Télédistribution

Un bon tuyau

d'Lëtzebuerger Land du 17.10.2002

Dix ans ou presque qu'on nous promet le meilleur des mondes du multimédia : la télévision en qualité numérique, les films sur demande, la convergence entre le téléviseur et l'ordinateur ou encore Internet à haut débit. Ces projets existent en effet. L'expérience montre toutefois qu'entre les promesses et leurs réalisations il y a surtout de longs délais. 

À première vue, le câble est idéalement positionné au Grand-Duché pour occuper une place de choix dans les nouveaux services multimédia : 96 pour cent des ménages, près de 

165 000, sont « raccordables » à la télédistribution. Selon un récent inventaire établi par l'ILR (Institut luxembourgeois de régulation), trois quarts des ménages devraient en plus pouvoir bénéficier, à moyen terme, de services interactifs. Or derrière ces chiffres se cache un marché qui reste très fragmenté avec une centaine d'acteurs dont les intérêts, priorités et moyens divergent souvent fortement. 

L'abonné type utilise le câble aujourd'hui a priori pour la seule télédistribution avec, en moyenne, quelque 39 chaînes de télévision. Le potentiel du câble va toutefois plus loin, à l'exemple de l'accès à Internet. Au Royaume-Uni plus d'un quart des clients du câblo-opérateur NTL l'utilisent en plus pour téléphoner. 

La télévision digitale ayant de nouveau disparu du marché luxembourgeois, après la faillite de SelecTV, le développement le plus visible sur le câble est pour l'instant la connexion à Internet. Parmi les précurseurs en la matière compte l'asbl Télédistribution Walferdange. Depuis le début de l'année, Cegecom (filiale télécom de Cegedel) commercialise sur ce réseau son service Internet Bamboo. D'autres réseaux, à l'exemple de ceux d'Ettelbruck et de Bissen, en font de même mais en collaboration avec les P[&]T. Ce service, baptisé TV Surf, est aussi commercialisé par Eltrona et Siemens. Pour la majorité des abonnés de ces entreprises toutefois, le service par câble reste pour l'instant unidirectionnel et n'est dès lors guère attractif. Le dernier à être entré dans le ring est Coditel. La filiale du groupe Tractebel/Suez a lancé, fin septembre, Coditel.net.

Les tarifs varient fortement d'un réseau à l'autre. TV Surf des P[&]T, qui veulent éviter la concurrence interne avec le DSL, semble la formule la moins attractive. À 61,49 euros par mois pour une bande passante de 256 kb/s (quatre fois l'ISDN), elle est loin de l'offre Cegecom (à partir de 25 euros pour 128 kb et  69 euros pour 512 kb) et aussi plus chère que Coditel (à partir de 45 euros pour 512 kb). Même si aucune des formules n'est vraiment comparable à 100 pour cent, il reste que certains opérateurs ont clairement une approche plus agressive que d'autres. 

Ce constat est partagé par Eltrona et Siemens, partenaires dans Imagin. Ils aimeraient bien disposer d'une alternative à l'opérateur public pour le service Internet. Or, ils ont dû constater que les fournisseurs de services Internet (ISP) se font rares au Luxembourg. Si les P[&]T sont trop chères, leur concurrent de Cegecom refuse de partager les revenus des abonnements Internet. L'asbl de Walferdange n'est ainsi pas rémunérée pour la mise à disposition de son réseau. Pour comparer, aux États-Unis, l'ISP AOL verse sur les 55 dollars d'un abonnement Internet à haut débit 38 dollars au câblo-opérateur. Tele2, autre ISP luxembourgeois, préfère miser sur l'Internet mobile par UMTS, positionné comme concurrent au DSL et au câble en matière de haut débit. Pour l'instant, les opérateurs d'Imagin sont donc coincés avec les P[&]T.

Les câblo-opérateurs sont d'ailleurs loin d'être tous convaincus par la logique économique d'Internet par le câble. « Depuis le début j'étais intéressé à lancer un service Internet, explique Jeannot Tholl de Sogel. Mais cela ne se calcule pas. La pénétration se limite à entre cinq et dix pour cent des abonnés à la télédistribution. » Un constat qui se vérifie aujourd'hui dans les projets en cours au Luxembourg. Plutôt que d'investir lourdement dans les réseaux, Sogel préfère, comme d'ailleurs Eltrona et Siemens, une approche graduelle en ne rendant les réseaux bi-directionnels qu'à la vitesse de l'entretien habituel. 

