Räuberinnen

Karl Dall meets Tutti Frutti

d'Lëtzebuerger Land vom 27.08.2009

La meilleure appréciation vient de Christophe Egger, critique de cinéma au Neue Zürcher Zeitung (du 22 janvier) : le film Räuberinnen (Filles Brigandes en franco-suisse) estime-t-il, prouve que « les femmes aussi savent faire des films stupides ». En fait, ce serait tout ce qu’il y aurait à dire sur ce premier long-métrage de la réalisatrice helvétique Carla Lia Monti, actuellement à l’écran, s’il ne s’agissait pas d’une coproduction luxembourgeoise (Paul Thiltges Distribution, avec la société suisse Dschoint Ventschr), soutenu par le Filmfund grand-ducal et son homologue suisse, qui a en plus déclenché un énorme scandale lors de sa première aux Solothurner Filmtage en début d’année. 

La raison du scandale : Räuberinnen mélange allègrement sexe et religion dans des images très crues et avec des dialogues aussi bêtes que vulgaires – appréciation dont le film se vante d’ailleurs dans sa bande-annonce, qui promet aussi que « ce film commence là où le bon goût s’arrête » –, ce que la presse populaire a pris pour argument pour attaquer aussi bien le film que la politique de soutien public à l’audiovisuel (« de versauteste Film seit Beste­hen der Schweizer Filmförderung », Blick). Pour la télévision suisse, coproductrice de l’œuvre, plusieurs scènes ont dû être coupées afin de ne pas enfreindre les règles imposées par le contrat de concession, d’où l’ajout « director’s cut » pour la version intégrale montrée au cinéma. « J’ai honte qu’on gaspille mes impôts pour de telles cochonneries, » était grosso modo le credo des internautes furieux commentant le film sur les forums en-ligne. Au Luxembourg, une polémique semblable est en train de naître, toutes proportions gardées.

Et alors que les uns crient au scandale et appellent à la censure, les autres croient bon prendre les devants et défendre le film en saluant « l’esprit joliment anarchique » de cette « orgie filmée » qui serait « immondément délicieuse » (L’ouvreuse sur son blog). Mais en réalité, le film ne mérite même pas qu’on l’érige en symbole d’une lutte culturelle entre libertaires et bigots, entre libertins et pudibonds : il est tout simplement stupide.

L’histoire de Räuberinnen – que Carla Lia Monti a intitulée ainsi en référence aux majestueux Räuber de Schiller – n’a rien d’original et amalgame éléments de contes de fées (la mère indigne voulant marier ses filles aux plus offrants) et critique sociétale (le pouvoir pourri incarné par un prêtre salace, l’oppression des femmes et la lutte des classes) dans une espèce de gloubi-boulga trop gras. Peut-être que la Suisse a 25 ans de retard sur l’Allemagne, qui fit son émancipation en coquinerie avec le lancement de RTL Plus et ses inénarrables émissions à animatrices aux seins nus. Räuberinnen, c’est un peu comme si Karl Dall racontait un conte pour adultes avec des actrices bien en chair tout droit sorties de Tutti Frutti. 

Car le film se veut un conte grotesque, « une succulente et saisissante fable sur l’entrée dans l’âge adulte, dans une société post-féministe » (dossier de presse). La belle Emily (Nina Bühlmann), intègre et romantique, filant le parfait amour avec le très naïf Josef (Nils Althaus), après avoir appris les plans de sa mère de la marier de force à un affreux mais riche héritier, s’enfuit du château à l’aide de la timide servante Trizi (Myriam Muller, qui parle luxembourgeois dans le film). Après de multiples péripéties, chassées par les troupes désordonnées de l’évêque, elles inversent les rôles et de chassées deviennent chasseuses. S’alliant aux péripatéticiennes du bordel du village, elles fondent une troupe de bandites, qui chassent, volent, tuent et même violent comme les hommes. La réalisatrice semble vouloir nous prouver que le féminisme n’est pas une alternative, que les femmes sont aussi connes que les hommes et que la nature humaine imposera toujours des relations de dominés à dominants.

Tout cela passerait encore, mais cette philosophie à trois sous, elle nous la déballe en plus avec des images insupportablement kitsch et surchargées – sa marque de fabrique – par des scènes d’une bêtise affligeante, pour démasquer en l’exagérant le jeu double du pays de Heidi. Les scènes de masturbation avec auto-flagellation, les orgies arrosées d’alcool et de drogues ou les viols dans la forêt ne semblent pas vraiment avoir d’autre sens que de vouloir choquer. Or, un cliché exagéré n’en fait pas une critique fondée pour autant.

Côté luxembourgeois, outre Myriam Muller, on y retrouve le château de Vianden, Marco Lorenzini, Isabelle Costantini et Sascha Ley, ainsi que Thierry van Wervecke, avec un délicieux accent viennois – ce fut son dernier rôle. Au final, le non-sens invoqué par la production dépasse de loin ses intentions. Mais surtout, le film ne fait vraiment pas rire. Räuberinnen est à ranger avec les comédies high-school américaines. Le comparer à du Tarantino, comme l’a fait la Basler Zeitung, est une véritable insulte pour lui. 

josée hansen
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