En 1980, le psychanalyste américain Herbert Freudenberger publie Burn-Out, The High Cost of High Achievement. Il décrit « un phénomène d’épuisement professionnel », une définition entrée depuis dans l’histoire. Une année plus tard, les psychologues américaines Christina Maslach et Susan E. Jackson développent une méthode d’évaluation psychologique de cette expérience : Maslach Burnout Inventory (MBI), considérée comme un jalon dans la mise en place du diagnostic. En 1990, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) inclut le terme, pour la première fois, dans sa dixième édition de la « Classification Internationale des Maladies » (CIM) ; non comme « une affection médicale », mais comme « un syndrome » ayant un impact sur la santé. Dans la dernière édition de ladite classification, l’OMS précise qu’il s’agit d’« un syndrome conceptualisé comme résultant d’un stress professionnel chronique qui n’a pas été géré avec succès. »
Au Luxembourg, le burnout n’existe pas dans la nomenclature des actes et des services des médecins établie par la Caisse nationale de la Santé (CNS). Pourtant, le secteur financier à lui seul enregistrait 209 cas déclarés en 2021, soit une augmentation de 26 pour cent par rapport à l’année précédente. Dans ce même secteur, 43,5 pour cent d’employés sont à risque selon les autotests de burnout pratiqués à l’Association de santé au travail du secteur financier et tertiaire (ASTF). Les risques psychosociaux ont augmenté de 31 pour cent, lit-on dans le rapport annuel 2021 de l’ASTF. Selon le Quality of Work Index 2021, élaboré par l’institut de recherche sociale Infas pour la Chambre des Salariés, la tendance à la hausse des burnouts se confirme pour la sixième année consécutive. On enregistre, tous secteurs d’activité confondus, une augmentation de sept pour cent en 2021, comparé à l’année précédente. Cela représente une hausse de 34 pour cent comparé à 2014, année du début du suivi.
Il y a des termes médicaux, des registres officiels et des statistiques. Et il y a le vécu de ceux qui sont passés par le feu du travail. Entre les deux, il y a un gouffre. « Cela fait partie du mécanisme de la domination que d’empêcher la connaissance des souffrances qu’elle engendre », écrivait le philosophe allemand Theodor W. Adorno dans Minima moralia en 1951. Le mécanisme en jeu de nos jours est celui de la pression de la performance. Les statistiques quantifient et les études décrivent ses conséquences tant bien que mal. Car il est impossible d’exprimer en termes simplement rationnels ou quantitatifs la traversée d’un être qui résiste de toutes ses forces à reconnaître qu’il est en train de se consumer.
Nous avons rencontré ceux qui l’ont traversé. Il s’ensuit trois récits de ce mal méconnu. Celui de Pascal qui a décidé de se battre sans recourir à l’aide institutionnalisée, en préservant le sens du devoir vis-à-vis des autres. Ensuite l’histoire de Mika qui, au bord de l’abîme, croise la personne dont l’attention lui permet de se sauver in extremis. Enfin, Nathalie* qui se cogne à l’incrédulité de son entourage, aux yeux duquel elle est « trop jeune » pour un tel diagnostic. Trois témoignages de ce mal-être mal vécu, entre les lignes l’indicible de la souffrance..
Pascal, directeur dans l’information,
55 ans au moment du burnout
d’Land : Où en êtes vous aujourd’hui ?
Pascal : Je suis sorti du monde du travail il y a un an et deux mois. Je m’occupe de ma femme. J’aide mon fils à reconstruire sa maison en étant fatigué, car je travaille d’arrache-pied. Le sentiment de surmenage revient, avec des flash-backs du burnout professionnel, de l’épuisement moral et physique que j’ai vécu pour enfouir mes émotions, pour consentir des efforts sans limite, sans capacité de prendre du recul. Le burnout, c’est une coupure complète, un fusible qui a explosé dans mon corps. C’est la peur, l’incapacité de communiquer, de recevoir des messages ; la fatigue.
Comment est-ce arrivé ?
