Selon une chronologie bien huilée, la saison du vin chaud suit, cette année encore, celle du Beaujolais nouveau, permettant d’écouler ainsi les invendus de la production viticole annuelle à l’issue de la seule semaine de l’année où des personnes saines d’esprit acceptent de boire, de leur plein gré, un vin aux arômes de banane et de fraise des bois. Tels les chefs cuistots des cantines de nos enfances, qui savaient recycler les résidus des repas de la semaine en un sublime hachis Parmentier destiné à régaler nos estomacs tous les lundis matin, c’est à force de cannelle, de sucre, de clous de girofle et de jus d’orange que des hectolitres de ce vin rouge qui a dépassé sa date limite de consommation (ou, en tout cas, de vente) se métamorphosent en un honnête vin chaud qui vient réchauffer, dans l’ordre, les mains, les estomacs, les cœurs, voire les esprits, des badauds qui se pressent sur les marchés de Noël dès le premier jour de l’avent.
Cette année, Noël tombant plus tôt que jamais – ce qui est certes curieux pour une fête qui demeure planifiée au 25 décembre, la dégustation de Glühwein a déjà pu commencer avant même que décembre ne débute. Et là, c’est la même surprise que la dernière fois que vous êtes allés chercher trois bières à l’Atelier : vous n’avez pas assez avec votre billet de 20 euros pour ramener trois chopines à vos copines. Diantre ! Heureusement, c’est le Pfand qui a surtout augmenté, pas le breuvage qui a été indexé sur les prix du pétrole. Il faut croire que bon nombre de fétichistes fréquentaient les stands du marché de Noël et repartaient avec des collections de verres en forme de botte de Saint-Nicolas. Il n’empêche, quand on constate que du vin médiocre se vend entre cinq et dix euros la bouteille dès qu’il revêt une étiquette colorée et se pare des atours de la tradition, puis se revend trois euros cinquante le verre une fois qu’il est mélangé à d’autres ingrédients et porté à ébullition, on se prend à rêver aux vertus du recyclage. S’il y a un marché des déchets de chais, alors il doit bien y avoir des sources de revenus dans le tri des détritus.
Un récent exemple de l’inventivité dans ce domaine est sans doute constitué par l’initiative qui consiste à transformer la bâche de chantier qui recouvrait le Pont Adolphe, lors de son chantier de rénovation, en une série d’articles telle que des besaces à vélo, des sacs à main et des abat-jours (voir également ci-contre). Évidemment, le motif du bandage surdimensionné donne lieu à des dégradés de rouge, de gris et de beige du plus bel effet. Premièrement, c’est une belle idée de souvenir (personne ne regrette ce chantier, mais ce n’est pas une raison pour ne pas avoir envie d’en conserver une trace, qui plus est une pièce unique), un peu à la manière des morceaux de mur de Berlin, dont la quantité encore en vente laisse supposer que tous les bâtiments de la capitale allemande ont pu bénéficier de l’appellation d’origine incontrôlée. Deuxièmement, c’est également un gage de qualité, puisque la matière première utilisée a, par nature, résisté à plusieurs mois d’intempérie. Les hipsters pourront faire remarquer que les frères Freitag appliquent ce principe depuis 25 ans en Suisse, pour fabriquer leurs sacs de coursier et autres besaces multicolores à partir de bâches de camion et de ceintures de sécurité usagées. Mais il n’y a pas de honte à recycler une idée, surtout si elle est bonne.
Une future source de business pourrait être de trouver une proposition de recyclage des drapeaux du Royaume-Uni qui pavoisent encore, jusque 2019, sur les parvis des institutions européennes. Ils pourraient être reconvertis en mouchoirs servant à dire au revoir à nos amis britanniques si, par malheur, ils perdaient leur droit de libre circulation. Parmi les autres sources de matière première, ou plutôt secondaire, on pourra espérer qu’un entrepreneur de génie trouve un moyen de valoriser les cargaisons de hand-spinners restés invendus cette année.
Comme le dit le proverbe, rien ne se perd, rien ne se crée, tout se consomme.