« L’erreur est humaine », dit-on goulument à chaque faux pas en collectivité. Tchernobyl, Challenger, Costa Concordia… dans l’activité humaine, sept erreurs sur dix surviennent de par un facteur humain. Et pourtant, globalement, la plupart peuvent être évitées. De l’expression québécoise « Putain de facteur humain », que l’astrophysicien Hubert Reeves explique comme le fait « que l’on ne passe pas de ce qu’on sait à ce que cela implique », le duo Karolina Markiewicz/Pascal Piron lance une réflexion autour du rôle de l’humain dans sa propre histoire. Une exposition entre angoisse et quiétude, une mise en balance consciente que les deux artistes expriment pour ouvrir le spectateur au choix de « sacrifier son putain de facteur humain » au bénéfice de son « précieux facteur humain ».
« Est ce que ça sert à quelque chose de poser des questions dans l’art ? », engage Karolina Markiewicz, parlant au nom du duo, par téléphone, sur fond de crise sanitaire. Une question assurément sans réponse précise, mais pleine de l’espoir qu’engage leur exposition Putain de facteur humain – Précieux facteur humain, à se poser des questions. Justement, plus que jamais dans notre contexte criblé de crises migratoire, sanitaire, économique, etc. Car la lumière au bout du tunnel s’exprime ici par le fait que ce « facteur humain » nous trahit autant qu’il nous aide. Et si l’humain résiste à regarder ce qui se trame en face de lui, il est aussi capable – rarement mais quand même – de se rendre à l’évidence des faits et y palier, sans se décourager.
Alors, le facteur humain est-il toujours « à risque », ruinant l’héroïsme pour un « désengagement répétitif à travers les monstrueuses ruptures ontologiques » ? Depuis le 7 mars, Markiewicz et Piron offrent au Pomhouse du Centre national de l’audiovisuel de Dudelange, plusieurs éléments non pas de « réponse », mais d’interrogations à ce propos. Et fidèles à leur ligne de conduite, ce sont l’humain et son histoire qui sont à nouveau au cœur de leur pensée théorique. Logique donc que la conception de cette exposition ait été partagée entre performance, cinéma, philosophie, peintures, texte et réalité virtuelle. Un ensemble d’outils que le duo met au service de ses créations et ses réflexions artistiques depuis un petit moment.
C’est ainsi une réflexion autour des confrontations qui se décline naturellement dans pfh*. Celles qu’a connues notre monde sociopolitique depuis 1979, montrées par l’intermédiaire d’une centaine de films d’archive, rendus irregardables par « data moshing » (manipulation de l’image par les données des fichiers multimédias). Des images diffusées sur une cimaise incrustée de petits écrans, formant des peintures abstraites – certaines moins que d’autres – pour qu’on ne sache plus ce qu’on voit vraiment. C’est à l’image de toutes les images qu’on voit passer chaque jour sur Internet, l’une remplaçant l’autre instantanément.
Autre élément de réflexion ; placé au centre du cadre d’exposition, un tunnel s’ouvre au spectateur pour y découvrir en son centre une expérience en réalité virtuelle. Là, le casque vissé sur les yeux, le spectateur plonge dans un décor de sable et d’eau, où deux figures féminines se confrontent, courant l’une vers l’autre au ralenti. Le spectateur au centre de leur confrontation, doute de leurs intentions à son égard. Mais là – encore – n’est pas la réponse, ces personnages mythiques, issus d’une gorgone dédoublée, s’auto-pétrifient au dernier moment. Même Markiewicz et Piron n’ont pas de conclusion là-dessus, pourtant au moins une certitude persiste, « on a toujours le choix de la bataille ou du baiser. Soit on est du côté de Trump qui bousille tout, soit on est du côté de… ». Aussi, sans trouver de nom à donner, on comprend ce que Markiewicz et Piron tentent de finir de formuler. Car si aucun nom ne sort spontanément, on est convaincu qu’ils se rangeraient du côté de l’humanité plutôt que l’inverse.
Finalement, pfh* c’est le récit de ce qui détruit et divise l’humanité mais aussi ce qui peut changer le cours de son histoire, « Les confrontations populaires sont effroyables de par leurs actes et en même temps, elles sont magnifiques, car on y retrouve l’humanité », explique Karolina Markiewicz. De ce postulat, on découvre une exposition visuellement attirante, construite par des jeux de lumières vivaces (Jaakes Hoffmann, Discolux), une ambiance sonore qui nous happe, agrémentée de la musique signée Kevin Muhlen, Ásta Sigurdardottir au chant et les narratrices Elisabet Johannesdottir et Amandine Truffy. Derrière le « décorum », des intentions et affections théoriques du duo, se dévoile une recherche artistique dépassant ses propres questionnements, livrant un sentiment d’angoisse et à la fois beaucoup d’espoir.