Mon premier burnout était en 2019. Je me suis réveillé un jour et tout était noir. J’avais peur d’ouvrir le moindre email, avec, en plus, une notion de culpabilité, d’incapacité à l’engagement. Je devais me déplacer aux Pays-Bas, j’ai appelé pour dire que j’étais malade. J’ai vu le médecin, tous les voyants étaient au rouge. Il m’a dit : « Vous arrêtez ou vous allez en mourir ! » J’ai refusé d’analyser. C’était une expérience plus physique qu’intellectuelle. Je continuais à prendre des projets au travail, souvent non réalisables. J’avais une peur terrible de ne plus pouvoir contrôler les outils informatiques, de regarder les demandes, de devoir réagir. J’ai décroché mon téléphone péniblement. Je n’étais plus rationnel. Je me suis confondu en excuses face à un CEO pervers narcissique qui fonce. J’ai commencé à marcher au-dessus du vide. Je ne peux pas mettre de mots sur ce qui s’est passé. Je revois juste des images où tout s’effondre. Le mot burnout n’existait pas dans ma tête. Ça ne peut pas m’arriver à moi ! Il fallait pourtant mettre le mot sur les maux… Cela a pris une bonne semaine, une descente aux enfers rien que pour intégrer la notion. Le temps a été long. Je me suis écroulé. Je restais sur le canapé du matin au soir. À ce moment, tu te dévalorises toi-même : si c’est un burnout, alors tu ne sers à rien, tu ne peux rien pour les autres, plus rien.
Comment vous-en êtes vous sorti ?
Je n’ai pas cherché d’aide médicale. J’ai plutôt constitué « une cour » de soutien. J’ai compté sur ma femme et mes amis pour reconstruire ma confiance perturbée. Je suis resté trois mois hors du travail. Un jour j’ai reçu un appel : « Tu vas revenir ou pas ? », comme un rappel à la réalité. Ma notion du temps avait changé. J’ai repris, sans beaucoup d’énergie. J’attendais la fin de semaine avec impatience. En deux ans, j’ai eu deux burnout. Un an plus tard, j’ai été viré. Je n’ai jamais récupéré, même si j’ai retrouvé de la confiance. C’est moi qui ai demandé qu’ils me virent. Mais j’ai vécu pendant deux ans avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête.
Qu’avez vous fait ensuite ?
J’ai signé un nouveau contrat de travail avec la responsabilité du développement de la clientèle. Ce boulot exigeait douze à quinze heures par jour, un engagement total. Matériellement, c’était impossible à réaliser. Mes prédécesseurs étaient partis, le premier après un mois, le deuxième après trois mois. Mais tu penses pouvoir tenir. J’ai craqué après quatre mois. Un black-out pendant une semaine. C’était à nouveau un « burn ». J’avais l’expérience du premier. Je le savais. Je suis resté chez moi, je m’asseyais et je ne pouvais plus me relever, seulement regarder la télé ou dans le vide. Je ne voyais pas de sortie. Le jeune patron de l’une de nos agences m’appelait toutes les semaines. Je croyais que je reviendrai.
À la mi-décembre, une étincelle est apparue : il faut que je redémarre, je dois de me relancer. Le même jour, on m’a proposé de reprendre à temps partiel, sans être le numéro un. C’était un mi-temps thérapeutique. La mise en route ne s’est pas bien faite. J’ai fait deux semaines à cinquante pour cent. Après deux semaines, en réalité, j’étais à 80 pour cent, avec une pression terrible, l’enfer jusqu’en avril. Le CEO avait pris mon poste en mon absence et j’étais devenu le second. C’est un homme de 52 ans, avec une capacité de travail de quinze à 18 heures par jour, méticuleux, incapable de faire confiance. Il contrôlait tous les projets. Un jour, on a diagnostiqué une maladie grave chez ma femme. J’ai informé que je devais quitter le bureau pour l’hôpital. Dans la salle d’attente, je reçois un email de mon chef. Il s’est montré très agressif, utilisant des mots qui ne lui ressemblaient pas… Je lui en veux beaucoup. Quelques temps après, le SAMU a ramassé mon chef au travail. Il n’y est plus jamais revenu. J’ai décidé de partir. Il a voulu me voir quatre mois plus tard, pas pour moi, pour essayer comprendre son propre cas.
Le burnout est-il un syndrome suffisamment reconnu ?
Le regard des autres sur le burnout varie, parfois stigmatisant, parfois non. La notion s’est banalisée, car beaucoup de gens investi dans leur travail sont en burnout. J’en connais plein autour de moi. La notion s’est banalisée aussi pour les services de ressources humaines. Avant les entreprises gardaient 80 pour cent d’effectifs et vingt pour cent tournaient. Aujourd’hui ce sont 80 pour cent qui tournent. Alors quand certains disparaissent… Quand il n’y a plus de ressources en interne, on engage des externes. Dans les groupes internationaux, douze heures de travail par jour, même dans l’illégalité, on s’en moque. Valeurs et principes se diluent dans la quête de profits.
