Ils se livrent une guerre sans merci sur le champ de la représentativité de leurs organismes respectifs, que ce soit sur le plan national ou dans les entreprises. Mais quand on en vient à leurs avis sur le budget d’État présenté la semaine dernière et les mesures d’économie qui y sont prévues – sous le titre trompeur de « paquet d’avenir » –, surtout dans le domaine de la famille ou du travail et de l’emploi, l’analyse des syndicats OGBL et LCGB est la même. « L’approche du gouvernement n’est ni juste, ni socialement équitable ! » lança mardi le président du LCGB Patrick Dury, enchaînant sur le verdict que le paquet de mesures était « inacceptable » et « incohérent » pour eux. Alors que pour l’OGBL, dans un communiqué publié le même jour, le projet de budget est « socialement très déséquilibré » et affiche « la volonté du gouvernement de poursuivre et d’accentuer au cours des prochaines années la politique d’austérité totalement erronée et qui a été entamée par le gouvernement précédent ».
Quand on en vient aux mesures d’économie prévues dans le domaine du travail et de l’emploi – 67 millions d’euros en 2018, le deuxième poste après la famille –, Patrick Dury et le secrétaire général de l’OGBL, André Roeltgen, emploient carrément la même formule pour fustiger que ce gouvernement « entend combattre les chômeurs au lieu de combattre le chômage ». Le ministre socialiste du Travail et de l’Emploi le voit par contre d’un autre œil : « Il ne s’agit pas d’un paquet d’économies, dit-il vis-à-vis du Land, mais plutôt d’un paquet de réformes. Vous savez, toute notre politique dans le domaine de la lutte contre le chômage vient d’une époque où l’argent n’était pas un sujet, où on croyait qu’on pouvait résoudre tous les problèmes avec de l’argent. Or, réintégrer quelqu’un dans le marché du travail avec beaucoup de subsides, ce n’est pas très ‘durable’ comme approche. Aujourd’hui, nous voulons changer notre approche et former les chômeurs plutôt que de seulement leur donner beaucoup d’argent. »
Cher et inefficace Depuis la fin des années 1970, le gouvernement a la possibilité d’accorder une aide temporaire au réemploi au salarié qui se voit menacé de licenciement dans une entreprise s’il est embauché par un autre patron – ce qui lui évitera le passage par la case chômage. La mesure est aussi souvent appelée « reclassement ». Afin que l’employé concerné puisse continuer sa vie normalement, assumer ses frais (prêt immobilier, dépenses courantes…), l’État garantit que son nouveau salaire corresponde à 90 pour cent de l’ancien – quel que soit la rémunération concédée par le nouveau patron – et lui verse pour cela une aide qui peut atteindre plus de 4 000 euros. Or, en tout, son salaire final ne peut dépasser 6 500 euros, et ce durant au maximum quatre ans. Si, durant les premières années, seules quelques dizaines de personnes touchaient cette aide, le nombre de récipiendaires a explosé depuis les années 1990, ils étaient 200 vers 1995, 2 000 en 2004 et près de 4 000 depuis le début de la crise, causant des dépenses de l’ordre de cinquante millions d’euros annuels.
Or, il s’avère que l’aide au réemploi revient non seulement très chère à l’État, mais en plus encourage des pratiques abusives, notamment de la part des patrons. Ainsi, un certain nombre d’entre eux y ont décelé un bon moyen pour embaucher quelqu’un qui est hautement qualifié, a de l’expérience et vaudrait, dans des conditions normales, 7 000 euros par mois par exemple, pour un salaire avoisinant les 2 000 euros du salaire social minimum, l’État couvrant le delta jusqu’à un salaire acceptable pour l’employé. À l’expiration de l’aide pourtant, le poste pour cette personne n’est pas créé et le salarié souvent simplement licencié. Beaucoup de ceux qui ont touché cette aide ont vécu cela comme un mépris cruel de la part de leur patron. Dans son récent rapport sur les mesures de lutte contre le chômage, la Cour des comptes constate qu’il y a dans cette mesure « des dérives difficiles à accepter ».
Le ministre Nicolas Schmit chiffre à un millier les cas d’abus, parce que ces entreprises touchent une aide qui dépasse un niveau raisonnable. « L’État paie parfois plus du double de ce que paie le patron, c’est inacceptable et irréaliste. » Il a donc prévu de couper radicalement dans cette mesure, en la réduisant à trois ans, et surtout, en plafonnant l’aide étatique à une fois le salaire social minimum pour travailleur non qualifié, soit 1 921 euros en ce moment. « Ainsi, nous voulons en arriver à ce que le salaire proposé à une personne corresponde aux réalités du marché, à ce qu’elle vaut vraiment », explique le ministre.
« Nous avons une position diamétralement opposée à celle du ministre, rétorque André Roeltgen, le secrétaire général de l’OGBL, contacté par le Land. Nous ne contestons pas qu’il y ait des abus, mais pour les combattre, le ministre s’en prend aux employés au lieu de viser les patrons. » Pour le syndicat, il est inconcevable que le salaire final de l’employé baisse à l’arrivée, les 90 pour cent du dernier salaire devraient subsister ; pour éviter les abus, il faudrait par contre plus de contrôles de l’Inspection du travail et des mines. En tout, le gouvernement chiffre les économies qu’il réaliserait avec cette mesure à six millions d’euros en 2015 et trente millions en 2018. « Ceux qui sont au chômage seront encouragés [par de telles mesures] à accepter un travail », promit le Premier ministre Xavier Bettel (DP) à la tribune de la Chambre des députés le 14 octobre.
