Samedi 24 août 2013 Deux mois avant les élections. Alex Bodry, président du parti socialiste, a invité des amis à la maison et fait part à sa communauté Facebook de 4 997 « amis » qu’il va essayer une nouvelle recette de dessert, « une de mes propres créations » : Parfait glacé à la liqueur père blanc. La communauté « like ». Puis cette question : quelle garniture ? Purée de framboises, comme le propose Nathalie ? Ou plutôt des abricots flambés, comme le suggère Joëlle ? Tanja par contre s’interroge si les trois kilos que le député-maire de Dudelange s’était promis de perdre après les vacances, étaient déjà partis ? « Une petite pause » répond l’intéressé.
La campagne électorale 2013 prend des traits absurdes, parce que les grands partis se sont engagés, dans l’accord signé le 30 juillet, de ne commencer la véritable campagne qu’un mois avant l’échéance électorale, soit le 16 septembre, jour de la rentrée scolaire. Cet accord, qui limite en outre les dépenses publicitaires à 75 000 euros par parti, s’impose d’office à tous les candidats des partis signataires. Et comporte expressément une clause qui interdit toute publicité sponsorisée sur Facebook avant cette date.
Dimanche 25 août Manuel Huss, fils de Muck et candidat des Verts dans la circonscription Sud, attaché parlementaire du parti, bloggeur et activiste des médias sociaux, a constaté que Mars Di Bartolomeo, ministre socialiste de la Santé, promeut une page Facebook officielle à son nom par le biais d’annonces payantes. « Un ministre socialiste ne devrait-il pas respecter par fairplay cet accord de campagne ? » demande-t-il, faussement ingénu. S’ensuit une discussion passionnée entre jeunes politiques, notamment de jeunes colistiers verts du Centre, sur la parfaite innocuité de cet accord et le peu de confiance que les citoyens peuvent faire aux politiques si même le moindre petit engagement sur ce qui semble un détail n’est pas respecté. François Benoy publie immédiatement une capture d’écran du site du député-maire et président du parti libéral Xavier Bettel, prouvant que ce dernier contrevient lui aussi à l’accord de campagne et sponsorise sa page professionnelle. Le site wort.lu reprend l’information le soir même, RTL Radio Lëtzebuerg y consacre un sujet dès le lendemain, le Lëtzebuerger Journal remet ça mardi. Mercredi, Alex Bodry parle d’un « petit accident » pour excuser le lien sponsorisé du ministre, erreur redressée depuis lors, affirme-t-il vis-à-vis du même Journal.
L’incident, pour marginal qu’il puisse paraître, prouve que les nerfs sont à vif. Dès l’annonce des élections anticipées, la presse affirmait que la campagne 2013 allait être celle des blogs, des chats, des réseaux sociaux et de l’interactivité. Dépités, rongeant leur frein, les candidats – dont beaucoup de débutants en politique –, veulent aller au charbon, commencer enfin à faire campagne pour se faire connaître en l’espace des deux mois qu’il leur reste. Avenue de la Liberté à Luxembourg, un site à l’extension .biz promeut ses services par des autocollants sur les réverbères : Pour 39 dollars, on peut y acheter 500 nouveaux fans pour sa page ; 10 000 fans sont proposés pour 499 dollars. À l’autre bout du monde, des travailleurs sous-payés vont probablement taper des milliers de « likes » pour la page du client. On n’a pas encore appris qu’un politique luxembourgeois y ait pris recours.
Vendredi 23 août. Flash-back Le parti libéral, en ordre dispersé dans cette campagne sans véritable leader (Xavier Bettel ayant refusé d’être tête de liste national et ne voulant pas devenir ministre), présente son slogan pour les élections : Deng Stëmm fir d’Zukunft (Ta voix pour l’avenir). Mais ça n’intéresse pas grand monde, puisque le vrai grand événement politique de ce jour-là, c’est l’ouverture de la Schueberfouer ! Beaucoup de candidats, même les nouveaux arrivants, comme Sven Clement du Parti Pirate, même les plus rétifs, comme Francine Closener ou Franz Fayot, tous les deux LSAP, s’y pressent devant les caméras, feignent l’entente la plus cordiale, jouent à tous les jeux qu’on leur propose, se ridiculisent dans les manèges les plus extrêmes. Et si la campagne 2013 se jouait quand même encore dans la bonne vieille réalité ? Sur le terrain, à la rencontre des gens, qu’ils soient visiteurs d’une foire populaire, public des médias classiques ou clients lors de braderies – comme à Mondorf-les-Bains ou à Echternach le week-end dernier, ou à la plus grande, celle de Luxembourg, lundi prochain ?
Tous les managers de campagne interrogés par wort.lu insistent que la braderie du 2 septembre sera la première grande sortie de leurs candidats, qui y discuteront avec les citoyens – même si, officiellement, ils n’auront pas encore de programme à défendre –, et à quel point de tels grands raouts sont importants pour eux. Mardi dernier, 27 août, 33 maires, dont une majorité de candidats aux législatives, se sont prêtés à l’exercice annuel de la Journée des bourgmestres à la Fouer, enfilant leur tablier et servant qui des poissons grillés, qui des pintes de bière... Pas de programme politique ici non plus, mais de la visibilité et des bonus sympathie auprès du public populaire.