Quelle a été la plus grande difficulté rencontrée ?
C’est la perte de confiance en moi et la reconstruction après. Il y a aussi l’incompréhension. Le burnout, certains pensent que ça n’existe pas, que c’est impossible... jusqu’à ce que ça leur arrive à eux. Puis ils pleurent comme des gosses, de peur de crever.
Quelles leçons en tirez-vous ?
Qu’on ne peut pas se refaire. Je pourrais subir un troisième burnout. Même avec mon expérience et la possibilité de reconnaître les symptômes. Il y a aussi l’éducation, mon père m’a dit : « Il faut que tu t’arrêtes ! » Je lui ai répondu : « Papa, tu m’a éduqué comme ça. Je ne peux pas changer. »
Et une fois traversé… ?
Le burnout, c’est la vivacité jamais retrouvée.
Mika, gestionnaire de risque dans une banque, 46 ans au moment du burnout
d’Land: Comment définissez-vous le burnout ?
Mika : Les gens pensent que c’est une sorte de dépression. Si c’en était une, il faudrait la multiplier par cent. Le burnout, c’est la perte du contrôle de soi. Tu te perds dans tes sentiments. Tu perds le contrôle physiquement. La définition qu’on trouve dans les livres est l’épuisement professionnel. La mienne : tu brûles de l’intérieur. Tu deviens une coquille vide et tu ne sais pas qu’elle s’est vidée. Je ne me suis pas rendu compte que ça n’allait pas. Au rendez-vous à l’ASTF, j’ai tout lâché. Les autres ne veulent pas voir. Une fois que tu es passé par là, tu reconnais les fissures. Les autres doivent le voir aussi, mais au lieu d’aider, on dénigre. Alors, tu ne peux pas dire en entreprise que tu es en burnout. Cela a une mauvaise connotation. Le mot est vulgaire. Il y en a qui se lèvent un matin, ils arrivent à la banque, ils s’écroulent. Dans quelques entreprises on en parle. Les RH mettent une « hotline psychologique » en place, organisent des formations. Ça aide, mais cela ne résout rien.
Quelle a été la réaction de votre entourage ?
Les autres voient tes faiblesses. Ils jugent vite et manquent de sensibilité. En burnout, on a besoin d’être compris émotionnellement, pas d’être jugés. Mais dans l’entreprise, on n’essaie guère de comprendre la personne. J’ai cherché un psychiatre. J’ai passé nombreux coups de fils, il étaient tous « complets ». J’ai fini par en trouver un, mais c’était tellement léger. Il n’avait rien à dire. Alors j’ai parlé. Mon idée était de partir dans une clinique en Allemagne. Je voulais m’en sortir, quel que soit le coût. J’ai parlé au directeur des ressources humaines. Il a compris. Pas les autres. J’avais affaire à des gens qui ne portaient qu’un titre de manager et des objectifs à remplir. J’ai été exploité. La loyauté n’existe plus dans le monde de la banque. Seule la rentabilité compte. Dans cet environnement toxique, je suis devenu une éponge. Je rendais service et on me demandait toujours plus. Je n’arrivais plus à recharger. Les gens ne comprenaient pas. Je n’arrivais même plus jouer au squash. Raquette en main, le cerveau ne fonctionnait plus. Je voulais jouer, mais le système disait non. Je n’étais plus dans mon corps. J’ai pensé au suicide. Je suis passé par là, mettre fin à mes souffrances.
C’est une spirale infernale ?
J’ai suivi une thérapie. Mais tu veux garder ton job, alors tu restes. Et à la banque, tu es le dernier des derniers. On te fait croire que tu n’y arriveras pas ailleurs. C’est « marche ou crève ». Les chefs n’ont pas le temps. Le burnout est seulement un sujet pour remplir les cases des formations.
