Films luxembourgeois ou star hollywoodienne ? Comme lors de chaque festival, les cinéphiles doivent faire leurs choix durant la septième édition du Luxembourg City Film Festival, qui se termine ce dimanche 12 mars. Dimanche et lundi derniers, cette question les mettait devant le choix entre des films luxembourgeois et un événement people comme la venue de Ray Liotta, acteur américain connu surtout pour avoir joué aux côtés de
Robert de Niro dans le mythique Goodfellas de
Martin Scorsese (1990). Dimanche soir, Liotta assistait à la projection de son dernier film, Sticky Notes (Amanda Sharp, 2016) et recevait un lifetime achievment award du Luxfilmfest (attribué pour la première fois) dans une salle d’Utopolis. Celle juste à côté de celle où se tenait la première luxembourgeoise du long-métrage Barrage de la Luxembourgeoise Laura Schroerder, fraîchement revenue de sa sélection au Forum de la Berlinale. Lundi à la Cinémathèque, Ray Liotta donnait une interview publique à Boyd van Hoeij, critique de cinéma pour le Hollywood Reporter originaire du Luxembourg et membre du comité de sélection du Film Fund, alors qu’à l’Utopolis au Kirchberg avait lieu la difficile soirée court-métrages luxembourgeois organisée chaque année par le Film Fund dans le cadre du festival.
Difficile, parce qu’elle présente chaque année des films de qualité très inégale, du film d’amateur ou de débutant à l’exercice de style du professionnel aguerri. La soirée s’avérait particulièrement fastidieuse cette année, parce qu’elle proposait six films on ne peut plus différents. Par exemple deux films étrangers (un français, Ce qu’il reste de toi de Kevin Dresse, sélectionné parce que le réalisateur travaille comme technicien du cinéma au Luxembourg ; et un film italien, Chernobyl de Franco Dipietro, retenu parce que Antevita Films de Raoul Nadalet a participé à sa production) et un film basé sur un scénario écrit dans le cadre du concours pour jeunes Crème fraîche du SNJ en 2016 et réalisé par Claude Lahr, 818. Puis il y avait un film quasi amateur, The Past we live in de Jérôme Weber, et deux courts de réalisateurs confirmés, Fils, film d’épouvante de Cyrus Neshvad et Sur le fil de Thierry Besseling et Loïc Tanson. La qualité de ces films est aussi inégale que sont différents les CVs des réalisateurs et les modes de production ou de financement de ces œuvres. Entre l’ambiance dense du drame intimiste de Kevin Dresse, l’esthétisme du duo Besseling/Tanson dans la mise en place de leurs personnages (dont une lionne) et de leur cadre et le premier degré lourdement démonstratif du film de guerre de Jérôme Weber, il n’y a pas photo. La soirée posait donc à nouveau clairement la question de la sélection : Qui décide ce qui est montré ce soir-là ? Et selon quels critères ? Comme chaque année, la grande salle était comble de proches des réalisateurs et de beaucoup de professionnels autochtones, pour lesquels les courts-métrages représentent aussi quelques jours de tournage – et donc de travail – par an, qui permettent de boucler leurs budgets et d’atteindre le nombre de jours d’activité nécessaires pour remplir le statut d’intermittent.
Sélectionneurs Pour la soirée des courts-métrages, la sélection est faite en interne au Film Fund, qui décide sur base des films disponibles à ce moment-là. Pour cela, il ne retient pas uniquement les films qu’il a cofinancés – pour les courts-métrages, cette aide à la production peut atteindre jusqu’à 120 000 euros –, mais parmi toutes les œuvres qui lui sont soumises. Donc si cette année, les films projetés étaient particulièrement décevants, c’est surtout parce que l’offre de films achevés était si modeste. Peut-être aurait-il fallu l’annuler ?
Après la projection toutefois, dans les couloirs d’Utopolis, la colère des producteurs et réalisateurs autochtones à l’encontre du comité de sélection du festival montait. Bady Minck, qui présentait son dernier film Mappamundi ce mercredi soir (voir page 15), ensemble avec Die Nacht der 1 000 Stunden de Virgil Widrich, coproduit par sa société Amour Fou, l’a clairement articulé face au Luxemburger Wort de ce mardi : pourquoi les films made in Luxembourg (ils sont quatorze en tout au festival, toutes catégories confondues), sont-ils ghettoïsés dans une section parallèle ? Pourquoi n’ont-ils pas été retenus pour la compétition, ni même en ouverture, alors qu’ils reviennent de festivals comme Berlin ou Sundance ? Qui décide ?
