Épurée de sa tête de liste, le maire sortant Charles Unsen, la liste socialiste aux élections communales de Sandweiler part avec un sérieux handicap et personne ne peut préjuger de l’impact que l’immixtion du bourgmestre sortant dans une transaction immobilière avec une ouvrière de la commune et l’embauche controversée d’une femme de ménage auront sur le choix des électeurs. Les chrétiens-sociaux, relégués dans l’opposition depuis le départ forcé à mi-mandat début 2009 de l’équipe du maire John Breuskin en 2009, comptent bien en tout cas exploiter politiquement l’affaire pour ramener à eux les électeurs. Sans tête de liste, pour montrer que les choix restent ouverts sur le nom du futur ou peut-être de la future bourgmestre, si tant est que la liste CSV rencontre le succès espéré, le CSV se dit prêt à faire alliance avec les libéraux de la liste menée par le dentiste du village, Claude Mousel, ou celle du LSAP, qui est désormais sans vrai leader, faute de consensus des camarades sur le nom de la deuxième échevine, Jacqueline Breuer. La nouvelle liste des candidats du LSAP devait être approuvée ce vendredi.
Charles Unsen, avocat à la Cour dans le civil, a finalement lâché le morceau après avoir menacé, suite aux révélations relatives à l’acquisition d’un terrain classé en zone d’aménagement à faible densité à un prix plus de quatre fois inférieur à celui que la commune a dû débourser à la même propriétaire, une femme de ménage récemment recrutée par le collège des bourgmestre et échevins. Comme l’ont résumé les Verts de Sandweiler dans un communiqué – dans la coalition sortante avec le LSAP – et telles que les informations apparaissent aussi dans les actes notariés enregistrés au bureau des hypothèques de l’Administration de l’enregistrement et des domaines, une parcelle de 3,07 ares a été vendue à la commune en date du 8 novembre par une dame de 39 ans pour un prix total de 215 000 euros. Le 23 mars, devant le même notaire, le couple Unsen acquiert auprès de la même propriétaire une parcelle de 9,08 ares bordant le premier terrain et situés tous les deux en zone d’aménagement à faible densité en déboursant 150 000 euros seulement.
Droit dans ses bottes, Charles Unsen a affirmé, dans une lettre à Alex Bodry, le président du LSAP – qui a d’ailleurs un peu forcé la main à l’élu local pour qu’il renonce à se présenter sur la liste LSAP – qu’il n’avait « absolument rien à (se) reprocher ». Mais compte tenu de la malveillance de certains individus l’empêchant « moralement » de continuer à faire son travail, pour préserver sa famille – et accessoirement aussi les chances de son parti à Sandweiler –, Unsen, après plus de trente ans de politique communale, tire sa révérence. Il dit avoir retiré sa candidature de manière définitive pour les élections du 9 octobre 2011 et considère que le débat sur son affaire immobilière est « clos définitivement ». « Je sors la tête haute », assure-t-il. Il n’est pas certain que le verdict du suffrage universel lui donne raison et que les anciens colistiers de Charles Unsen ne paient pas finalement à sa place les pots cassés dans une commune qui votera pour la première fois au scrutin proportionnel et où les intérêts personnels, les petits arrangements en famille et les rivalités claniques l’emportent souvent sur l’intérêt général. Mis à part la suspicion sur le plan de la morale et de l’éthique pesant désormais sur le maire sortant de Sandweiler, rien dans ce dossier immobilier ne serait susceptible de donner lieu à des poursuites sur un plan judiciaire.
L’affaire des parcelles de la rue de Remich n’est pas close en tout état de cause pour l’opposition, ni sans doute aussi les ennuis du maire sortant, une affaire embarrassante de recrutement d’une femme de ménage, proche de la propriétaire des parcelles incriminées, devrait bientôt remonter à la surface. Le coup devrait d’ailleurs venir du camp socialiste, pour en quelque sorte faire la démonstration de la rupture avec les pratiques du maire sortant.
Le parti chrétien-social s’apprête à faire l’arrosage des boîtes aux lettres des habitants de Sandweiler avec une feuille retraçant une affaire qui remonte déjà à 2008, du temps où la commune était dirigée par une coalition entre le CSV de John Breuskin (il s’était présenté sous la banière de La liste du bourgmestre, le dernier scrutin était encore majoritaire à Sandweiler) avec Paul Ruppert, qui conduisait la liste Aktiv fir Sandweiler, de mouvance écolo et qui roule maintenant sous la casquette Déi Gréng. Charles Unsen pour sa part conduisait la liste Fit fir Sandweiler.