J’ai été admis à la clinique Berus, en Sarre. On y soigne le corps d’abord. L’esprit ensuite. On a mal aux cervicales, mal au dos, les genoux qui lâchent... des insomnies même. Là-bas, il y a aussi des personnes toxiques. Les gens arrivent avec leur bagage chargé, les émotions multipliées par vingt ou trente. Je me suis éloigné de celles-là. Mon thérapeute me protégeait. On est vraiment choyé là-bas. On fait tout pour que tu t’en sortes. J’y suis resté dix semaines, mais il faut au moins deux ans pour tourner la page.
Vous vous en êtes sorti donc...
Il y a des émotions positives dans le burnout : le besoin d’appartenance, le besoin de se sentir compris. Il y a des émotions négatives : l’humiliation, la colère. Le burnout, c’est l’énergie du désespoir. La foi m’a aidé. J’ai beaucoup prié. La plus grande difficulté, c’était de reprendre confiance en moi. Le burnout te vide, te dévalorise. Il fallait se reconnecter avec moi-même : Qui suis-je? Qu’ai-je fait ? Que dois-je faire ? La plus grande leçon du burn-out est de savoir désormais quelles sont les choses les plus importantes dans ta vie. Une fois la page tournée, la fragilité reste. Comme reste la connaissance de tes propres limites, un garde-fou, celui qui te dit : attention ! Aujourd’hui je sais ce que je veux, je sais ce que ne veux plus. C’est pas le travail qui me définit. J’ai appris à dire non. Je suis moi-même.
Comment mieux traiter le risque ?
Il devrait y avoir des séances de thérapie où on apprendrait aux managers de dire à l’autre : « Tu es une belle personne » ; de leur apprendre à dissocier la personne et le travail.
Que devient la personne dans cette traversée ?
C’est la remise en question complète.
Nathalie*, étudiante en ingénierie environnementale, 22 ans au moment du burnout
d’Land : Quand et dans quelles circonstances avez-vous subi un burnout ?
Nathalie : Dans mon école d’ingénieurs, j’ai recherché les projets les plus difficiles pour compenser ce qui n’allait pas dans ma vie privée. Perfectionniste, j’ai stressé à cause des examens. Il fallait faire mieux que seulement réussir un diplôme. Comme ce n’était pas la meilleure des écoles dans les classements, je stressais encore plus. Il fallait travailler au maximum. Je ne pouvais pas gâcher mes chances. Et plus tu travailles, plus tu te dis que tu ne peux pas arrêter.
Quels ont été les signes annonciateurs ?
Les premiers signes de burnout sont apparus pendant la troisième année, cela remonte à 2015. Mais je ne suis pas tombée un jour, il n’y a pas eu d’arrêt brutal. En quatrième année, je suis partie en Suède avec le programme Erasmus. On avait moins de travail et pas de compétition à la française. J’ai pu souffler. Avant, j’étais souvent stressée. Je déclenchais des crises en faisant tout pour réussir mes examens. La différence entre burnout et dépression – je connais les deux – c’est le détachement dans la dépression. Je ne stressais plus. En revenant en France, il a fallu me réhabituer au rythme soutenu. Je n’y arrivais pas. La fin de la quatrième année, avec la préparation du mémoire, était tendue. Je ne parvenais plus à me concentrer. Ma famille a réalisé mes souffrances à ce moment-là. Ma mère m’a aidée. Mon père, avec sa conviction qu’on doit finir ce qu’on a commencé, m’encourageait à aller au bout. Je me suis dit qu’il avait raison. J’ai fait comme j’ai pu, avec des examens de rattrapage. Et puis il y a eu mon stage de fin d’études. Durant cette période, je n’ai pas eu d’aide psychologique, j’ai seulement essayé la sophrologie. J’ai choisi un stage pas facile, dans la recherche, même si ce n’était pas adapté à ma situation. J’arrivais souvent en retard au travail. Je ne respectais pas des délais. J’ai pleuré devant mon chef… C’était vraiment compliqué, alors j’ai commencé à consulter des psychologues.
Ici au Grand-Duché ?
Le sentiment de stress s’est accentué de retour au Luxembourg, comme si je tombais abruptement. Je suis allée chez le docteur. Je ne voulais pas qu’il me mette sous anti-dépresseurs. J’avais l’impression qu’il banalisait mon état. Il se montrait incrédule, avec des phrases du genre « elle ne peut pas être en burnout, elle est jeune ». Cela a duré longtemps avant qu’on identifie la pathologie. Deux semaines avant la fin de mon stage, je suis allée demander un arrêt maladie. Une doctoresse m’a dit : « Vous avez tous les symptômes du burnout ». Elle m’a donné « des tuyaux ». Je n’ai pas été prise en charge, mais laissée à moi-même.