Le Luxembourg City Film Festival est une asbl présidée par l’ancienne ministre, maire et députée libérale Colette Flesch. Elle est gérée par un conseil d’administration de dix personnes constitué de professionnels du cinéma et de fonctionnaires culturels. Le comité artistique, qui regarde les films qui lui sont soumis ou qu’il déniche et qui sélectionne la cinquantaine qui sera montrée, dont une dizaine pour la compétition officielle (plus sept pour la compétition documentaire), se compose de onze personnes : Claude Bertemes et Nicole Dahlen (Cinémathèque) Frank Grotz, Joy Hoffmann, Alexis Juncosa et
Gladys Lazareff (employés du festival), Françoise Lentz (du Film Fund), Juliette Naïditch, Duncan Roberts (Delano), Nico Simon (ancien directeur du groupe Utopia) et Viviane Thill (CNA). Ils revendiquent leur autonomie de sélection dans une organisation hautement politisée – l’invitation à la séance d’ouverture se lisait comme celle d’un congrès du DP : le ministre de la Culture Xavier Bettel, son secrétaire d’État Guy Arendt, la bourgmestre de la capitale
Lydie Polfer et la présidente Colette Flesch, donc, sont tous membres du DP. « Pour les films luxembourgeois, nous appliquons les mêmes critères de qualité que ceux que nous nous sommes donnés pour les films internationaux », avait souligné Viviane Thill lors de la conférence de presse. Cette absence de films luxembourgeois dans la sélection officielle serait « malencontreuse » juge, pour sa part, le directeur du Film Fund, Guy Daleiden, face au Land. Ce bras de fer entre le festival et le Film Fund dure depuis les débuts du festival. Le Film Fund investit 80 000 euros « afin que les films luxembourgeois soient montrés » (dont 30 000 dans le pavillon de réalité virtuelle, voir page 17) dans une organisation qui dispose d’un peu plus d’un million d’euros provenant à parts égales de 300 000 euros de la Ville et de l’État, ainsi que de sponsoring privé, notamment de la part du groupe Kinépolis pour les salles.
Protectionnisme ? Or, les films financés par les deniers publics, une trentaine de millions d’euros annuels, ont déjà passé un comité de sélection, qui lui, se compose de Guy Daleiden, Boyd van Hoeij (critique de cinéma), la professionnelle du cinéma suisse Rachel Schmid, Jean-Louis Scheffen (critique de cinéma, qui en est le président) et de Karin Schockweiler (Film Fund). Les films sont retenus ou rejetés sur base d’un scénario, d’un plan de financement et d’une défense orale des producteurs et réalisateurs devant le comité. Ce jury rate aussi des films, comme le nouveau long-métrage d’Antoine Prum, Blue for a moment, sur le percussionniste expérimental Sven-Åke Johansson, qui sera présenté à Dudelange vendredi prochain. Mais le Film Fund estime probablement que, si les films sont assez bons pour être financés par l’État luxembourgeois, ils doivent aussi l’être pour concourir au festival luxembourgeois. Ce qui pose la question des choix et de leurs critères : Faut-il un certain protectionnisme pour les produits culturels autochtones ? Est-ce que cela ne risque pas de les dévaloriser ? Sommes-nous en présence d’une « causa Drescher » du cinéma, d’après l’artiste qui a fait scandale à la télévision en revendiquant une place dans la programmation du Mudam ? « C’est ma mission de défendre le cinéma luxembourgeois », affirme Guy Daleiden, et il est vrai que la promotion des films est inscrite dans la loi, parmi les objectifs du Film Fund.
Ce ne serait pas rendre service aux films autochtones que de devoir les sélectionner pour la compétition juste pour des raisons de nation branding ou de partriotisme, rétorquent les membres du comité artistique du festival sous couvert d’anonymat. Aujoutant qu’aucun de leurs membres ne s’est levé durant la sélection pour défendre Barrage (Red Lion) ou A real Vermeer (Tarantula), Mappamundi ou Die Nacht der 1 000 Stunden (Amour Fou), voire Es war einmal in Deutschland (Samsa), qui avait pourtant aussi été invité pour une projections spéciale à la Berlinale. Et qu’il ne faut pas oublier que l’année dernière, trois films luxembourgeois avaient été sélectionnés en compétition, dont les deux documentaires de réalisateurs luxembourgeois Eldorado (Thierry Besseling/Loïc Tanson) et La supplication/ Voices from Chernobyl de Pol Cruchten. Il y aurait, affirment-ils, des années avec et des années sans, dépendant de la qualité des films soumis
Oui, mais, rétorquent les critiques, si le pays d’origine même ne croit pas à ses artistes, comment veut-il les exporter ? La même discussion est menée en musique, en arts plastiques, en théâtre ou en littérature ; la question est une de celles évoquées dans les groupes de travail post-Assises culturelles organisés par Jo Kox. Les artistes luxembourgeois, quelle que soit leur discipline, partent avec un grand désavantage dans la course à l’attention des spectateurs internationaux : la masse critique est simplement trop faible au Luxembourg, il n’y a pas de marché qui permette de rentabiliser les films. Andy Bausch, le plus populaire des réalisateurs autochtones, a fait aux alentours de 20 000 spectateurs avec son récent Rusty Boys, voire 42 000 spectateurs avec son plus gros succès au box office, Le club des chômeurs,. En comparaison, Toni Erdmann de Maren Ade, le film allemand nominé pour l’Oscar du meilleur film étranger cette année, a coûté trois millions d’euros – un budget tout à fait comparable aux films luxembourgeois comme Barrage – a fait un box office de 7,8 millions d’euros et il a été vu par 752 000 spectateurs en Allemagne.