Refractaire

... et wor alles net esou einfach

d'Lëtzebuerger Land du 28.05.2009

Les meilleures intentions ne font pas un bon film. Réfractaire, le premier long-métrage de Nicolas Steil (réalisateur, metteur en scène de théâtre, producteur, fondateur et directeur d’Iris Production, ancien journaliste), qui sera présenté en avant-première la semaine prochaine, avant de sortir en salles le 5 juin, a derrière lui une longue genèse. Plus de cinq ans de développement ont précédé la présentation du film, avec de multiples réécritures du scénario (Nicolas Steil et Jean-Louis Schlesser, qui travaille régulièrement avec Andy Bausch), suivies d’un tournage rocambolesque in situ, dans les mines de Rumelange, là où, pour de bon, des réfractaires avaient été cachés durant la Deuxième guerre mondiale. 

Encore un film sur cette guerre au Luxembourg ? 25 ans après le pionnier Déi Zwee vum Bierg de l’équipe du Hei Elei (Menn Bodson, Marc Olinger, Gast Rollinger, 1984), cinq après Heim ins Reich (Claude Lahr, 2004) et un an après Léif Lëtzebuerger (Ray Tostevin, 2008) – qu’est-ce qu’un nième film sur le Luxembourg sous le nazisme peut encore apporter de plus ? La question fut posée à l’équipe du film dès le début du projet, mais pour Nicolas Steil, c’était évident : il voulait faire une fiction sur la complexité des choix que devaient faire les jeunes de l’époque, avec, comme but d’arriver à ce que chaque spectateur, surtout le jeune public, se demande ce qu’il aurait fait à la place de ces adolescents qui allaient être enrôlés de force par les nazis. Se soumettre et aller à la mort certaine au front russe, en ayant en plus dû abattre des alliés ? Prendre le chemin de la résistance, avec de fortes chances d’être torturés à mort par l’occupant ? Ou s’enfuir, se cacher, donc faire de la résistance passive, en prenant le risque de voir leurs familles déportées en guise de représailles ? Tout ça avec l’ambition de faire un film « universel », qui puisse valoir partout, d’où le choix de tourner en français – ce qui fait quand même bizarre –, le film étant une coproduction suisse.

Pendant une centaine de minutes, nous suivons donc François (Grégoire Leprince-Ringuet), fils d’un ingénieur collabo, qui quitte l’université nazie, en désaccord avec leur propagande raciale, et arrive à se cacher dans une mine, dans un huis-clos que la promiscuité, le manque de distraction, les conditions de vie et d’hygiène et les différences de vues politiques promettent de rendre explosif. Il y retrouve aussi René (Guillaume Gouix), son ami prolo, dont il ne supporte pas la liaison avec Lou (Judith Davis), la fille qu’il aime. La majorité des autres occupants, notamment les deux leaders Pierrot (excellent Michel Voïta), le « bon » communiste, et Jacques (Carlo Brandt), le coco pur et dur, se méfient de lui. À partir de là, François va faire un voyage initiatique, devenir adulte, responsable de ses actes, découvrir la sexualité, comprendre les enjeux politiques et... devenir un héros. Il meurt sous la torture, mais la tête haute. 

Les acteurs sont tous très bons – surtout Marianne Basler en Malou, la femme du collaborateur Edouard qu’incarne Thierry van Werveke, qu’on retrouve ici avec beaucoup d’émotion –, les images sont souvent époustouflantes, que ce soit en caméra subjective ou en plongées panoramiques du paysage, rarement aura-t-on vu tant de nuances de brun et de noir (chef op : Denis Jutzeler) et, surtout, les décors son sublimes, avec cet amour du détail qu’on apprécie dans le travail de la décoratrice Christina Schaffer. La musique originale, composée et interprétée par André Mergenthaler ne démérite pas.

Et pourtant, malgré tout, Réfractaire ne fonctionne pas. Probablement parce que les figures ne sont pas des personnages en chair et en os, avec une vie et une âme, mais des symboles, des manifestes théoriques, chacun représentant une posture possible dans une situation donnée. Visiblement, les scénaristes – qui se sont longuement documentés, en lisant, en s’échangeant avec l’historien Paul Dostert, le directeur du Centre de documentation et de recherche sur la résistante installé à la Villa Pauly, et en rencontrant des témoins d’époque – ont voulu trop bien faire, être plus que politiquement corrects. Au final, ce n’est plus du cinéma, mais une leçon de morale. 

Le personnage principal, François, en est le meilleur exemple : taciturne, insondable, on ne comprend pas vraiment ce qu’il fait et ce qui le motive à agir. Puis il y a le bon docteur (Charles Muller), le maire de la ville, patriarche protecteur de ses ouailles (Marc Olin­ger), la mère pianiste (Véronique Fauconnet), devenue folle dans sa vie avec un ingénieur cholérique, l’amante qui souffre de ne pas avoir d’enfant, l’ami jaloux... Tout ici est lourdement souligné, les dialogues se plient sous leur poids, les acteurs font de longues pauses avant de parler, comme pour bien insister que ce qui va suivre est extrêmement important, le rythme est lent et n’a pas peur des longueurs. Dans un certain sens, c’est davantage du théâtre que du cinéma. 

Réfractaire se veut aussi un projet pédagogique, il sera montré dans les lycées et devrait, selon le vœu des producteurs, mener à des discussions nourries sur la responsabilité individuelle et la guerre – thème également évoqué dans The Reader de Stephen Daldry, actuellement en salles. À voir si cela marche. Au cinéma toutefois, on ne voit pas vraiment quel public pourrait être visé. 

Le titre est emprunté à une exposition sur la Deuxième guerre mondiale au Luxembourg, en 2002 au Musée d’histoire de la Ville. 

josée hansen
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