Vous avez ressenti un abandon ?
J’ai été soulagée que l’on diagnostique un burnout et de ne pas avoir à finir le stage. Mais je suis tombée ensuite en dépression. En burnout, je n’arrivais plus à gérer le stress, même les petites choses. Choisir une robe pour la remise de diplôme, me paraissait déjà trop. J’ai commencé à pleurer. Tu n’arrives plus à gérer aucun stress ! Alors que dans la dépression, tu te fiches de tout ! Aucune adrénaline, c’est un sentiment très différent. Pour m’en sortir, je lisais tous les blogs à la recherche de la solution parfaite ; dans la solitude, dans la monotonie. J’ai intégré le programme Protea** , mais à ce moment-là, j’étais davantage dans la dépression. Je pressentais que cela allait durer. Le psychiatre de Protea m’a conseillé de partir en clinique Berus en Allemagne. J’y suis allée en 2019. Là-bas, le personnel ne comprend pas toujours la situation des gens. J’y suis allée parce que je n’étais plus fonctionnelle, on attendait de moi que je fonctionne selon un ordre établi. Alors quand j’ai raté les prises de médicaments et que j’en ai redemandé, on m’a dit : « On n’a pas que ça à faire ». Ce qui a fait que le traitement a pris plus de temps.
Quelle est la racine du mal selon vous ?
Pour moi, le burnout est un traumatisme du travail. Mais la définition qui me semble plus juste est celle de l’épuisement émotionnel. La société exige de la performance, elle encourage l’excellence, c’est notre identité. Par la suite, tout ce qui était lié au travail est devenu une source d’anxiété. Je n’arrivais plus ni à réagir, ni à agir. Dans la vie courante, je ne ressens plus cette anxiété paralysante. Seulement quand je suis confrontée à un devoir. Alors tout prend plus de temps. Je continue la psychothérapie, car je veux avancer.
Dans quelle direction ?
Je me demandais si je reprenais mes études. Je ne veux pas stagner intellectuellement. Mais le faire me remettrait dans l’angoisse. J’ai un travail, mais il ne me satisfait pas intellectuellement. Il faudrait que j’envoie plus de cv, mais un travail plus exigeant signifie plus d’anxiété. Et alors, je procrastine, j’attends une opportunité qui n’arrive pas toute seule. Au fond, ça aussi m’angoisse.
Comment réagit votre entourage ?
Les gens autour de moi n’ont pas vu quand j’étais en burnout. Il y avait de plus en plus de symptômes, mais tout ce qu’ils disaient, c’était : « Elle est stressée. ». Quand j’ai annoncé que j’étais en burnout, ils étaient choqués. C’était pourtant mes amis ! Mes parents ont mis du temps à accepter. Mon père parlait du « petit burnout ». Il voulait adoucir la chose parce que c’est stigmatisé. Ma mère a réalisé plus vite. Avec la pandémie, on a parlé davantage de la santé mentale. Avant, je sentais plus de stigmatisation. Je ne connaissais personne de mon âge en burnout.
Où en êtes-vous maintenant ?
Je ne suis pas retournée pleinement dans la vie active. J’ai travaillé dans le bénévolat. C’était plus abordable du point de vue du stress. J’ai recommencé plus bas, malgré mes études d’ingénieur, je travaille maintenant avec des enfants. C’est moins bien vu dans la société, moins bien payé aussi. Et sans diplôme d’éducatrice, il est difficile d’avancer.
Quelles leçons tirez-vous du burnout ?
Elles sont nombreuses : j’ai pu refaire le point sur moi-même, reprogrammer beaucoup de croyances. Je vis mieux ma vie. Je suis plus heureuse, avec plus de perspectives ; et surtout je réalise que je me sors de la plupart des situations. J’ai découvert la spiritualité grâce au burnout. J’ai plus de clarté sur ce qui est important. Je suis davantage consciente de mes émotions. Avant, je vivais la vie et voilà ! Quant à mes relations, j’ai l’impression qu’elles se sont améliorées. Le tri s’est fait naturellement, les gens qui sont restés, ce sont ceux qui veulent que j’aille bien… Je ne sais pas si ça revient, mais je ne le verrai plus comme une faiblesse.