Ni Simone Massard, ancienne première échevine CSV entre 2006 et 2009, ni John Breuskin, le maire dégommé, n’ont d’ailleurs envie de retrouver l’ex-partenaire des Verts à la mairie si les électeurs devaient plébisciter leur liste. « Paul Ruppert nous a joué un mauvais tour, il y a deux ans et demi et qui dit qu’il ne va pas recommencer ? », déclare Simone Massard dans un entretien au Land. « La confiance n’est plus là », ajoute-t-elle, en concluant, prudente, qu’il ne faut jamais dire jamais. En refusant de voter le budget communal en 2009 en raison de dissenssions avec le partenaire du CSV, Paul Ruppert avait en effet fait tomber la coalition issue du scrutin majoritaire du suffrage d’octobre 2005 et choisit ensuite de faire équipe avec le LSAP de Charles Unsen à la tête de Sandweiler.
L’ancienne majorité du CSV se rappelle très bien qu’en 2008, les terrains litigieux de la rue de Remich avaient fait l’objet d’un compromis d’échange de terrain à titre gratuit avec son propriétaire, aujourd’hui décédé. Au moment de passer chez le notaire pour valider la transaction avec la commune, le propriétaire se ravisa − sur les conseils de son avocat qui s’appelait à l’époque Charles Unsen – et l’échange ne put avoir lieu. Dans l’intervalle, le propriétaire mourut – il avait fait legs du terrain à sa compagne, déshéritant ainsi son fils d’un premier lit –, et une nouvelle coalition LSAP/Déi Gréng vit le jour, sans que soit résolue la pose des canalisations dans la rue de Remich. L’acquisition de la parcelle de trois ares était indispensable à la poursuite des travaux d’infrastructures.
Au collège échevinal, Charles Unsen, le nouveau bourgmestre assure à ses collègues que l’ancien compromis n’a pas de valeur juridique, l’ancien propriétaire étant décédé. « Il est avocat, nous l’avons cru. Nous aurions sans doute dû nous méfier et demander un avis juridique extérieur pour savoir ce qu’il en était de la validité de l’ancien compromis », explique Paul Ruppert au Land. « Unsen nous a dit au collège échevinal que c’était à prendre ou à laisser », assure de son côté la seconde échevine Jacqueline Breuer.
Au final, le terrain, qui devait au préalable faire l’objet d’un échange gratuit, sera payé au prix fort de 215 000 euros par la commune. John Breuskin ne décolère pas et juge l’ensemble du collège échevinal « coupable » d’avoir donné carte blanche au bourgmestre. « Je ne peux pas contrôler journalièrement les activités du bourgmestre, il y a une distribution de compétences et chacun est censé travailler dans l’intérêt de la commune, le rôle d’un échevin n’est pas de contrôler le bourgmestre », se défend le Vert Paul Ruppert.
« Quand on est échevin, il faut tout contrôler et ne pas tout le temps dire oui », lui rétorque l’ancien maire CSV. Même son de cloche chez l’ex-adjointe. Les élus chrétiens-sociaux au conseil communal avaient d’ailleurs de concert quitté la salle en guise de protestation lors de l’approbation de l’acte notarié en octobre 2010. L’incident obligea alors le bourgmestre à clôturer prématurément la séance du conseil, faute de quorum.