Cette perspective existe surtout pour les réseaux d'une certaine taille. D'autres, les plus petits, sont menacés. L'apparition du câble, fin des années 60, est due à des initiatives locales. Il s'agit souvent de petites îles isolées dont l'état technique dépend avant tout du dynamisme et des moyens financiers de leurs propriétaires - des sociétés commerciales, des communes ou des asbl. L'interconnexion de tous les réseaux et par là la réduction du nombre de stations de tête est un objectif avoué à la fois du ministre de la Communication François Biltgen et de l'Association des antennes collectives (ACC). Un premier bilan après deux ans de cette action, à la deuxième Journée de la câblodistribution, il y a deux semaines, montre que la tendance générale va dans ce sens mais qu'on est toujours loin de l'objectif final. Car en principe, une seule station de tête, préparée pour la télévision digitale de demain, pourrait alimenter l'ensemble du pays. Mais aujourd'hui, il en existe toujours une centaine.

Un problème particulier est le transport du signal d'une station de tête commune vers les réseaux. Les prix pratiqués par les P[&]T sur leur réseau en fibres optiques sont trop élevés pour permettre de connecter les petites localités alors que le concurrent Cegecom ne dispose que rarement d'infrastructures d'un bout à l'autre et se montre plutôt frileux quant à de nouveaux investissements.

Cette question de l'interconnexion des réseaux gagnera en importance au plus tard quand un passage à la télévision numérique s'imposera, probablement avant la fin de la décennie. Passer au numérique aura certes certains avantages pour les petits réseaux. Cette technologie permet en effet de faire passer un nombre plus élevé de programmes sans investir massivement dans le réseau. Au niveau des stations de têtes, le coût est cependant considérable.

La télévision numérique est le prochain saut qualitatif des antennes collectives. « Notre métier de base est la télédistribution, explique Nico Binsfeld de Siemens. Pour Internet, nous travaillons avec des ISP. La télévision numérique par contre est une priorité dans laquelle nous sommes prêts à investir afin de fidéliser nos clients face à la concurrence du satellite. »

Le principal défi est d'amener les abonnés au câble à s'équiper des boîtiers nécessaires pour décrypter le signal numérique. L'idéal serait de disposer d'un appareil haut de gamme, permettant de combiner la TV numérique, l'interactivité, les programmes à péage, la vidéo-sur-demande, les jeux en ligne et autre Internet. Or ces boîtiers coûtent aujourd'hui jusqu'à mille euros. Les versions plus abordables, à 300 euros, pourraient éventuellement être préfinancées par les opérateurs mais ne permettent pas d'offrir la même gamme de services. 

Or si le câble ne réussit pas ce saut qualitatif, son principal concurrent, le satellite, risque de le dépasser. Avec une parabole orientée sur Astra, par exemple, le consommateur peut disposer d'un coup de 300 programmes. Là, l'investissement dans un boîtier numérique est perçu différemment. Le câble devra donc aussi offrir un petit plus, mais sans trop de frais, pour faire passer ses clients au numérique. Son avantage reste qu'aucun satellite ne permet de capter à la fois toutes les chaînes allemandes, françaises, belges et luxembourgeoises. 

Comme en ce qui concerne la stratégie d'Astra, le but doit être d'offrir à l'abonné un « package » de services attractif : la télédistribution classique à la base, l'Internet, la TV interactive et le pay--per-view contre un supplément. Grâce à de telles formules, le taux de pénétration d'Internet par câble dépasse, par exemple chez UPC à Vienne, les 40 pour cent.

Une question particulière au Luxembourg est toutefois celle des droits audiovisuels. Le Grand-Duché risque qu'aucun opérateur de nouveaux services, comme c'est le cas en partie pour la télévision à péage, ne s'intéresse à ce marché considéré trop petit. Le ministre Biltgen essaie au niveau européen de sensibiliser ses homologues à la problématique. Il appelle les antennes collectives luxembourgeoises en même temps à s'unir afin qu'ensemble, elles aient au moins le début d'une chance dans des négociations avec les chaînes.

Jean-Lou Siweck
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