« Ce ne sera pas un carnage en matière de plans sociaux, » estime Thierry Schuman, membre du Comité de direction et responsable des ressources humaines de tous les employés de la BGL-BNP Paribas au Luxembourg, lorsqu’il se projette dans l’emploi bancaire d’ici dix ou quinze ans. Mais après le 1er janvier 2015, l’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations, le profil des employés de la banque changera encore une fois. Un changement qu’il voit en réalité dans la continuité des dernières années, dont certaines étapes furent consécutives à l’évolution technologique – dématérialisation, banque électronique –, alors que d’autres sont dues à la modification du cadre réglementaire.
« Quand je regarde l’activité de la banque il y a vingt ou trente ans, il y avait alors quatre grands domaines d’activité dans lesquels travaillaient les employés, dont deux ont déjà complètement disparu – ou presque », explique Thierry Schuman : les activités basiques de change et des paiements, qui employaient « des armées » de petites mains ont été rendues superfétatoires par l’introduction de l’euro et la généralisation du virement électronique. La gestion des titres, idem, beaucoup d’emplois à faible qualification – gérer matériellement les titres et le paiement des coupons – devenus superflus depuis la dématérialisation. De ces métiers-là, il doit rester dix, tout au plus vingt pour cent des emplois initiaux.
Puis il y a l’activité retail classique, celle qui s’adresse aux clients autochtones, privés ou commerciaux, « pas de changements à la baisse de ce côté-là, prédit-il, au contraire : les gens ont plus d’argent et cherchent à optimiser leurs revenus. » En quatrième et dernier lieu, la clientèle non-résidente, dont d’abord ce fameux « dentiste belge » : « C’était à une époque où le taux d’intérêt se situait à dix, onze ou douze pour cent et où ces gens-là devaient payer des impôts chez eux – mais rien chez nous, où ils plaçaient leur argent. » Ce sont ces clients qui vont disparaître d’ici 2015, qui sont déjà en train de partir. Partiellement à cause de l’échange d’information qui s’annonce, affirme Thierry Schuman, mais seulement partiellement : la majorité d’entre eux se font vieux aussi, et s’inquiètent des impôts sur la succession qui attendent leurs héritiers, alors beaucoup préfèrent partager une partie de leurs richesses dès aujourd’hui. « C’était une clientèle très facile, qui n’avait pas beaucoup d’exigences, » se souvient-il. Parmi les plus grandes fortunes, par contre, beaucoup sont prêts à rester au Luxembourg, en régularisant tout simplement leur situation auprès de leur fisc, « pour des raisons de discrétion surtout, ils ne veulent pas qu’on connaisse leur fortune. » Ils ont recours à un compte à l’étranger pour éviter que leur fortune s’ébruite trop.
« Aujourd’hui, constate Thierry Schuman, nous devons nous réorienter vers les activités de conseil pour cette clientèle-là. » L’employé de banque sera désormais un conseiller, qui aide son client à optimiser sa fortune : analyser chaque situation personnelle selon le pays de résidence du client, connaître les législations respectives en vigueur et ce qui concerne les barèmes d’impôt, la législation sur les successions, définir le profil d’investisseur du client... « Ce seront quasiment des ‘ingénieurs patrimoniaux’, » affirme l’homme à l’éternel nœud papillon. La banque organise déjà des formations internes pour ses employés, leur permettant de mieux connaître les législations et leurs dernières évolutions.
Un deuxième volet relativement récent de l’activité bancaire, qui demande de la main d’œuvre qualifiée, c’est celui de la régulation : « Les gouvernements considèrent désormais un peu les banques comme la prolongation de leur police, constate-t-il, nous devons constituer de véritables petites troupes de gens qui ‘démontent’ ou fouillent le patrimoine de nos clients jusque dans le moindre recoin et en font le reporting. » Ce sont les conséquences de la lutte contre le terrorisme post 9-11, où chaque virement inhabituel et chaque placement d’une somme inattendue doivent être considérés comme potentiellement dangereux. Or, ces activités coûtent à la banque, mais ne rapportent rien, lorsque ce ne sera plus rentable, elles fermeront, estime Thierry Schuman. Donc les plus petites fermeront – une cinquantaine de banques risqueraient de mettre la clé sous le paillasson affirment des observateurs, comme récemment encore l’avocat Alain Steichen.
Lorsque l’activité bancaire évolue vers le private banking et le conseil personnalisé, le profil des employés devra s’adapter aussi : « Les banques ne vont plus recruter comme par le passé, ça c’est certain » prédit encore Thierry Schuman : finie l’embauche à la sortie du lycée, aussi parce que ceux qui ont du talent cherchent désormais à avoir un diplôme universitaire en économie ou en droit, les profils classiques. Même si Thierry Schuman aime aussi les profils hétérodoxes pour des postes bancaires, il a récemment recruté une jeune femme avec une formation de styliste de mode, à partir du moment où la motivation est là. Et puis ceux qui partiront à la retraite d’ici dix ou quinze ans ne seront probablement plus remplacés.
BGL-BNP Paribas emploie quelque 4 200 personnes dans tout le groupe au Luxembourg, dont 2 350 postes dans la seule activité bancaire, ce qui fait d’elle le principal employeur du secteur. Son directeur des ressources humaines prévoit qu’ils seront 200 à 300 de moins après la mue du secteur. « Mais vous savez, nous avons aussi de nouveaux clients qui arrivent, conclut-il, parce que nous n’avons plus si mauvaise réputation. Ce n’est plus suspect d’avoir un compte au Luxembourg ! »