Un des grands feuilletons à répétition du droit social et de la scène syndicale luxembourgeoises de ces dernières quarante années vient d'être tranché par le jugement de la Cour administrative en date du 28 juin 2001. La Cour, saisie de l'appel du Ministre du travail et de l'emploi contre une décision du Tribunal administratif en date du 24 octobre 2000 qui reconnaissait la représentativité nationale au syndicat Aleba et donc sa capacité effective de négocier et de signer des conventions collectives, devait trancher une question délicate, qui est la base de la prédominance des centrales OGB-L et LCGB. Reconnaître, comme l'avait fait le Tribunal administratif, que le monopole en matière de conventions collectives des deux syndicats avait fait son temps et que donc un troisième larron était habilité à être partie à une convention collective sans être obligé à se livrer aux contorsions de se cacher derrière une des deux organisations syndicales reconnues comme étant les plus représentatives sur le plan national, était plus qu'une révolution. Pour les tenants du titre de la représentativité nationale et pour le ministre du travail. cela revenait à saper les bases même du fameux modèle luxembourgeois, qui, à ce qu'il paraît, repose sur des syndicats forts, responsables et indépendants et qui s'oppose au morcellement de la scène syndicale. Tout le monde se rend bien sûr compte que tout cela repose sur une image d'Epinal depuis que l'Aleba fait des ravages en termes de représentativité dans le secteur phare de l'économie luxembourgeoise, à savoir les banques et assurances.
Au cur de l'affaire se trouve l'interprétation à donner de l'article 2 de la loi du 12 juin 1965 sur les conventions collectives. François Biltgen, le ministre du travail et de l'emploi, était activement soutenu dans sa démarche par les syndicats OGB-L et LCGB, tandis que l'Aleba pouvait compter sur l'appui de l'Association des banques et banquiers.
La Cour, tout comme le Tribunal, ne prend guère de précautions oratoires et elle préfère regarder les choses en face et s'orienter à partir des réalités qu'elle constate sur le terrain syndical. Pour la Cour, présidée par Georges Kill, il ne fait guère de doute que l'Aleba remplit «tant le critère du nombre important d'affiliés que celui de l'activité» dans le secteur en question. Or ce sont là précisément les conditions fixées par l'alinéa 3 de l'article 2 de la loi de 1965, auxquelles s'ajoute le critère de l'indépendance. Après avoir réfuté les arguments selon lesquels l'Aleba ne remplirait aucun de ces trois critères, la Cour se penche sur le question de savoir si représentativité nationale ne veut pas dire aussi représentativité plurisectorielle. Ceux qui tiennent ce raisonnement se réfèrent aux travaux préparatoires de la loi de 1965.
Mais après examen, la Cour en vient à la conclusion que d'abord le texte de la loi ne se réfère à aucun moment à la notion de secteur et que de surcroît «les travaux préparatoires sont nettement moins explicites à ce sujet que l'appelant ne veut le faire paraître et ne sont en tout cas pas de nature à imposer une interprétation plutôt qu'une autre.»
Donc rien ne s'oppose à ce que la Cour arrive à la conclusion que l'Aleba doit bel et bien être comptée parmi les organisations syndicales les plus représentatives sur le plan national et qu'il s'en suit logiquement qu'elle remplit les conditions pour être partie à une convention collective.
Après cette belle victoire, l'Aleba peut vivre avec le bémol apporté par la Cour lors d'une deuxième décision. En effet elle déclare la convention collective signée en 1999 entre Cedel (aujourd'hui Clearstream) et Aleba comme étant entachée du vice de qualification défaillante dans le chef d'un des signataires, à savoir l'Aleba qui, dans le cas particulier de Cedel-Clearstream, ne pouvait pas «se prévaloir d'un appui suffisant (au sein de l'entreprise) pour qu'un consentement collectif puisse être présumé.»