Implantation des institutions européennes

Jack-in-the-Box

d'Lëtzebuerger Land du 15.02.2007

Provoc’. Pétard mouillé. Ne pas le prendre trop au sérieux… Les réactions luxembourgeoises à la déclaration du député européen Joseph Daul (UMP), nouvellement élu président du groupe parlementaire du Parti populaire européen, sont unanimes depuis un mois. L’Alsacien Daul avait déclaré à l’Agence Europe que Strasbourg ne pouvait accepter un départ du Parlement européen vers Bruxelles qu’en échange de l’implantation d’autres institutions européennes – pourquoi pas la Cour de justice des Communautés européennes ou la Banque européenne d’investissement (BEI) ?

Place Clairefontaine, cela n’a fait rire personne. Le Premier ministre, Jean-Claude Juncker (CSV), fut le premier à annoncer la couleur, lors d’une entrevue avec le président du Parlement européen, Hans-Gerd Pöttering, en visite au Grand-Duché à la mi-janvier. Et son message fut on ne peut plus clair : Il est hors de question que le Luxembourg, siège historique d’un certain nombre d’institutions européennes, fasse les frais des querelles entre Bruxelles et Strasbourg. Pöttering aurait promis que, durant son mandat, qui dure deux ans et demi renouvelables, la discussion sur le siège du parlement ne serait pas rouverte.

Même son de cloche cette semaine à la Chambre des députés, lorsque le président du groupe parlementaire libéral et ancien député européen, Charles Goerens, interpella le ministre délégué aux Affaires étrangères, responsable des questions européennes,Nicolas Schmit (LSAP), au sujet de l’attitude luxembourgeoise à l’encontre de cette boutade de Joseph Daul. « Une chose est certaine : on ne peut pas rester sans réaction face à cela ! » estima-t-il. « Ne dramatisons pas ! » rétorqua, stoïque, Nicolas Schmit, pour lequel le fait que l’établissement des institutions européennes au Luxembourg soit inscrite dans les traités, notamment celui d’Amsterdam de 1997, et que les changements ne peuvent se faire qu’à l’unanimité des États-membres, au Conseil des ministres de l’Union européenne, sont des garanties juridiques suffisantesà l’heure actuelle.

Mais il ne fait aucun doute que cette boîte de Pandore qu’est le débat du siège sera rouverte à rythme régulier par les opposants au polycentrisme de l’Europe, qu’ils soient politiciens ou fonctionnaires. Car rien que du côté du Parlement européen, la transhumance mensuelle, inscrite dans les traités, fait grincer bien des dents. Alors que le gros de leur travail se fait à Bruxelles, où ils vivent en semaine, les 785 députés et plusieurs milliers d’assistants et de fonctionnaires européens, font une fois par mois leurs bagages pour aller siéger durant trois jours à Strasbourg – comme ce fut le cas cette semaine encore. Selon les estimations du Parlement, ces voyages coûtent quelque 200 millions d’euros par an ; 9 000 euros pour le seul déménagement de 200 tonnes de matériel chaque mois (Le Monde du 12 janvier).

Néanmoins, il est compréhensible aussi que chaque remise en question du statu quo, surtout venant d’un politicien ayant un certain poids, comme le président du PPE, provoque de l’urticaire au Luxembourg. Car le Grand-Duché accueille toujours une partie du secrétariat du Parlement au Kirchberg, soit quelque 2 500 fonctionnaires.

Bien que partiellement démantelé au tournant du siècle, les services politiquement et stratégiquement les plus influents ayant déménagévers Bruxelles, ce secrétariat contribue à cimenter l’importance stratégique du minuscule Grand-Duché dans l’Europe des 27. Tout comme le font d’ailleurs les autres institutions européennes implantées ici. En 2003, le gouvernement obtint des garanties de la part du Parlement européen sur la consolidation de ses services au Luxembourg, avec notamment l’acquisition du bâtiment Konrad Adenauer au Kirchberg (pour 60 millions d’euros) et le lancement d’un concours d’architecture pour son agrandissement de quelque 1 900 bureaux ou plus de 50 000 mètres carrés de surface totale. Ce concours fut remporté la même année par le bureau d’architectes Heinle, Wischer [&] Partner de Stutt-gart, pour un coût total estimé à 200 millions d’euros. Or, depuis lors, les travaux traînent, en septembre dernier seulement, les parties intéressées, à savoir le PE, l’État luxembourgeois et le Fonds d’urbanisation et d’aménagement du Kirchberg (Fuak), ont signé une convention-cadre sur la mise à disposition du terrain et la mise en oeuvre du chantier. Les derniers ajustements sont à apporter à l’avant-projet sommaire, notamment en ce qui concerne les surfaces commerciales prévues au rez-de-chaussée, avant que l’avant-projet définitif puisse être finalisé et les appels d’offres lancés. Tout indique que le Parlement européen opte pour un partenariat public-privé (PPP) pour la réalisation du chantier, chargeant une entreprise générale de la supervision ; le chantier devrait pouvoir être terminé d’ici 2011.

