« L'Entreprise des Postes et Télécommunications, entité disposant sans contestation d'une position de force sur le marché des communications téléphoniques nationales, réduit ses prix finals à un niveau qui ne lui permettrait pas de survivre à long terme, mais dont le but est simplement d'éliminer tout concurrent ou de prévenir toute entrée sur le marché. » La citation pourrait sortir tout droit d'une plaidoirie d'un concurrent des P[&]T. Or, et c'est plutôt désagréable pour l'entreprise publique, c'est l'Institut luxembourgeois de régulation (ILR) qui parle, le gendarme du marché des télécommunications.
Doté depuis un an du pouvoir de trancher d'autorité des litiges entre opérateurs, l'ILR en a fait pour la première fois usage au courant des dernières semaines. Vendredi dernier, pour sa deuxième invocation du nouvel article 27 de la loi sur les télécommunications, le régulateur a frappé fort. Parlant d'« abus de position dominante » et de « prix prédatoires », l'Institut admet la plainte de Tele2 que les prix en gros facturés par les P[&]T pour l'utilisation de leur réseau par leurs concurrents sont trop élevés. L'ILR oblige donc l'opérateur historique à réduire ses tarifs d'interconnexion de pas moins de 20 pour cent. Cette décision profite à Tele2 mais aussi à tous les autres opérateurs utilisant les infrastructures des P[&]T. Elle est toutefois susceptible de faire l'objet d'un appel devant les juridictions administratives.
Le débat autour des prix pratiqués par les P[&]T à la destination de leurs concurrents n'est pas nouveau. Les règles européennes de libéralisation prévoient qu'un opérateur de télécommunication dominant dans un marché en pratique les anciens monopoles doit permettre à ses nouveaux concurrents l'utilisation de ses infrastructures. Une rémunération est certes prévue, mais elle doit être « orientée aux coûts ».
Une première décision de l'ILR cette année avait déjà fait beaucoup de bruit. Le régulateur a rejeté la Reference Interconnect Offer (RIO) des P[&]T. Les chiffres présentés par l'entreprise publique ne permettraient pas de vérifier s'il y a effectivement une « orientation aux coûts ». Jusqu'à ce jour aucune RIO n'a été approuvée par l'ILR pour l'année 2002.
La nouvelle affaire traite en fait du même sujet, mais prend un autre angle. Dans sa « demande de procédure de conciliation », Tele2 calcule qu'entre les tarifs en gros des P[&]T et les prix facturés par les mêmes P[&]T au consommateur final, aucun opérateur alternatif ne peut entrer en réelle concurrence avec l'entreprise publique. Tele2 aurait besoin d'une marge brute de 45 pour cent pour couvrir ses coûts. Or, à cause des tarifs des P[&]T, elle ne dépasserait pas les 21 pour cent.
L'ILR vient à des conclusions similaires, même si le régulateur estime la marge effective de Tele2 plutôt à 25 pour cent. L'Institut constate que les prix en gros des P[&]T peuvent être considérés comme élevés, alors que ses tarifs au consommateur final sont « parmi les plus agressifs en Europe ». L'ILR conclut que « le prix du client final est indûment tenu à un niveau déraisonnablement et irrationnellement bas par rapport au prix d'interconnexion élevé ».
La conséquence que le régulateur en tire est d'abaisser les tarifs d'interconnexion des P[&]T. Les reproches de prix « dumping » au niveau du client final persistent toutefois. Ne seraient-ce pas plutôt ces tarifs là qui seraient trop bas? Pour la marge de Tele2, cette conclusion reviendrait au même. Pour le consommateur cependant, elle signifierait que le prix des communications locales pourrait partir à la hausse.