Monique Kieffer, la directrice de la BNL, pourra déménager avec la Bibliothèque nationale dans leur nouveau bâtiment au Kirchberg d’ici 2018, alors que sa consœur Josée Kirps en est toujours au stade d’avant-projet avec les Archives nationales, dont un premier projet de construction à Belval avait fait les frais des mesures d’austérité post-crise économique. Le gouvernement vient seulement de décider, l’année dernière, que le site retenu restera le même, mais les travaux de planification ne font que (re)commencer. Les Archives n’ont pas de lobby, c’est l’adage qu’aiment à invoquer ceux qui les dirigent, et si le Parlement travaille enfin sur un projet de loi sur l’archivage, il leur faudra bel et bien aussi des espaces de stockage et de consultation dignes de ce nom. Afin donc d’augmenter la visibilité de cette institution méconnue, la directrice Josée Kirps s’est adjoint depuis un an les services de la cinéaste Beryl Koltz (Hot, hot, hot), qui a changé son orientation professionnelle et veut désormais plutôt travailler dans la conception d’expositions et d’autres projets culturels. Après Trous de mémoire, une exposition qui se veut participative et pour laquelle le public est invité à partager ses propres « trous de mémoire » (exposition toujours en cours), elle se consacre à une valorisation des utilisateurs des Archives. Cette touche humaine doit aider à rendre curieux ceux qui ne vont jamais aux archives, ou les encourager à surmonter leurs inhibitions.
Ils sont historiens, étudiants ou professeurs d’histoire, chercheurs, mais aussi généalogistes, cinéastes, architectes ou artistes plasticiens. Quatorze personnes, connues ou méconnues, se sont prêtées au jeu d’une interview filmée, très brève, sur laquelle elles racontent leur pratique archivistique et ce que cela leur apporte. Ces interviews sont complétées d’un texte sur leur axe de recherche et, en face, d’une vitrine dans laquelle sont exposés quelques-uns des documents sur lesquels ils travaillent ou ont travaillé.
Comme Ben Fayot, ancien député socialiste et professeur, qui a toujours fait des recherches historiques. « C’est, dit-il, une préoccupation de tous les jours » et que parfois, il se réveille la nuit pour prendre des notes sur son sujet (à ce moment-là, c’était l’éducation des adultes). Denis Scuto, lui, tire des parallèles entre sa carrière en tant que sportif – il était footballeur – et en tant qu’historien : malgré une défaite, il fallait rejouer le week-end suivant. En tant que chercheur, cela lui aurait appris qu’il faut surmonter les hostilités qu’on rencontre avec ses thèses et continuer, les approfondir. Il travailla, au moment de la réalisation de l’exposition, sur « La politique de l’État luxembourgeois à l’égard des migrants juifs des années 1930 aux années 1950 ». Mohamed Hamdi, étudiant en histoire et en philosophie qui s’est déjà fait remarquer par ses prises de position courageuses, a appris au cours de ses recherches sur « Les liens entre l’industrie sidérurgique luxembourgeoise et la production allemande d’armement pendant la Première Guerre mondiale », qu’il faut être très discipliné en suivant des sources historiques afin de pouvoir « interroger les dogmes », son grand idéal.
Puis il y a des gens qui ne sont pas historiens de formation, mais qui, dévorés par une passion ou en vue de la réalisation d’un projet, sont amenés à venir consulter les sources historiques. Comme Nico Steinmetz et Séverine Zimmer, l’architecte de la très contestée passerelle place Guillaume et son assistante, gestionnaire de projets artistiques par ailleurs – « la recherche est un grand moment de solitude » dira-t-il. Comme aussi le cinéaste Andy Bausch, qui travailla un moment sur l’histoire des syndicats au Luxembourg pour son documentaire sur l’OGBL, ou Catherine Lorent, artiste plasticienne, qui a écrit une thèse sur « L’art et la politique culturelle nazie au grand duché de Luxembourg de 1934 à 1944 ».
Tous ses témoignages se suivent en enfilade dans le long couloir du bâtiment historique. Beryl Koltz a attaché un soin particulier à l’esthétique de la présentation. Mais on reste sur sa faim, comme en voyant un clip publicitaire. L’exposition promet beaucoup mais n’approfondit pas vraiment le sujet : on aurait aimé écouter les témoins sur l’excitation de trouver un document rare, qui change toute la théorie établie ou la difficulté d’avoir accès à certains fonds historiques. Mais ce n’était probablement pas le propos.