L’Agence pour le développement de l’emploi (Adem) ne veut, à ce stade, pas prendre position ni donner d’informations sur le projet de règlement grand-ducal « définissant les critères de l’emploi approprié » adopté en conseil des ministres le 19 mars et envoyé par la suite aux chambres des partenaires sociaux pour avis. Cette réticence à défendre la réforme, prouve à quel degré le projet est sensible. Hier, jeudi, le syndicat OGBL le jugeait « inacceptable » dans un communiqué. Le 10 avril, la Chambre des salariés (CSL) a rendu un avis dévastateur sur le texte, fustigeant non seulement « l’absence de collaboration avec les partenaires sociaux » en amont de la rédaction du projet de règlement, notamment par le biais du comité de suivi créé en 2012, mais aussi son manque de précision ou, au moins, une évaluation publique des critères actuels, de leur application et de leurs limites au quotidien. Ce qui aurait été facile, car déjà le règlement en vigueur, qui remonte à 1983, impose, dans son article 12, que « chaque année, le directeur de l’administration de l’emploi fera rapport au Gouvernement et à la commission nationale de l’emploi sur l’application des dispositions du présent règlement ». Or, regrette la CSL, ces rapports, s’ils existent, restent secrets. On n’en trouve aucune trace dans la rapport annuel de l’Adem (dernière année disponible : 2012).
« La recherche d’un nouvel emploi est l’activité prioritaire du demandeur d’emploi », affirme l’Adem sur sa page Internet, section « accepter un emploi ». Et ce continuer : « Il est donc sous-entendu que le demandeur d’emploi ne peut pas refuser sans motifs valables et convainquants (sic) un emploi lui proposé ». Ou : « Contrairement aux rumeurs qui circulent, le demandeur d’emploi ne peut pas refuser trois offres avant qu’il ne risque d’être sanctionné. Un seul refus non-justifié d’un emploi peut entraîner le retrait des indemnités de chômage complet ». En 2012, 12 789 personnes ont soumis une demande d’indemnisation du chômage complet, 11 439 demandes ont été avisées favorablement et seulement dans 222 cas cette indemnisation a été retirée pour « refus de travail / refus d’occupation temporaire / refus de participation à des stages ou cours / rupture de mesure ou abandon de cours ou stages de formation ». Il s’agit donc d’une population extrêmement minoritaire dans celle des demandeurs d’emploi.
Mais voilà : les frais de la gestion du chômage explosent. En 2012, l’État a dépensé plus de 233 millions d’euros en indemnisations (contre 109 millions il y a dix ans et 39 millions il y a vingt ans). Le projet de budget de l’État prévoit des dépenses de l’ordre de presque 527 millions d’euros pour le seul Fonds pour l’emploi en 2014 (280 millions d’euros prévus pour l’indemnisation du chômage complet) – et le gouvernement veut faire des économies. Avec un taux de chômage ayant dépassé les sept pour cent de la population active, 20 000 demandeurs d’emploi inscrits à l’Adem et 8 330 chômeurs indemnisés (chiffres ; janvier 2014, Adem), il ne semble plus y avoir de petites économies. Ce qui compte, c’est le message, la philosophie, qui dit en gros ceci : les temps sont durs pour tout le monde, celui qui veut travailler peut le faire (3 310 emplois sont restés vacants fin janvier), ce n’est pas le moment de faire son difficile. La notion « d’emploi acceptable » – les Allemands utilisent le terme barbare de « Zumutbarkeitsklausel » – devient alors de plus en plus floue, un instrument pour punir un demandeur qui n’accepterait pas un emploi plutôt qu’une garantie de sa protection. Pour l’administration, l’abus est toujours du côté du demandeur d’emploi. Or, comme le rappelle la CSL dans son avis alarmiste, l’abus peut aussi émaner des employeurs, voire même de l’administration.
