Ni les réalisateurs, ni les producteurs ne sont vraiment fous de joie face au projet du Centre national de l’audiovisuel (CNA) d’instaurer dès cet automne un projet pédagogique pour accompagner les jeunes cinéastes sortis fraîchement de leur formation dans la réalisation de leur premier court-métrage. Les premiers appréhendent une prise en main un peu trop contraignante de la part des responsables du département cinéma de Dudelange, alors que les seconds ont peur d’une concurrence déloyale de la part de l’État. Face à autant de scepticisme, le meilleur argument du projet est actuellement sa titulaire : Anne Schroeder, ex-monteuse, puis réalisatrice de films elle-même (Histoire(s) de jeunesse notamment) et qui a été, durant huit ans, productrice en charge surtout des courts-métrages et documentaires chez Samsa, a développé un concept pour ce programme de formation – et elle jouit du respect des uns et des autres.
L’idée de lancer un tel programme pour jeunes émane du Filmfund (ou Fonds de soutien à la production audiovisuelle), qui juge que, premièrement, les premiers courts-métrages sont souvent trop chers – la norme se situant entre 125 000 et 200 000 euros – et que, surtout, le résultat n’est pas toujours à la hauteur des moyens financiers et humains mis en place. En outre, les réalisateurs regroupés dans l’association Lars (Lëtzebuerger Associatioun vun de Réalisateuren a Scénaristen) s’étaient formellement adressés aux responsables politiques avec la demande d’une meilleure prise en charge, i.e. financement, des projets « hybrides » : courts-métrages, clips vidéo, documentation vidéo de spectacles...
À l’arrivée, seuls les premiers courts-métrages seront encadrés – et financés, « dans un cadre budgétaire très modeste » selon Joy Hoffmann du CNA – à Dudelange.
L’idée est simple : au lieu de mobiliser une cinquantaine de professionnels à payer au tarif journalier à attendre à ce que le jeune réalisateur, dépassé, fasse ses gammes grandeur nature, le CNA l’accompagnera dès ses études en lui offrant des stages et formations pointues, comme par exemple d’écriture de scénario. À la sortie de l’école, il pourra développer son premier film à Dudelange, avec l’équipe du département cinéma et Anne Schroeder, puis utiliser le matériel et les studios du CNA pour prouver son talent et faire ses erreurs de jeunesse – le droit de se tromper devant subsister. « Mais en aucun cas, il ne faut y voir exclusivement un moyen de faire des économies, » souligne Joy Hoffmann, pour lequel il s’agit avant tout d’un projet pédagogique. Pour Anne Schroeder, cela tombe même tout naturellement dans le cadre des missions du CNA, dont celle d’offrir des formations dans le domaine de l’audio-visuel. Elle imagine en outre monter une véritable base de données avec les coordonnées des jeunes en formation, aussi bien du côté des créatifs que de celui des techniciens, et offrir un service d’intermédiaire pour les stages sur des tournages.
« En principe, nous sommes tout à fait d’accord avec cette initiative, estime Claude Waringo de Samsa Films et vice-président de l’Ulpa (Union luxembourgeoise des producteurs audiovisuels). Mais nous attendons de voir le détail. Il ne faut surtout pas que le CNA nous fasse de la concurrence dans le métier que nous exerçons, c’est-à-dire produire jusqu’au bout des films de qualité qui seront alors envoyés aux festivals. » Le projet doit encore être avalisé par les ministres avant de pouvoir être lancé, mais l’accord de coalition CSV-LSAP prévoit déjà qu’« une coopération intense entre le Centre national de l’audiovisuel et les sociétés de production en vue d’une formation améliorée des jeunes dans ce domaine sera mise en place ». À l’heure actuelle, il n’est pas exclu que le passage dans ce cycle de formation du CNA soit une condition sine qua non pour l’obtention d’aides financières directes du Filmfund pour un deuxième film, dans l’espoir d’éliminer un certain nombre de cinéastes « amateurs » de la procédure de demande d’aides, idée qui provoque toutefois déjà des remous en coulisses.