Lundi 26 septembre « Ideenlos und beschämend » (en manque d’idées et honteux) est le titre d’un commentaire de Marc Thill publié sur wort.lu. Il y reproche aux partis de l’opposition de se laisser instrumentaliser par le LSAP, qui veut enfin en arriver à des conclusions au rapport de la Commission parlementaire d’enquête sur le Service de renseignement de l’État – rapport dont la principale conséquence après le débat du 10 juillet est l’organisation de ces élections anticipées. Mais aucune autre motion n’avait été adoptée ce jour-là, aucun vote sur les conclusions mêmes n’a eu lieu en séance plénière.
Or, le LSAP, notamment son président Alex Bodry, qui est également le président de cette commission d’enquête, ne veut pas laisser passer sa chance d’une campagne mani pulite au sortir d’une majorité. Son candidat tête de liste Etienne Schneider incarne ce renouveau, ce vent frais que tant de gens demandent, surtout leurs propres jeunes candidats. Presque tous indiquent dans leurs blogs, sur leur page Facebook ou dans des tribunes libres – comme Taina Bofferding, Franz Fayot, Joanne Goebbels et Christophe Schiltz dans le Tageblatt – que ce sont les dysfonctionnements et le népotisme de l’« État CSV » qui les ont motivés à participer aux élections et qui rendent nécessaire un changement de majorité politique. Or, les autres partis de l’opposition prennent très mal le reproche du Wort qu’ils se laisseraient manipuler par les socialistes, et surtout la demande du commentateur qu’il faudrait oublier ces vieilles affaires et regarder de l’avant.
Mercredi 28 août La déontologie, de nouvelles règles pour un État plus sain, au service des citoyens et non pas au service d’un seul parti, sont les principaux engagements des Verts sous le premier des sept axes énoncés par le président du groupe parlementaire et candidat tête de liste au Centre, François Bausch (voir aussi page 7), dans son blog ce matin-là. Ça y est, même si le programme complet du parti, qui sera fort d’une centaine de pages, ne sera adopté que lors du congrès extraordinaire du 14 septembre, il est temps de passer au contenu. L’accord de campagne n’est de toute façon pas vraiment respecté, et les petits partis, des Pirates à La Gauche, qui ne l’ont pas signé, ont soit déjà adopté leur programme, soit le font discuter par Internet comme La Gauche. Donc François Bausch dresse les grands axes : un autre style politique, l’énergie et l’économie, la réforme des retraites, l’éducation et la recherche, la solidarité et, en dernier lieu seulement, l’écologie.
La Gauche par contre, chez qui la discussion citoyenne en-ligne des thèmes de campagne est ouverte jusqu’à ce dimanche, 1er septembre, est beaucoup plus concrète dans ses propositions, demandant la réhabilitation complète du système d’indexation des salaires ou l’extension du droit de vote pour les non-Luxembourgeois et aux 16-18 ans. Le travail, le système social, la démocratie et le logement sont leurs chevaux de bataille. Jusqu’à mardi, la page avec leur programme avait été consultée plus de 3 000 fois ; presque 70 personnes (essentiellement des militants, soit ceux qui, d’habitude, soumettent aussi des amendements lors des congrès) avaient laissé des commentaires jusque-là. Les commentaires qui seront compilés et discutés, le programme adopté et publié le 7 septembre lors d’un congrès. Sur Facebook, le Parti Pirate et son homme fort Sven Clement essaient de promouvoir leur gros programme avec des posts thématiques liés à des sujets d’actualité.
Dans toute cette excitation, le CSV reste singulièrement absent. S’il n’y avait le Wort, qui n’hésite même pas à publier deux jours de suite la liste entière des candidats de son « parti ami » et insiste sur les excellents bilans des ministres CSV durant la législature écoulée, on oublierait presque que le parti aux 26 mandats au Parlement existe. Le CSV ne veut commencer sa véritable campagne que le 21 septembre à Junglinster, lorsque sera présenté son programme. Le slogan, quelque chose autour du rassemblement, sera présenté un peu plus tôt, autour du 13 septembre, jour du début de sa campagne d’affichage. Le parti, forcé dans le rôle des méchants par tous les autres partis, veut visiblement faire un sprint, un forcing avec son candidat tête de liste Jean-Claude Juncker, laissant aux électeurs le choix d’être pour ou contre lui.
Mardi 1er octobre Le PaperJam Business Club invite ce jour-là à un débat sur le thème du « Qui pour sortir de la crise ? » dans une pâtisserie à Hamm. Jean-Claude Juncker y discutera de politique économique avec François Bausch, Xavier Bettel et Etienne Schneider. Les citoyens, qui attendent désespérément que débute cette campagne électorale afin d’entendre les propositions thématiques des partis, pourront participer en tant que « non membre » de ce club sélect pour la modique somme de... 75 euros ! En 2013, même l’accès à la démocratie a un prix. Prohibitif pour ceux qui aimeraient savoir si le salaire social minimum ou l’indemnité du chômage seront sauvés.