La partie de la réforme mise en avant dans la communication politique autour du projet de règlement, aussi bien par le ministre du Travail Nicolas Schmit (LSAP) que par le Premier ministre Xavier Bettel (DP) est l’abolition des aides à la mobilité géographique : actuellement encore, un demandeur peut demander une indemnité s’il accepte de se déplacer à plus de quinze kilomètres de son lieu de résidence pour aller travailler. La mesure remonte à une époque où les transports en commun pouvaient être plus rudimentaires et où un chômeur sans permis de conduire pouvait avoir du mal à se rendre à son travail. En 2013, 168 de telles demandes ont été soumises, pour une somme de 120 624 euros. « Les conditions d’attribution font ressortir l’absurdité dans la mesure où on fait état des 158 350 frontaliers qui traversent journellement les frontières et acceptent un trajet journalier de loin supérieur à seize kilomètres pour venir travailler au grand-duché », écrivent les auteurs du projet de règlement dans l’exposé des motifs.
Si cette abolition d’une prime désuète peut sembler acceptable, beaucoup d’autres mesures cachées dans le texte vont beaucoup plus loin. La plus violente est la réduction du délai de douze à trois mois au-delà duquel un demandeur indemnisé doit accepter un emploi à temps partiel. Celui qui cherchait un emploi à temps plein, quarante heures par semaine, devra accepter un poste à 32 ou à vingt heures. « La diminution du délai de douze à trois mois devrait permettre au demandeur d’emploi de se rendre compte de sa situation, écrivent les auteurs du texte, et qu’il n’appartient pas seulement à l’Agence pour le développement de l’emploi de lui retrouver un emploi, mais que de son côté, il doit s’activer et déployer tous les moyens pour rechercher un poste de travail ». Or, regrette la CSL, il n’est précisé nulle part si le demandeur reçoit un complément d’indemnisation à ce salaire partiel qui lui sera proposé, sinon cette obligation d’accepter un emploi partiel équivaudrait forcément à une dégradation importante de son salaire et mènerait vers « des situations de précarité extrêmes » (l’Adem était injoignable pour donner des précisions, ndlr.).
Or, selon l’article 2 (inchangé), un emploi n’est jugé « approprié » que s’il est « rémunéré à un niveau au moins égal à celui de l’indemnité de chômage complet à laquelle le demandeur peut prétendre » (soit 80 pour cent de son dernier salaire, avec un plafonnement à 2,5 fois le salaire social minimum). En outre, l’emploi proposé doit être « apparenté à la profession antérieure du demandeur d’emploi, sans être identique à son emploi antérieur, compte tenu de sa qualification et de son expérience professionnelle ». C’est sur ce point que la CSL voit des risques d’arbitraire de la part des placeurs de l’Adem. Elle demande l’introduction de critères objectifs qui permettent de guider le conseiller professionnel, qui doit être compétent et connaître les différentes formations et les emplois existants. Chacun a dans son entourage un demandeur d’emploi qui regorge d’anecdotes des postes les plus absurdes auxquels il a été assigné parce que son « conseiller professionnel » faisait un amalgame abracadabrant. En 2012, plus de 97 000 de ces tentatives de placement, appelées « propositions d’emploi », ont été réalisées par les placeurs de l’Adem.
Le projet de règlement durcit aussi les conditions dans lesquelles un demandeur d’emploi peut refuser un poste : ni la durée de déplacement (conduire trois heures pour en travailler quatre par jour ?), ni la situation familiale (être monoparental avec trois enfants à charge ?) ne seront, en principe, prises en considération pour apprécier si le poste est approprié. Le demandeur ne pourra plus refuser un emploi comportant un emploi posté ou qui implique de travailler le week-end. Pour toutes ces conditions, des situations « particulièrement graves » peuvent faire exception à la règle, mais la charge de la preuve incombe alors au demandeur. En outre, un demandeur qui avait un emploi volontaire à temps partiel – une femme qui voulait garder un peu de temps pour ses enfants par exemple –, « doit devenir flexible et accepter un poste offert même s’il comporte un nombre d’heures supplémentaires à travailler par rapport à son travail d’avant. » Finies les après-midi pour conduire les enfants au sport ou faire les devoirs à domicile, s’occuper d’un parent malade, poursuivre une formation ou faire du bénévolat.
En temps de crise et d’explosion du taux de chômage, les individus se fondent dans une « masse salariale » que l’État gère et utilise à sa guise. De manière à pouvoir prouver, dans sa prochaine déclaration politique, que les chiffres baissent. Sinon le nombre de demandeurs d’emploi, au moins les sommes investies dans leur indemnisation.