Le Time 0 de Paul Kirps, tire son titre non pas de la référence à cette sorte d’« année zéro » que la pandémie nous impose, mais au film photographique Polaroid ainsi dénommé depuis sa commercialisation dans les années 1980. Près de cent vues choisies par Paul Kirps et mises en dialogue par séries de huit, quatre ou deux, sont exposées jusque fin janvier au Cloître Lucien Wercollier de l’Abbaye de Neumünster. Ce sont des polaroids à taille originale (sous verre dans des petits cadres 27x19 cm) et des agrandissements au format 70x70 cm et même 100x100 cm (impressions fine art, encres pigmentées sur papier Hahnemühle, montées sur Dibond et scellées sous Diasec). Des vues de chantiers, de bâtiments et d’aéroports, de parcs industriels et de loisirs, de fêtes foraines et de zones industrielles et commerciales.
On peut se demander si l’instantané remplace désormais le long travail de construction graphique auquel Paul Kirps nous a habitués dans ses œuvres précédentes où la rigueur domine, ainsi que le temps long de la fabrication, qu’il s’agisse de ses tableaux, peintures murales monumentales ou ses installations. La première surprise passée, on dira plutôt que Paul Kirps est toujours aussi fasciné par la technique et qu’il a toujours la même précision technique de réalisation, ici une nouvelle prise photographique des polaroids, puis agrandie.
Ce qui change, c’est la situation de la crise sanitaire qui a empêché Paul Kirps de faire une exposition d’installations, prévue depuis deux ans et qui l’a amené à montrer un travail qu’il réalise depuis quelques années, mais qui n’était pas en soi son objectif. Paul Kirps utilise son regard comme un outil, à travers l’appareil photographique Polaroid SX70, sa visée reflex et une lentille en verre, pareille à une loupe pour les plans rapprochés. Le résultat du tirage rapide, influencé par la température de la saison à laquelle les vues sont prises, plutôt froides en hiver, plus chaudes en été, lui donne l’occasion de faire des rapprochements par gammes de couleurs, lignes et formes, ce qui recrée par connexions conceptuelles sa culture visuelle et urbaine.
Gardé secret jusqu’à la présentation de Time 0, voici donc un pan du monde pour ainsi dire intime de Paul Kirps révélé. Il ne faut néanmoins pas s’attendre à le voir en pleine lumière. Le résultat si particulier de la photographie polaroid, comme embrumé, sied aux zones intermédiaires qui attirent le regard de Paul Kirps, sans que l’on ne sache plus s’ils appartiennent au temps passé, présent ou futur. Les coulisses, la machinerie, les constructions temporaires mais aussi les structures porteuses et les éléments de façades modulaires de l’architecture se prolongent d’une photo à l’autre, prestigieuses, utilitaires, temporaires ou industrielles, abandonnées, muséifiées, en construction ou façonnant de nouveaux quartiers, jusqu’aux parcs d’attraction et ses animaux en plastique.