui parlait de l’attrait de Paris, ville d’art, sur les artistes issus des migrations et des influences que ces apports allaient avoir sur l’art européen en général. Huit ans plus tard, le même curateur, spécialiste ès globalisation et migrations, Hou Hanru, allait inclure Pascale Marthine Tayou avec trois œuvres joyeusement bordéliques dans l’exposition Global multitude à la Rotonde 1 : des lampes surchargées de sachets et de déchets (Globe trotter/ Crazy nomad), un énorme amas de chaussettes saupoudrées de poudre blanche (Le gâteau de chaussettes) et une voiture bidouillée et décorée « à l’africaine », Garage moderne, fierté de son propriétaire – et de tout le village. Toutes ses considérations qu’on retrouve aujourd’hui au Mudam étaient déjà là : le plaisir du bricolage avec des matériaux pauvres et de récupération, l’abondance, l’amas, l’agglomération de choses et d’objets, la joie du désordre, d’un art bâtard – sans oublier le message politique sur les perversions de la globalisation et une forte volonté de valoriser les cultures issues des périphéries. Rapprocher Pascale Marthine Tayou de Thomas Hirschhorn n’est pas si faux.
L’œuvre principale du Mudam, Home Sweet Home – une adaptation d’un travail éponyme réalisé l’année dernière pour une exposition sur le foyer à la Kunsthal Charlottenborg à Copenhague – est majestueuse et fait régner une ambiance zen au musée. Mais il y a quelque chose qui cloche. Quelque chose d’autre que la prolongation complètement superflue de l’exposition vers le sous-sol, où on trouve ce qui semble être les restes de Home Sweet Home : des statues ethnicisantes faites de matériaux de récupération elles aussi ; Jpegafrica/ Africagift (œuvre datant de 2006), un tas de drapeaux africains reproduits en papier censé valoriser les identités des 54 États africains, ainsi que Colonne Pascale, une sorte de Colonne sans fin à la Brancusi faite uniquement de casseroles blanches ornées de fleurs... Non, ce qui cloche davantage, c’est le fait que le Mudam soit trop rangé pour que le travail de Pascale Marthine Tayou puisse véritablement s’épancher ici.
Alors que ses grandes rétrospectives ou expositions personnelles des dernières années, de Lille à Lyon, avaient toutes quelque chose d’explosif, une ambiance de bazar africain où l’art semblait se décliner sur tous les supports et par tous les médias, dans toutes les salles et dans les moindres recoins des lieux d’exposition, voire au-delà, jusque dans l’espace public, le moindre brin de foin est proprement aligné au Mudam – probablement de nuit par quelque genius loci magique. Alors ce travail si gai, si vivant, si évident et stimulant, ce « taudisme » joyeux, devient muséal, la rupture Nord/Sud se ressent presque, et le travail du « grand sorcier de l’utopie » comme l’avaient appelé Nicolas Bourriaud et Pier Luigi Tazzi dans une monographie en 2009, semble perdre un peu de son charme communicatif et devenir plus contemplatif.