« Nous sommes impatients d’écouter attentivement – très attentivement – les auditions de chacun des Commissaires », a déclaré Gianni Pittella, président du groupe des Socialistes et Démocrates au Parlement européen. Et pour cause, les auditions qui débutent dans trois jours au Parlement vont permettre aux eurodéputés d’entendre individuellement chacun des candidats à l’exécutif européen avant de donner, ou non, leur aval à la composition de la nouvelle Commission. Or, si Jean-Claude Juncker bénéficie d’un très large soutien au sein du Parlement européen, le choix de plusieurs des candidats Commissaires fait d’ores et déjà polémique.
« Miguel Arias Cañete, le Commissaire espagnol, est l’un des plus exposé », estime Florent Saint-Martin, auteur d’un livre de référence sur le Parlement européen et fondateur du cabinet Europolitis. « Il est dans la ligne de mire pour ses propos dégradants envers les femmes et une question de conflit d’intérêts. Ce sont des points sur lesquels les parlementaires sont très attentifs » poursuit-t-il. Le candidat espagnol pour le portefeuille du Climat et de l’Énergie a, en effet, déclaré après un débat télévisé contre la socialiste espagnole Elena Valenciano qu’il s’était montré bienveillant à son égard parce que « si un homme prouve sa supériorité intellectuelle », il apparaît comme « un macho contre une femme vulnérable ». On lui reproche, par ailleurs, sa proximité avec l’industrie des hydrocarbures pour avoir détenu jusqu’à sa nomination des actions dans les sociétés Petrolifera Ducar et Petrologis Canarias.
Autres candidats sur la sellette, le Hongrois Tibor Navracsics au portefeuille de l’Éducation, de la Jeunesse et de la Citoyenneté, le Britannique Jonathan Hill, aux Services financiers, et le Français Pierre Moscovici, aux Affaires économiques et financières, se voient confier les portefeuilles sur lesquels leurs positions nationales sont les plus contestées. « On reconnaît la touche de Jean-Claude Juncker. Il joue avec les poids et les contrepoids », analyse l’ancienne Vice-présidente de la Commission et députée européenne Viviane Reding. Tibor Navracsics, qui a été responsable d’une réforme de la justice très contestée en Hongrie, lui ayant valu de vives critiques de la Commission, hérite par exemple d’un portefeuille incluant la citoyenneté. « Cela va les obliger à faire une politique qu’ils n’ont pas appliquée dans leur pays et à représenter l’intérêt général », estime l’eurodéputée luxembourgeoise. Le co-président du groupe des Verts, le Belge Philippe Lamberts, porte quant à lui une critique beaucoup plus dure et qualifie de « provocation » les portefeuilles alloués à Tibor Navracsics et Jonathan Hill.
La Slovène Alenka Bratusek, à laquelle a été attribuée l’Énergie, et l’Irlandais Phil Hogan, nommé à l’Agriculture, font eux aussi office de maillons faibles dans la perspective des auditions parlementaires, d’autant plus qu’ils bénéficient de peu de soutien de leurs compatriotes au Parlement européen. Alenka Bratusek, très isolée, se voit reprocher son « auto-nomination » et fait actuellement l’objet d’une enquête de la commission slovène de prévention de la corruption à ce sujet. « J’ai de gros doutes sur cette nomination » fustige Viviane Reding, qui évoque le « manque de capacités » de l’ancienne Première ministre slovène. Phil Hogan compte pour sa part six des onze députés irlandais opposés à sa candidature en raison de sa prise de position, en 2012, en tant que ministre irlandais de l’environnement, sur le logement d’une famille de gens du voyage et de soupçons de clientélisme.
Pour autant, l’approbation du collège de commissaires dans son ensemble ne semble pas en péril. « La nomination de Jean-Claude Juncker est un tour de force du Parlement. Je ne pense pas qu’il mette en jeu la Commission », pronostique Florent Saint-Martin. En revanche, il n’en est pas de même pour chaque commissaire pris individuellement. « Au moins un des candidats risque de faire les frais de ces auditions », poursuit l’expert du Parlement européen. Or, le jeu est politique « si un Commissaire saute dans un camp, un autre risque de recevoir le même traitement dans l’autre camp. C’est vrai pour le PPE et les socialistes, un peu moins pour les libéraux, mais ils sont moins exposés ». Dans tous les cas, pour Florent Saint-Martin, Jean-Claude Juncker ne prendra pas le risque de voir son collège rejeté et « formulera une proposition alternative ».
Au-delà des transactions politiques, c’est sur les questions techniques que les futurs commissaires sont attendus. « J’ai passé ces auditions trois fois. C’était très dur. Il faut beaucoup étudier, car les parlementaires connaissent très bien leurs dossiers », se souvient Viviane Reding. Les auditions visent donc non seulement à jauger la probité des candidats, mais également à évaluer leur expertise sur les dossiers qu’ils auront à gérer. Un fonctionnaire européen constate ainsi que « les coordinateurs des commissions parlementaires ont un rôle majeur dans ces auditions, comparé aux groupes politiques. Le premier exercice du Parlement qui pourrait être politique est en réalité très technique ». Les auditions auront, en effet, lieu dans le cadre des commissions parlementaires. Cette exigence de compétence fait dire à Viviane Reding que « ce système des auditions est très bon. S’il était utilisé dans les États membres, la moitié des ministres ne serait plus en place ».