« Il est vrai que nous sommes parfois un peu lents au Luxembourg, essentiellement parce que les procédures sont longues, » convient le président du Fuak, Patrick Gillen, qui gère pour le compte de l’État la coordination de ces nouveaux bâtiments européens et de leurs extensions, devenues nécessaires suite à l’élargissement de l’Union notamment, et des infrastructures publiques, dont le plus grand défi est la voirie. Et à chaque fois, avec chaque maître d’ouvrage, la formule de financement et de gestion du chantier change : ainsi, la BEI gère seule son chantier d’agrandissement de plus de 69 000 mètres carrés, le projet du bureau d’architectes Ingelhoven Overdiek [&] Partner de Düsseldorf est réalisé par une entreprise générale, sans que ni le Fuak ni l’État luxembourgeois n’interviennent d’aucune façon. 

En face, la quatrième extension de la Cour européenne de justice, le projet de Dominique Perrault (134 millions d’euros pour 50 000 mètres carrés) avance à grands pas et sera achevé fin 2008 ; la gestion du chantier se fait sous la responsabilité de la Cour. La Cour des comptes par contre a fait construire sa deuxième extension (Jim Clemes) par l’Administration des bâtiments publics luxembourgeoiseet les négociations pour une troisième extension sont déjà entamées ; le projet pluriannuel de dépenses en capital de l’État prévoit 56 millions d’euros à ce poste. Les négociations pour le nouveau bâtiment de la Commission européenne quant à elles sont en voie de finalisation : au courant du printemps, le vice-présidentde la Commission et le gouvernement luxembourgeois devraient pouvoir signer un accord sur la mise à disposition de terrains, avec, là encore, un achèvement prévu des travaux d’ici 2011.

Si ces nouveaux chantiers européens avancent assez rapidement, le gouvernement Juncker/Asselborn ayant décrété les institutions européennes prioritaires dans leurs grands projets d’infrastructures et d’investissements, ce sont les cadavres dans le placard datant des précédentes législatures qui valent au gouvernement luxembourgeois les railleries de leurs collègues européens, des fonctionnaires concernés et des députés luxembourgeois.

Ainsi, Ben Fayot, président du groupe parlementaire socialiste à la Chambre des députés, grand connaisseur de l’Europe et fervent défenseur du polycentrisme des institutions pour des raisons politiques et historiques notamment – « l’Europe n’est pas un État fédéral, mais une union d’États souverains indépendants », symbolisée par ces multiples sièges selon lui –, estime que « l’Europe a d’autres problèmes à résoudre que celle de rediscuter éternellement des sièges ». Mais que des chantiers comme celui du Centre de conférences du Conseil des ministres, place de l’Europe, constituent de véritables scandales. 

Car si, en 2001, le premier projet de loi prévoyait un investissementde plus 160 millions d’euros et un achèvement des travaux pour la Présidence luxembourgeoise de l’Union européenne en 2005, le bâtiment est loin d’être achevé et le budget sera largement dépassé. Les raisons de ce gouffre : le programme de construction a été adapté plusieurs fois depuis le début des travaux en 1998, le secrétariat général du Conseil ayant à maintes reprises introduit de nouvelles demandes. Selon les dernières estimations, la première extension devrait coûter près de 200 millions d’euros et être terminée d’ici la fin de l’année. Mais le bâtiment ne pourra être utilisé jusqu’à l’achèvement de la deuxième extension, pour laquelle un nouveauprojet de loi devrait être déposé dans les prochains mois pour un investissement à hauteur de 102 millions d’euros prévu dans le programme d’investissement pluriannuel.

Le deuxième chantier éternel et provoquant des remous parmi les quelque 10 000 fonctionnaires européens installés au Luxembourg est celui de la deuxième École européenne, dont le principe fut adopté dès l’inauguration du nouveau bâtiment du Kirchberg,en 2001. Un concours d’architectes a été remporté en 2004 par le Luxembourgeois Michel Petit en association avec Schilling Architekten de Cologne, mais l’État vient seulement d’acquérir tous les terrains à Mamer-Betrange. Il est prévu d’investir 200 millions d’euros, mais pour les parents d’élèves, le choix du site fut une mauvaise décision, comme ils devront faire de fastidieux allers-retours quotidiens entre leur lieu de travail au Kirchberg et Mamer. Toutefois, la situation dans la première école est devenue intenable, accueillant désormais quelque 6 000 enfants sur un seul site, soit plus du double de ce qui était prévu. 

Ce sont probablement ces investissements énormes, surtout pour un petit État comme le Luxembourg, qui expliquent les réactions épidermiques des politiciens nationaux à des boutades comme celle de Joseph Daul. « Une politique du siège dynamique et active reste nécessaire pour contrecarrer d’éventuelles tendances à l’érosion de certaines institutions européennes à caractère ‘trans-ardennais’, » lit-on dans le rapport annuel 2005 du ministère des Affaires étrangères, qui chapeaute notammentle Comité de coordination pour l’installation d’institutions et d’organismes européens.  

 

josée hansen
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