Début avril, les économistes de la banque Goldman Sachs ont diffusé une note alarmante sur le chômage dans la zone euro, où il touche 19 millions de personnes. Depuis début 2008, son taux moyen est passé de 7,3 à douze pour cent de la population active, contre 7,6 pour cent dans l’OCDE. À trois exceptions près (la Grèce et l’Espagne où il a explosé, et l’Allemagne où il a baissé) le chômage, dont les niveaux restent très différents d’un pays à l’autre, a globalement évolué de la même façon dans les différents pays de la zone euro, et le retour aux niveaux d’avant la crise n’est pas pour demain.
Les chiffres les plus récemment publiés confirment malheureusement ces funestes prévisions, comme en France : Elle compte désormais 3,35 millions de sans-emploi au sens étroit (ceux qui n’ont pas du tout travaillé pendant un mois) mais près de cinq millions en considérant ceux qui ont travaillé quelques heures, et même 5,7 millions, soit vingt pour cent de la population active en comptant ceux qui sont en stage, en formation ou « dispensés de recherche ». Après une année 2013 marquée par un recul de 0,4 pour cent du PIB des pays de la zone euro, la reprise économique prévue pour 2014 et 2015 sera bien trop modeste pour permettre une résorption importante du chômage.
Selon l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), la croissance ne sera que 1,3 pour cent cette année, et de 1,6 pour cent la suivante, du coup, le taux de chômage se maintiendra à un niveau élevé : 11,8 pour cent en 2014 et 11,6 pour cent en 2015, ce qui fait craindre à plusieurs économistes, comme l’ancien président du FMI Dominique Strauss-Kahn le déclenchement de troubles sociaux.
L’OFCE estime que les politiques d’austérité budgétaire ont un effet dépressif et amputent le potentiel de croissance de 0,4 à 0,5 point chaque année. Or ce supplément serait le bienvenu pour réduire plus fortement le chômage.
Un avis qui n’est pas partagé par Goldman Sachs, pour qui la composante conjoncturelle du chômage n’explique que vingt pour cent de son niveau. Ce qui signifie qu’une reprise économique plus soutenue, obtenue grâce au « plus grand assouplissement monétaire » que le FMI a recommandé à la Banque centrale européenne, ne permettrait de faire descendre le taux de chômage qu’à dix pour cent environ. Ce serait appréciable mais encore insuffisant, d’autant qu’il s’agit d’une moyenne européenne : dans certains pays comme la Grèce ou l’Espagne le taux se situerait toujours aux environs de vingt pour cent
D’où l’intérêt porté aux mesures propres à s’attaquer aux racines du fléau, et à diminuer le chômage structurel. Un document publié à la mi-avril fait un tour d’horizon des outils « anti-chômage » mis en place dans six pays.
L’Allemagne et le Danemark sont souvent cités comme exemples de réussites, les taux de chômage (respectivement 6,7 pour cent et 5,3 pour cent fin février) y étant parmi les plus bas en Europe. Les Allemands ont connu une baisse remarquable, car leur taux culminait à 11,5 pour cent en avril 2005, en période de croissance. Ils récoltent maintenant les fruits des réformes de « flexibilisation » du marché du travail menées entre 2003 et 2005 par le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder.Symbole de cette politique : les « minijobs ». Ces contrats précaires, sans charges sociales et dont la rémunération est plafonnée à 450 euros par mois, concernent plus de sept millions de salariés. Ils facilitent les démarches administratives des employeurs – une feuille A4 suffit pour déclarer un salarié – et permettent des horaires de travail flexibles. Ils sont toutefois décriés, car accusés d’entretenir la pauvreté. Par ailleurs le recours massif au chômage partiel en Allemagne a permis d’y limiter les licenciements au plus fort de la crise, de sorte que le chômage a continué à baisser depuis 2008 !
