L’épidémie mondiale de Coronavirus et sa psychose n’ont pas freiné l’ardeur des amateurs de réalité virtuelle. Le week-end dernier, un gel hydroalcoolique disponible à l’entrée des salles du Centre Neimënster et le nettoyage systématique des masques à l’aide de lingettes, de la part d’un personnel nombreux et dévoué, contribuaient à apaiser le visiteur hypocondriaque. C’est d’ailleurs peut-être la clé de l’intérêt porté à ces réalisations : le transport virtuel est sans danger.
On ne peut toutefois être frappé par l’écart entre le degré d’ingéniosité et de travail des personnes mobilisées dans la réalisation de ces films, leur nombre conséquent, et le résultat final. Quoi qu’on en dise, la réalité virtuelle demeure une prothèse encombrante, peu sensible paradoxalement aux plaisirs de l’art. Cela, les six minutes du très beau et contemplatif Forest Lounge (quatre saisons, une journée, dans la forêt de Mullerthal) le disent explicitement. Tenter de retrouver la nature, « la vraie », c’est faire de la VR, non pas un outil mais une fin en soi.
Il est toujours possible ce week-end de voir 17 des 18 programmes initiaux. Cosmos Within US (45’) qui proposait de voyager dans l’esprit d’un malade d’Alzheimer n’est plus à l’affiche depuis lundi. On laissera de côté également, l’ennuyeux Sublimation (15’) où le spectateur est invité à mimer les mouvements d’une danse contemporaine japonaise à partir d’un avatar sommaire, et le racoleur 7 lives (25’) de Jan Kounen (le réalisateur de l’affligeant polar, Dobermann (1997)). Une métaphysique de quat’sous sert de fil conducteur à un spectateur paumé dans une station de métro de Tokyo après le suicide d’une adolescente. Battlescar (3x10’) déçoit malgré son programme ambitieux (un voyage au cœur de la scène punk new-yorkaise) et quelques scènes grisantes (dont celle du métro qui manquait visiblement à Kounen). Pop-up, livres animés, écran incrustés, changements d’échelle, etc, en mettent plein la vue mais finissent par lasser sans rien nous apprendre ni de New York, ni du frisson punk des années 1970. Il faut dire que Battlescar est un film d’animation, au même titre que Glommy Eyes, A Linha, Gymnasia, The Key et Spheres.
Comme pour les films en 3D – qui marquent d’ailleurs le pas dans les salles de cinéma actuellement –, la faible définition et luminosité des images contribue à gêner le spectateur et à le lasser rapidement. Présenté comme un must, les trois chapitres de Sphères (le système solaire, les trous noirs, le Big Bang, 41’) ont pourtant moins de profondeur encore que le plafond étoilé de votre chambre à coucher quand vous étiez enfant. Quelques reflets sur la visière du casque d’un cosmonaute à la fin de 2001, suffisaient à Kubrick pour transformer un voyage dans l’espace en expérience cosmique. Ce n’est pas le cas ici. Glommy Eyes est un honnête film d’animation chez les « Polly Pocket » qui aurait pu se passer de la VR et Gymnasia pourrait être recyclé dans les salles Kinépolis en amorce publicitaire pour les films en 3D (attention, les ballons rebondissent vers vous !). L’interactif A Linha est plus subtile. Une maquette de « petits trains » sert de paysage et de métaphore à l’amour comme antidote à la routine. Les joysticks sont des gadgets, mais si vous ne les utilisez pas, la mécanique se fige. Une poésie s’en dégage dès que le choses reprennent leurs cours grâce à vous.
On met un peu de temps à comprendre le principe de The Key et on se cogne une paire de fois contre les parois de la salle en tentant de se pencher aux fenêtres pour explorer des rêves… à clés. Ils nous révèlent que nous sommes dans une maison des cauchemars bien réels de la guerre civile, quelque part au Moyen Orient. La VR passe au serious game. Céline Tricart, la réalisatrice de The Key (récompensé à la Mostra de Venise et au Festival de Tribeca) est aussi l’auteure, avec Christian Stephen, de Sun Ladies (7’) un documentaire sur les combattantes yézidies opposées à la barbarie de l’État Islamique. Dans la même veine, Daughters of Chibok (12’) dénonce l’enlèvement de 276 adolescentes dans l’est du Nigéria en avril 2014 par le groupe terroriste Boco Haram. Ici la VR n’ajoute rien au documentaire traditionnel. Le spectateur n’a besoin d’aucun artifice technique pour se sentir en empathie avec des centaines de femmes, violentées, humiliées, transformées en esclaves sexuelles. La VR n’ajoute pas plus de profondeur au spectacle équestre de Bartabas (Ex Anima Expérience, 12’) et à Everest VR de Jonathan Griffith (10’). La montagne est depuis longtemps, un objet spectaculaire qui s’impose à nous sans médiation.
Au total, deux films méritent à eux seuls la visite au Pavillon virtuel cette année. Le premier repose sur la performance corporelle des nageuses et nageur du Cirque du soleil (Dreams of « O », 12’). L’ubiquité du point de vue renverse les rôles et transforme le spectateur en deus ex machina. Le second est un touchant reportage sur la lutte sans fin des noirs américains pour la reconnaissance de leur droit (Traveling While Black, 21’). Tout se passe au Ben’s Chili Bowl, une enseigne célèbre de vente de hot-dog à Washington DC, haut-lieu de la solidarité afro-américaine, notamment lors du mouvement pour les droits civiques. On entend les récits de plusieurs témoins de la fin des années 1950 à nos jours. Le spectateur est assis à leur côté et partage leurs souvenirs. Les clients du bar font face à la table et écoutent religieusement les témoignages. Le regard du spectateur se transforme en caméra. Il peut balayer les visages, lire les enseignes, observer de l’autre côté de la salle, la devanture du bar, et au-delà, la rue avec ses passants. Tout à coup, la VR se dérobe et le film laisse entrevoir la possibilité d’être soi-même avec l’autre, non pas s’immerger au point de se retrouver dans son corps à sa place, mais plus simplement, d’être à ses côtés.