On se rappelle des chaussures-étriers de bronze et du vase-chapeau en céramique enfilés par Mike Bourscheid. Dans Thank you for the Flowers à la Biennale de Venise de 2017, il accueillait les visiteurs dans la Ca’ del Duca transformée en un univers mi-Far West mi-domestique fantasque. Trois années plus tard, l’artiste est resté calfeutré chez lui, à Vancouver, durant le confinement du printemps. Et qu’a-t-il fait durant cette période, dans un espace limité, avec des moyens qui l’étaient aussi ?
Mike Bourscheid a confectionné ce qu’on peut voir actuellement chez Nosbaum Reding. Un mannequin sorcière-épouvantail, chapeau pointu sur la tête et balais à la main, vêtu d’une salopette de travail, mais taillée en jupe (The wicked scarecrow). Un portant, recouvert d’une capote transparente que l’on supposera militaire, comme le suggère son casque, a les poches bourrées d’accessoires utiles, personnels, sentimentaux et futiles.
Depuis Vancouver où il réside, Mike Bourscheid propose aux visiteurs de son pays natal (il est né à Schifflange en 1984), avec Filled with Fluff and Emotions, un voyage qui célèbre la campagne et les rites paysans, le monde merveilleux des films américains et la pêche à la ligne, apprise dans les grands espaces canadiens. On reconnaît bien sûr aussi les œuvres de Mike Bourscheid, à travers son interprétation fluide de la masculinité, ce que rappelle le casque ourlé d’une frange de lampadaire de Jean-Louise.
À gauche de l’épouvantail de la sorcière de l’Ouest du Magicien d’Oz, voici avec Frantz H., comment aurait pu être le costume porté par Mike Bourscheid dans une danse célébrant les moissons. Dans cet auto-portrait photographique, il est juché sur des cages à poules, mais tient délicatement l’animal dans ses bras. La douceur du geste et des plumes renvoie au fluff du titre de l’exposition. Oh rappellera qu’à Venise déjà, l’artiste s’était servi de son bras en guise de perchoir pour un perroquet, imitateur du langage et des comportements humains stéréotypés. La masculinité apparente de Mike Bourscheid, chapeau de cow-boy sur la tête, était contredite par un délicat pyjama bordé de dentelle. Voici donc Mike Bourscheid le doux, qui a mis la main à la pâte à modeler, passée à la machine à faire des lasagnes et cuite au four (Categorial Imperative 1, 2 et 3).
Quand il touche à l’intime, l’artiste ne dérape jamais vers la vulgarité. On laissera donc aux plus coquins la liberté de faire le parallèle entre sa performance de 2015, You inheritated that from your father! We dance our name, avec son pénis de taille encombrante et Cozy conversations in the catacombs. Un kilt cousu et assemblé suivant la traditionnelle couverture nord-américaine, au motif de mur de briques est percé de trous, où sont suspendus des cierges « marionnettes à main »…
Lucien E.P., est un hommage de Mike Bourscheid à son beau-père, de son vivant amateur de cigares et de pêche à la ligne. Les mouches ornent, telles des décorations, le plastron en soie d’une poupée-sac que l’on a envie de serrer dans ses bras quand on est plein de ces Emotions annoncées dans le titre de l’exposition. La sculpture-tronc immobile, inclinée par le poids du chagrin, prend appui non pas sur une main à l’expression puissante comme en a coutume Mike Bourscheid, mais sur un maigre bras-prothèse en bois recourbé. Avant de quitter la galerie, on s’arrêtera, à défaut de voir l’artiste se mouvoir, devant le portrait en pied revêtu du costume d’épouvantail dans The farmer’s apprentice, a day in the field. Mettre son imagination en mouvement suffit pour se glisser dans cet univers enchanté. Dans le climat ambiant qui se traîne avec des semelles de plomb, cela fait du bien.