Jugée sur ses résultats : la Commission de surveillance du secteur financier fait de la protection des consommateurs financiers une de ses priorités et s’investit désormais « plus fortement dans cette direction », en mettant l’accent sur l’éducation financière des épargnants et des investisseurs, laquelle serait défaillante. Les organisations de protection des consommateurs et des investisseurs (Union luxembourgeoise des consommateurs sur le plan national, Bureau européen des consommateurs sur le registre européen) ayant désormais voix au chapitre, elles devraient être les premières à délivrer leur jugement sur les progrès supposés du respect des droits des usagers des banques et établissements financiers.
La loi du 8 avril 2011 sur le code de la consommation n’a pas changé grand-chose au rôle de la CSSF, sinon de le confirmer. La loi de 1998, qui est à la base de la création de la CSSF, en avait déjà fait l’autorité compétente en matière de protection des consommateurs de produits financiers et d’épargne. Le code de la consommation a placé toutefois la barre encore plus haut pour le régulateur du secteur financier, qui a désormais le pouvoir de saisir le juge du tribunal de commerce pour faire cesser des pratiques commerciales déloyales, des clauses abusives ou des abus liés à des contrats de crédits à la consommation ou des ventes de services financiers par Internet.
La CSSF n’a pas encore eu à intervenir, la « force de persuasion » de ses dirigeants ayant suffi jusqu’à présent à faire rentrer « dans les clous » des établissements de crédit qui auraient tendance, compte tenu de l’extrême concurrence sur le marché local de l’épargne, à leurrer les investisseurs avec des messages aguicheurs, trop beaux pour être vrais. Début 2012, une grande banque à guichet a ainsi dû dare-dare retirer une de ses publicités vantant un taux d’intérêt calculé sur un an et demi, au lieu d’un an, susceptible d’induire les épargnants en erreur et lui permettre de rivaliser avec les assureurs de la place qui s’en donnent généralement à cœur joie sur le registre de la communication des performances de leurs produits.
Comme le signale elle-même la CSSF dans son rapport d’activité pour 2011, « les différentes lois régissant le secteur financier et ses activités confèrent des pouvoirs beaucoup plus directs à la CSSF en matière de sanctions et d’actions à prendre en cas de violation des textes applicables ». Les texte octroient aussi un petit rôle aux organisations représentant les usagers. Le régulateur joue donc le jeu : il a ainsi lancé à la fin de l’année dernière une « plateforme de discussion » en matière de protection des consommateurs financiers, dont la seconde réunion a eu lieu début juin. La représentation de la société civile et du monde économique et même des administrations était optimale dans cet aréopage : Commissariat aux assurances, Banque centrale du Luxembourg, Association luxembourgeoise des fonds d’investissement, Association des banques et banquiers Luxembourg, ministères de l’Éducation nationale, de l’Économie et de la Famille (la présence de leurs représentants est importante pour traiter les questions du surendettement), tous ont pris part aux discussions et ont jeté les bases de cette plateforme de travail. Une première réunion avait eu lieu en février. Le rythme des rencontres se fera sur la base d’une réunion par trimestre. L’ambiance y est d’ailleurs assez consensuelle : « Il n’y a pas autant de problèmes qu’on aurait pu le penser », reconnaît Jean Guill, le directeur général de la CSSF dans un entretien au Land.
La création de la plateforme a d’abord répondu à une revendication des organisations de défenses des usagers des banques, qui furent abondamment relayées par les syndicats du secteur financier, ces derniers voyant sans doute dans l’initiative d’ouvrir les organes dirigeants de la CSSF à des représentants de la société civile, une manière de forcer les portes du Conseil de la CSSF dont ils sont exclus, alors que les responsables des grandes associations patronales comme l’ABBL ou l’Alfi y siègent de longue date.
Même s’il avait été d’accord sur le principe, Jean Guill, le directeur général de la Commission de surveillance, n’aurait pas pu installer des membres de l’Union luxembourgeois des consommateurs (ULC) par exemple dans le conseil. D’abord, parce que ce n’est pas lui qui en détermine la composition, la compétence revenant au gouvernement qui arbitre en fonction des poids économiques de chacune des activités de la Place. Ensuite parce que le Conseil ne joue aucun rôle dans la surveillance, sa mission se limitant aux questions de budget (l’augmentation des taxes à prélever sur les banques, par exemple). « Il n’entre pas dans les compétences du conseil d’intervenir dans la surveillance, aussi une représentation au sein du Conseil est inutile ; l’Union luxembourgeoise des consommateurs a d’ailleurs bien compris que ce n’était pas là la meilleure façon de faire entendre sa voix », souligne Jean Guill, qui assure vouloir « chercher à mieux intégrer leurs représentants dans notre travail ».
