Norah est une belle chieuse. Du genre scout, « toujours prêt », qui aide les vieilles à traverser les passages cloutés - alors qu'elles ne voulaient surtout pas traverser. Norah est persuadée qu'« il y a un équilibre dans le monde. C'est comme un boomerang ! Si je fais le bien autour de moi, il ne m'arrivera jamais de malheur. Quand je fais le bien autour de moi, ça me revient toujours... » Norah, 17 ans, vit avec son père, n'a jamais connu sa mère, est le personnage principal de J'ai toujours voulu être une sainte, le premier long-métrage de fiction tant attendu de la réalisatrice luxembourgeoise Geneviève Mersch.
Attendu parce que le cinéma d'ici cherche désespérément de nouveaux talents, de vrais auteurs. Attendu aussi et surtout parce que Geneviève Mersch avait prouvé son intelligence, son humour et sa grande sensibilité dans ses documentaires (Le pont rouge et Roger notamment). Après des années de prépartions, huit semaines de tournage et des mois de montage avec maintes péripéties, le film produit par Claude Waringo de Samsa Film (en coproduction avec Patrick Quinet d'Artémis Productions) fut donc présenté samedi dernier en avant-première à l'Utopolis et sortira aujourd'hui sur les écrans luxembourgeois.
J'ai toujours voulu être une sainte est l'histoire de l'émancipation d'une jeune femme de 17 ans, qui, à force de vouloir être trop parfaite, pète les plombs et finalement se libère dans la douleur de ce carcan de règles morales qu'elle s'est imposé elle-même pour répondre aux attentes du monde adulte. Pour elle, le monde adulte, c'est un père aimant et aimable mais très faible et une grand-mère extrêmement sévère, qui interdit à Norah toute petite déjà de poser des questions sur sa mère. Même lorsque Norah atteint l'adolescence et repose les mêmes questions sur cette grande absente - Pourquoi est-elle partie ? Que s'est-il passé entre elle et mon père ? Ne m'aimait-elle pas ? - la grand-mère le lui interdit encore, parce qu'il « y a des portes qui doivent rester closes ».
Dans cet univers fait d'interdits et de secrets, Norah s'est inventé son propre secret : il s'appelle Nico Marcuse, était pilote de rallye et s'est tué au volant lors d'une course. Depuis lors, Norah se sentait coupable de sa mort, cette culpabilité lui permettait visiblement de se dépasser pour être encore plus parfaite afin de se racheter. Elle se réveille le matin en saluant son image, lorsqu'elle vit une mauvaise passe, ce sont ses paroles qu'elle se repasse en vidéo qui l'encouragent... ici, les parallèles entre Marcuse et le Christ sont trop ostensibles. Ces deux jeunes hommes barbus, charmants, la trentaine, mort trop jeunes, permettent l'un à Norah, l'autre à l'humanité toute entière de se racheter d'une faute qu'elles n'ont pas commises. Cette admiration aveugle pour un idole absent, cette idéologie foncièrement catholique de la culpabilité innée des hommes agace dans J'ai toujours voulu être une sainte, même si à la fin, Norah se libère autant de Nico Marcuse que de sa mère, autre absente.
Dans sa note d'intention, Geneviève Mersch écrit : « Je voudrais faire un film léger, plein de vie, mais d'où jailliraient par instants une profonde souffrance et une grande violence ». Et ce défi-là, elle l'a assurément gagné. J'ai toujours voulu être une sainte est un film simple, sans effets tape-à-l'oeil, sur la quête identitaire d'une adolescente qui a grandi dans une famille monoparentale. Et qui est, comme tout(e) adolescent(e), obligé(e) a rompre avec le carcan familial pour se trouver. Sur ce thème universel, la réalisatrice a fait un très beau travail esthétique, presque documentaire, en quête de vérité. Ses jeunes femmes, notamment Marie Kremer dans le rôle principal, mais aussi sa meilleure amie Elsa (Barbara Roland), sont vraies, la vie d'adolescentes d'aujourd'hui est observée et rendue avec beaucoup de justesse et de vécu. Geneviève Mersch arrive a créer de belles ambiances, très denses, dans des décors éblouissants de simplicité, que ce soit au Luxembourg, en Belgique, en Suisse ou au Portugal.
J'ai voulu être une sainte est un film d'adolescentes, au féminin, car ce qu'on voit des hommes, c'est pas génial. Mous, éternels losers ou violents, ils ne sont pas vraiment là pour aider les femmes à faire tourner le monde. C'est peut-être parce qu'il a été tourné par une femme, européenne de surcroît. Même si un homme, Philippe Blasband, a collaboré au scénario.
J'ai toujours voulu être une sainte de Geneviève Mersch, avec Marie Kremer, Thierry Lefèvre, Janine Godinas, Barbara Roland, Julien Collard ; produit par Samsa Film (Luxembourg) et Artémis Productions (Belgique) ; scénario de Philippe Blasband [&] Geneviève Mersch, avec la collaboration de Anne Fournier ; image : Séverine Barde, son : Carlo Thoss, montage : Ewin Ryckaert ; 92 minutes.