De son côté, le Danemark est devenu la patrie de la « flexisécurité ». Ce modèle allie « flexibilité » pour les employeurs, qui peuvent embaucher et licencier facilement, et « sécurité » pour les employés, qui bénéficient d’une généreuse protection sociale et d’une aide active pour réintégrer le marché du travail. Mais depuis le début de la crise, rigueur budgétaire oblige, les règles d’éligibilité aux aides sociales ont dû être durcies et la période d’allocations-chômage a été divisée par deux.
Face à la crise, le Royaume-Uni et la Suède ont, de leur côté, opté pour des solutions libérales qui commencent à porter leurs fruits : les deux pays ont renoué avec la croissance en 2013, même si elle reste modeste (respectivement + 1,7 pour cent et +1,5 pour cent).
Ce redémarrage a profité à l’emploi outre-Manche, où le taux de chômage est passé de 7,8 pour cent au début 2013 à 6,9 pour cent au début 2014, mais pas encore en Suède, où il oscille autour de huit pour cent depuis plus d’un an.
Pour parvenir à ce résultat, les deux pays ont mis l’accent sur le soutien aux entreprises. Après avoir réduit les cotisations patronales, Londres a annoncé pour 2015 la fin des cotisations salariales et patronales pour les moins de 21 ans et une baisse de l’impôt sur les sociétés de 28 à 20 pour cent Le gouvernement Cameron a aussi réformé l’État providence, taillant dans les dépenses sociales et plafonnant les aides. Baisses de cotisations aussi en Suède, où d’autre part la TVA a été divisée par deux (de 25 pour cent à 12 pour cent) dans la restauration, une activité fortement consommatrice de main-d’oeuvre. Les bons chiffres britanniques cachent toutefois une explosion des contrats « zéro heure » où l’employeur n’est pas obligé de fixer un temps de travail minimal ni un salaire minimum, le salarié s’engageant à être disponible à tout moment pour travailler suivant les besoins et n’étant payé que pour les heures effectivement assurées. Quant à la Suède, les économistes y ont sévèrement jugé les mesures d’aide au retour à l’emploi.
L’Italie et l’Espagne sont parmi les pays les plus minés par le chômage, avec néanmoins une différence de taille. Malgré un record de treize pour cent en février, le taux de chômage en Italie reste encore deux fois moins élevé qu’en Espagne (25,7 pour cent fin 2013) !
Madrid a tenté de relancer le marché du travail par plus de flexibilité, José Luis Zapatero (socialiste) et Mariamo Rajoy (droite libérale) réduisant tour à tour les indemnités de licenciement. Dans la même veine, M. Rajoy a instauré en 2010 un nouveau contrat à durée indéterminée avec une période d’essai d’un an, permis les licenciements économiques dans certains organismes publics, et supprimé en partie l’autorisation administrative de licenciement. En février 2014, il a annoncé une réduction des cotisations patronales à cent euros par mois pendant deux ans pour tout nouveau contrat d’au moins trois ans.
L’Italie, aussi, a opté pour la «flexibilisation». Mario Monti a lancé le processus en 2012, en facilitant les licenciements économiques. Le nouveau président du conseil, Matteo Renzi, poursuit sur cette voie avec son « Jobs act », qui prévoit entre autres l’allongement à trois ans des contrats flexibles à durée déterminée et une simplification de l’apprentissage. Cette dernière réforme vise les jeunes actifs, frappés de plein fouet par le chômage (42,3 pour cent en février, soit le double du niveau de 2008).
Partout en Europe, le souci de diminuer le coût du travail porte particulièrement sur l’emploi des jeunes. Ainsi, sur les 22 États de l’UE où il existe un salaire minimum, huit en ont totalement exclu cette catégorie, pour faciliter les embauches. Mais en France où le patronat a, très timidement, proposé un salaire minimum plus faible pour les jeunes, le tollé a été général. L’opposition la plus forte est venue… de l’ancienne présidente du syndicat patronal le Medef, qui a qualifié cette mesure « d’esclavagiste » ! On mesure le chemin qui reste à parcourir.