Les dernières semaines du mandat de Charles Unsen risquent donc d’être chahutées. Il va également devoir s’expliquer sur le contrat de travail d’une femme de ménage, parente de l’ancienne propriétaire des deux parcelles de la rue de Remich. Les deux échevins Ruppert et Breuer se souviennent avoir signé le même jour au début de cette année et à la demande de Charles Unsen deux contrats de travail pour la même personne : un premier à durée déterminée (CDD), qui prendrait fin le mois prochain, et un second à durée indéterminée (CDI). Paul Ruppert s’est rendu compte immédiatement de la bévue et biffa sa signature. Jacqueline Breuer a mis plus de temps à prendre conscience du problème : la loi n’autorise pas de signer pour une même personne et le même jour deux contrats de travail. Dans une lettre du 20 juillet dernier adressée au collège échevinal, la seconde échevine « conteste formellement » le CDD, faisant au passage remarquer que le contrat aurait été antidaté à la main au 9 mai, après qu’elle eut signé un exemplaire daté, avec un peu d’avance, à septembre 2011, sans mention du jour. « Je tiens à préciser que lors de la signature, le contrat concluait ‘ Fait en deux exemplaires, à Sandweiler, le...septembre 2011 ‘. Depuis, la date a été modifiée sans mon accord formel », écrit Jacqueline Breuer, en soulignant qu’un CDD n’avait aucun sens puisque la femme de ménage avait déjà signé un CDI. « Cette façon de procéder est tout à fait contraire aux dispositions légales et je tiens à réaffirmer ma volonté de retirer avec effet immédiat et irrévocable ma signature du contrat en question », poursuit la candidate LSAP dans sa lettre en signalant qu’en cas de non réponse à ses objections, elle contacterait le commissaire de district « pour clarifier les choses ». Contacté par le Land, le commissariat de district de Luxembourg, dont dépend Sandweiler, n’a pas été en mesure de préciser si des poursuites pouvaient être engagées ou non sur ce dossier par le ministère de l’Intérieur.
« Je pensais à l’époque qu’il s’agissait d’une erreur, je ne pouvais pas imaginer que Charles Unsen nous fasse un coup pareil », assure Paul Ruppert. « Cette affaire, prédit-il, va probablement se terminer devant le tribunal du travail ». Pourquoi pas aussi devant une autre juridiction s’il devait être suffisamment avéré que le document est bien antidaté, comme l’affirme l’échevine Jacqueline Breuer ?
En 2009, au moment du « putsch » contre le CSV, Charles Unsen, alors dans l’opposition, reprochait au maire John Breuskin d’avoir utilisé la voiture de la commune à des fins personnelles en s’étant rendu à la chasse avec ce véhicule et l’avoir fait nettoyer par des employés communaux. « Peanuts » par rapport aux faits aujourd’hui reprochés au maire socialiste sortant ?
John Breuskin savoure en tout cas sa revanche. Il n’hésite pas à remettre à la surface les « faveurs » que le collège échevinal sortant a fait envers certains habitants, comme la construction d’un mur antibruit de 48 000 euros pour isoler la propriété d’un proche du maire avec l’école et la maison relais jouxtant sa maison. « Un élu qui insupporte les cris des enfants, qui est , comme on dit ici, ‘la musique de notre avenir’, c’est quand même curieux », affirme Breuskin dans un entretien au Land.
Paul Ruppert déplore pour sa part le mélange des genres et les cas de favoritisme, notamment en matière de recrutements, dans une commune où les Verts sont présents depuis 2000 sans discontinuer. L’élu et son parti militent d’ailleurs pour un assainissement de la vie politique au niveau communal, notamment un changement de la réglementation sur les recrutements dans les communes : s’il faut l’approbation du conseil communal pour embaucher un employé communal, un accord du collège échevinal, plus facile à trouver qu’avec un conseil communal, suffit pour faire signer un contrat à un ouvrier. Une différence de traitement qui ne se justifie pas, regrette Paul Ruppert.
Y a-t-il une alternative à la coalition sortante LSAP/Déi Gréng ? Le CSV de Sandweiler, en cas de bon score, ne dirait pas non à une alliance avec le DP, qui présente une liste de onze candidats, alors que les libéraux étaient absents du scrutin lors des dernières élections communales en octobre 2005.
Paul Ruppert, qui s’était aussi brouillé avec Claude Mousel, un ancien échevin (de 2000 à 2006) et aujourd’hui tête de liste du DP, regarde la situation avec un œil sévère : « J’en ai marre, dit-il, des personnes qui ont des problèmes financiers à résoudre et qui briguent des postes à responsabilité politique ». Fils d’un agriculteur, héritier d’un gros patrimoine terrien, la famille de Claude Mousel a eu des litiges – d’ailleurs non encore définitivement tranchés – avec la commune de Sandweiler au sujet du classement de terrains dans le périmètre d’agglomération. Dans leurs plans figuraient également, selon les déclarations de l’échevin des Verts, la construction d’une station essence. De quoi faire bondir Paul Ruppert : « Nous venons, dit-il, d’écarter quelqu’un qui ne savait plus faire la différence entre ses affaires privées et l’intérêt public, je ne voudrais pas travailler avec une personne qui n’a pas encore résolu ses problèmes fonciers ».