Privilégier les « catégories vulnérables » Une deuxième grande économie concerne l’aide aux chômeurs de longue durée, 8,5 millions d’euros en 2016, 2017 et 2018. Ici, lorsqu’un demandeur d’emploi était inscrit à l’Adem depuis un certain temps, entre un et douze mois, dépendant de son âge, l’État pouvait payer la part employeur et la part salarié des cotisations sociales en cas d’embauche. « Désormais, nous allons privilégier les catégories les plus vulnérables, donc par exemple les chômeurs âgés », affirme Nicolas Schmit. Avec sa réforme, il veut non seulement limiter l’aide au payement de la part patronale des cotisations sociales, mais augmente en plus la limite d’âge pour être éligible. Les 30 à 39 ans n’y auront plus droit « parce qu’à 35 ans, on doit encore trouver sa place sur le marché du travail », et entre 40 et 49 ans, ce remboursement est limité dans la durée, à deux ans (contre trois actuellement). Selon les derniers chiffres de l’Adem, datant de septembre 2014, presque la moitié, 44 pour cent, des demandeurs d’emploi étaient inscrits depuis plus de douze mois, et donc considérés comme chômeurs de longue durée et auraient donc eu droit à cette aide en cas d’embauche avec le système actuel.
S’il s’agit de protéger les « catégories les plus vulnérables » sur le marché du travail, donc par exemple les travailleurs âgés, André Roeltgen comprend encore moins la simple suppression de la préretraite-solidarité, ce qui permettra de faire cinq millions d’euros d’économie par an d’ici 2016. « Ce projet existe depuis longtemps, affirme-t-il, déjà en 2012, nous avions fait part au ministre de notre opposition formelle à cette réforme. Nous ne sommes pas contre une discussion sur le travail des salariés plus âgés et les moyens à mettre en œuvre pour les garder sur le marché de l’emploi. Mais nous avons l’impression qu’on ne nous écoute pas, que toutes nos propositions sont balayées d’un revers de la main.
La crise est-elle terminée ? Ce qui fait vraiment sortir de leurs gonds les syndicats, ce sont les lignes concernant le « non-renouvellement des mesures temporaires » en matière d’indemnités de chômage ou en matière de chômage partiel « pour revenir au régime de droit commun », soit encore une fois un poste de quelque vingt millions d’euros d’économies en 2018. Des plans qui ne furent jamais discutés au Comité permanent du travail et de l’emploi, selon André Roeltgen. « Pour nous, le ministre a donc officiellement déclaré que la crise était finie », note, sarcastique, le secrétaire général de l’OGBL. Ces mesures furent introduites en 2009, en pleine crise, pour assurer une meilleure protection de l’emploi : prolongation des durées pendant lesquelles certains seuils de l’indemnité de chômage sont assurés, allègement des mesures d’obtention du chômage partiel en difficultés.
Pas plus tard que mardi, le Comité de conjoncture a accordé à 23 entreprises le droit d’avoir recours au mécanisme de chômage partiel ; sur 4 260 personnes en tout, 1 850 salariés travailleront à horaire réduit durant le mois de novembre. En investissant une aide pouvant aller jusqu’à 1,7 million d’euros ce mois-là par le biais du Fonds pour l’emploi, sous forme de remboursement à l’entreprise d’une partie de salaires normalement perçus par les employés, l’État évite ainsi des licenciements des employés concernés. Ce régime est surtout applicable pour les entreprises ayant des problèmes économiques structurels. Au sortir de la réunion du Comité de conjoncture, la secrétaire d’État à l’Économie Francine Closener (LSAP) déclara, dans le communiqué, que « les incertitudes liées à la crise ukrainienne et surtout le ralentissement économique en Chine se font ressentir négativement sur les carnets de commandes de certaines entreprises luxembourgeoises opérant sur des marchés étrangers ». Une indication évidente que l’économie n’aurait pas encore repris.
Hausse constante du chômage Un deuxième indicateur de la reprise qui tarde sont les chiffres du chômage, qui ne cessent de s’aggraver : une hausse de 5,2 pour cent en un an, à 7,2 pour cent en septembre 2014. 7 100 personnes touchent désormais l’indemnité de chômage et 5 100 sont dans une mesure pour l’emploi. En cinq ans, entre 2013 et 2018, les dépenses pour le Fonds pour l’emploi augmenteront de 90 millions d’euros, à 769 millions, selon les prévisions pluriannuelles du gouvernement. Une somme énorme dans laquelle les 67 millions d’économies prévues dans le « paquet d’avenir » ne représentent finalement que moins de dix pour cent des dépenses.
« Je ne comprends pas le ministre du Travail, dit encore André Roeltgen. Sur le plan européen, il s’engage tout le temps contre le dumping social et pour la fin de la politique d’austérité, et au Luxembourg, il pratique le contraire et applique sans broncher toutes les recommandations anti-sociales qui nous viennent de Bruxelles ! »
L’affirmation, mardi, du président du LCGB que Nicolas Schmit était « le ministre de l’OGBL » ne semble pas perçu de la même manière à Esch-sur-Alzette.