Les deux premières réunions de la nouvelle plateforme sous la houlette de la CSSF ont été l’occasion de faire l’inventaire des actions déjà menées. « On ne va pas réinventer la roue », explique Jean Guill, qui dit avoir été « positivement surpris » par toutes les initiatives déjà prises au niveau associatif, tant par l’ULC que par l’ABBL ou l’Alfi et qui « donnent aux consommateurs une bonne partie des réponses aux questions qu’ils se posent ». Le constat est par contre moins brillant sur le plan des connaissances. Les défaillances identifiées portent en effet sur le défaut d’éducation financière constaté dans la population, et particulièrement chez les jeunes. Un effort de ce côté-là pourrait d’ailleurs contribuer à motiver davantage de jeunes résidents à embrasser une carrière dans le secteur financier. Dans les lycées luxembourgeois, l’enseignement de la matière serait trop théorique : on y apprend peut-être ce qu’est une Sicav, mais l’enseignement reste en défaut d’aborder des sujets plus terre-à-terre comme les frais liés à des virements transfrontaliers. Les responsables de la CSSF regardent d’ailleurs d’un bon œil des initiatives internationales comme celle de l’ONG Child Finance aux Pays-Bas visant à rendre accessible à 100 millions d’enfants et jeunes de cinq à 18 ans un compte en banque d’ici 2015. « L’éducation financière est notre fil rouge et c’est sur ce plan que nous devons avancer », assure Jean Guill. Le public doit donc « apprendre à mieux lire » les conditions générales des contrats et à rester attentif aux frais de gestion qui y sont liés : « La transparence et la publicité des frais ne sont pas évidentes, dit-il. Nous faisons souvent rembourser ces frais ».
La CSSF travaille à la mise en place d’une rubrique à part, sur son site Internet, qui brillait jusqu’à présent davantage par le haut degré de technicité de ses informations (essentiellement à destination des professionnels) que par son approche pédagogique des produits et services financiers. Parce que ce ne fut pas pendant longtemps un volet prioritaire du régulateur luxembourgeois, davantage porté à s’occuper du confort des professionnels que du respect de leurs clients. Les temps ont changé et la CSSF, face aux abus, a fini par se mêler de la politique commerciale des banques.
Les consommateurs de produits financiers, sous l’effet de la crise, se sont d’ailleurs retrouvés au cœur du travail et des préoccupations des régulateurs du secteur financier en Europe, sous l’aiguillon du G20. La confiance qu’ils portent dans les produits et services est déterminante pour la santé de ce secteur économique et l’on s’en est enfin rendu compte, avec un temps de décalage au grand-duché sur le reste de l’Europe en raison de l’importance de la clientèle non-résidente par rapport aux clients locaux.
Le régulateur va donc parler à la population « dans un langage adéquat » et avec plus de force contraignante qu’avant, la loi de 2011 sur le code de consommation ayant également octroyé à la CSSF de « vraies » compétences pour jouer les médiateurs et trancher des réclamations de clients en dehors des tribunaux. Tout le monde peut désormais soumettre une réclamation au secrétariat général de la Commission de surveillance, y compris les associations de consommateurs, ce qui est nouveau. Une directive de 2009 ainsi qu’une proposition de règlement européen relative aux litiges de consommation devraient encore faire évoluer le rôle du régulateur pour renforcer son contrôle des produits, notamment opérations sur devises par Internet.
Pour l’heure, rien n’a vraiment beaucoup évolué dans l’organisation interne du département traitant les litiges entre les banquiers et leurs clients, il n’y a pas eu de recrutements spéciaux liés à la mise en place de la plateforme avec les organisations patronales et de protection des consommateurs, contrairement à d’autres départements où les nouvelles recrues sont légion.
L’amélioration du niveau de protection des consommateurs est devenue un enjeu économique et une priorité des banquiers luxembourgeois, qui ont dû faire un saut qualitatif majeur à l’égard de leurs clients, tant locaux qu’internationaux, autrefois plus soucieux de dissimuler leurs avoirs que de la performance de leur portefeuille. L’argument du secret bancaire étant désormais relégué à l’arrière-plan des stratégies commerciales des établissements luxembourgeois, c’est sur le respect des investisseurs et des épargnants que les opérateurs tentent de faire la différence avec leurs concurrents.
Or, le régulateur a aussi un rôle plus important à jouer, même à l’égard des investisseurs dits avertis, que la directive Mifid (dont la mise en œuvre va d’ailleurs bientôt faire l’objet d’une peer review) a classé un peu à part dans la population financière désormais segmentée en plusieurs catégories de « pères de famille » : des prudents aux risques-tout. L’étendue du rôle de la CSSF pour protéger les investisseurs avertis a fait l’objet, à la fin 2011, de clarifications de la part de la Cour administrative, appelée à trancher un litige entre le régulateur et un fonds d’investissement spécialisé contestant sa mise en liquidation judiciaire pour des irrégularités. La CSSF exerce ses attributions exclusivement dans l’intérêt public, ont rappelé les juges en précisant que la surveillance « n’est pas prioritairement destinée à sauvegarder les intérêts des seuls investisseurs, mais au-delà, de maintenir la confiance du public, en général, de la place financière par l’assurance du respect de la législation et des règles prudentielles en matière de gestion des avoirs confiés par des investisseurs aux organismes spécialisés ». Et, ajoute la Cour, « cette mission ne saurait être utilement exercée que moyennant un contrôle et une sanction stricts des règles applicables en la matière et non pas au moyen d’aménagement ad hoc permettant à l’un ou l’autre investisseur, au détour de la loi, de sauver provisoirement sa mise ».
Voici donc fixé le principe qu’il n’y a de bons contrôles du régulateur et partant de protection des investisseurs, petits ou gros, dignes des standards internationaux que s’il dispose de pouvoirs forts. C’est encore une autre affaire.