Dix ans déjà ! Ont été fêtées en grande pompe les noces d’étain entre Dudelange et son centre culturel, témoin privilégié, une décennie durant, de l’histoire d’amour vécue entre les concerts de jazz qui y sont organisés et l’irréductible public autochtone. Pour marquer le coup, quatre soirées ont été proposées à Opderschmelz, sur deux semaines.
Les équipes de Danielle Igniti ont lancé les hostilités en programmant le premier décembre The Ods residents, succession de trois concerts d’artistes jazz luxembourgeois qui ont bénéficié un jour ou l’autre d’une résidence artistique dans les lieux. Ainsi la soirée s’est ouverte sur Lux Project : missing sigi, projet commun de Jeff Herr, Michel Reis et Marc Demuth, et s’est prolongée avec des sets du Pit Dahm trio et du Pol Belardi’s Force. En somme, une multitude de jeunes talents, trop lisses selon les mauvaises langues, mais toujours efficaces sur scène. Le 3 décembre, changement de registre, une partie des musiciens d’United instruments of Lucilin a présenté Bach and present, mix entre musique classique et nouvelle. Le 7, c’est Pascal Schumacher, bien accompagné, qui a réinterprété son répertoire. Enfin, le samedi 9 décembre, les spectateurs présents ont eu la chance de vivre un concert dantesque, celui du duo formé entre Benoît Martiny et Michel Pilz, mais nous y reviendrons. Retour sur la seconde moitié des quatre shows proposés au public.
Jeudi 3 décembre donc, le grand auditoire est bondé, le gratin de la scène culturelle du pays est présent pour voir et écouter l’un des leurs, le vibraphoniste Pascal Schumacher, une des figures de proue du jazz autochtone. Lui a été proposé de réécrire certains de ses morceaux, dont bon nombre ont été joués dans le temple dudelangeois au cours de la décennie. Pour l’occasion, il partage la scène avec le Quatuor Adastra composé de Julien Moquet et Natasia Dugardin aux violons, Marion Abeilhou à l’alto et David Poro au violoncelle. Tous sont rejoints périodiquement par Aniela Stoffels à la flûte. Après vingt minutes d’attente, le spectacle débute enfin par Start here, trépidante composition originale pour le quatuor à cordes. Un intriguant leitmotiv joué en canon se déroule durant plusieurs minutes. Au climax, les cordes se raidissent et se taisent pour laisser place aux touches du vibraphone. Ensorcellement, effluves de notes colorées mais inquiétantes. Une heure et demie durant les morceaux défilent et sont entrecoupés par des interventions, interminables mais amusantes, du vibraphoniste. Les cinq musiciens qui l’accompagnent font le job, c’est impeccable. Quelques ombres au tableau, des utilisations hasardeuses et anecdotiques d’effets sonores. Par ailleurs, la moitié du temps, Pascal Schumacher délaisse ses baguettes pour se mettre au piano. Son plaisir est, il est vrai, communicatif, cependant le constat reste simple : n’est pas grand pianiste qui veut. Être un virtuose du vibraphone, c’est déjà pas si mal, après tout.
Le samedi soir, tous les sièges ne sont pas occupés, mais qu’à cela ne tienne, le show est assuré. Le batteur Benoît Martiny et le clarinettiste Michel Pilz présentent leur projet commun De Gudde Wëllen. Ils entrent en scène sous des applaudissements encore timides. Roulement de tambour, la clarinette basse retentit, les cymbales s’entrechoquent, les deux musiciens effectuent un ping-pong musical tonitruant. Durant un morceau, le trompettiste Itaru Oki rejoint très discrètement les deux comparses jusqu’à ce que sa trompette résonne. Il change régulièrement d’instrument, d’une double flûte à des cuivres insolites qui partent dans tous les sens, l’harmonie est totale. Les applaudissements s’intensifient. Steve Kaspar est aussi présent dans un coin de la scène, ses effets sonores sont plutôt en adéquation avec l’ambiance. Par ailleurs la scénographie est elle aussi irréprochable et tranche avec les quelques effets de lumières habituels, usés jusqu’à la moelle (sans rancune). Benoît Martiny, qui avait habitué les spectateurs à offrir un jeu très dynamique sur ses compositions plutôt rock via son band, prouve qu’il est tout autant capable de s’affirmer dans du jazz pur jus. Concernant Michel Pilz, sa clarinette basse et son free jazz, c’est évidemment sans commentaire car toujours aussi jouissif.
La soirée se termine au bar. Les bougies ont été soufflées, le rendez-vous est pris pour les noces de porcelaine.