A priori, rien ne pousse à associer dans une exposition Leiko Ikemura, l’artiste d’origine japonaise, et Jean-Charles Blais, le natif de Nantes. Mais il ne s’agit pas d’origine, bien sûr. Rien que leur manière de travailler les oppose radicalement. D’un côté, quand même comme un clin d’œil à la tradition asiatique, des peintures quasi immatérielles, où la tempéra et l’huile ne semblent qu’effleurer la jute, de l’autre, avec des affiches arrachées, des couches qui viennent se superposer, de l’épaisseur donc, de la matérialité. Et il est normal que les images, le monde qu’elles nous ouvrent, ne soient pas les mêmes, ne sortent pas des mêmes nuits, pas des mêmes rêves.
Et dans leur(s) contraste(s), justement, cela fonctionne. L’exposition, à la galerie Zidoun-Bossuyt, jusqu’au 9 janvier prochain, si elle s’avère très réduite, une demi-douzaine d’œuvres de chaque artiste, est d’une grande qualité, et le visiteur passe volontiers de l’un à l’autre, les confronte après s’être attardé dans leur univers respectif.
De Leiko Ikemura, déjà, on aime à dire qu’elle se situe à la rencontre de deux civilisations. Ses toiles, en effet, tantôt esquissent des paysages-horizons, des espaces qu’on situera entre le connu et l’inconnu, avec leurs montagnes nuageuses qui rappellent telles estampes, tantôt vont carrément vers l’abstraction, toute anecdote, toute littérature étant bannies. Dans les premières, des visages surgissent, planent, entourés de longues traînées de cheveux, s’intègrent à la nature au point de ne plus faire qu’un avec elle, il est alors question de genèse dans les titres, de féminité, voire de sainte Ursule, pour l’innocence sans doute. On préférera parler de légèreté du rêve, dans cette peinture en apesanteur, légèreté encore dans les deux sculptures, grave toutefois pour la gisante, malicieuse, enjouée, pour le chat argenté.
Il y a trop de délicatesse dans les tons roses, les couleurs pastel en général, trop de finesse, qui évitent que ces peintures ne glissent dans une douceur fade. Mais quelle opposition avec la noirceur de Jean-Charles Blais, ses silhouettes, vues de dos, dont les éclaircies autour, les taches de couleur, ne viennent qu’accentuer le côté ténébreux, nocturne. Le cauchemar, si l’on veut, après les rêves éblouis, émerveillés.
On aurait tort, toutefois, de charger de la sorte les peintures de Jean-Charles Blais, partie prenante dans la Figuration libre, dans les années 1980, et dix, vingt années plus tard, exposé dans le pays, à la galerie de Luxembourg ainsi que chez Erna Hécey. Car nous sommes loin d’une peintre illusionniste ; ses figures, dit-il, ne sont plus des personnages, mais des objets. Et leurs paires font corps, entre eux, de même avec les affiches arrachées qui leur servent de support et d’horizon. Et alors ces ombres étranges, on s’interroge moins sur leur marche, ou leur destination ; c’est la démarche du créateur qui importe.
Leiko Ikemura donne voix, il en résulte comme un chant, aux espaces infinis dont le silence éternel effrayait jadis Pascal. Plus modestement, avec beaucoup de force, d’intensité, Jean-Charles Blais donne vie à des fantômes, leur donne consistance qu’ils passent à leur tour à la peinture.