Si tous les habitants de la terre étaient aussi goinfres que les résidents du grand-duché, il leur faudrait l’équivalent de cinq
à six planètes pour satisfaire leurs besoins. Vu la dimension du pays, ses terres cultivées et ses forêts capables d’absorber des
gaz polluants, chacun dispose de l’équivalent de 1,91 hectare (la moyenne mondiale se situe à 2,06 hectares). Or, pour arriver
à maintenir le niveau de vie actuel, chaque résident aurait besoin de 11,83 hectares – soit un pays aussi grand que la Croatie.
D’un côté, il est clair que la population vit largement au-dessus de ses moyens – rendu possible par un revenu supérieur à la moyenne – et de l’autre, elle vit allègrement aux dépens d’autres populations qui sont loin d’atteindre un niveau et une qualité de vie équivalents. Le Luxembourg est donc le champion du classement mondial en matière d’empreinte écologique.
Ce score peu glorieux1 fut annoncé mardi, lors d’une conférence de presse du Conseil supérieur pour le développement durable à laquelle ont assisté les ministres CSV responsables du Développement durable, Claude Wiseler et Marco Schank. Ce dernier se dit satisfait de disposer « enfin » d’un instrument pédagogique de mesure et d’argumentation, un outil pour les décideurs politiques, économiques et la société civile. Et de pointer du doigt les maisons surdimensionnées et les grosses cylindrées, le style de vie débordant des citoyens vivant au Luxembourg. Aucun mot sur l’effet des industries, ni la responsabilité des politiques gouvernementales, si ce n’est qu’il « s’est écrit sur le fanion, en tant que ministre du Logement, qu’à l’avenir, il faudra veiller à construire écologiquement raisonnable ». Développement durable, principe de précaution ou pollueur payeur (on se souviendra de l’échec de l’ancien ministre socialiste de l’Environnement, Johnny Lahure, qui avait tenté d’instaurer une taxe écologique dans les années 1990) furent bien-sûr aussi lancés dans la ronde, ce qui en fait est parfaitement justifié, vu la gravité du constat.
Seule information concrète : « Nous allons élaborer un pacte climat avec les communes ». Or, la question embarrassante est cer-
tainement celle de la cohérence des politiques. Car, coïncidence, le même jour de la conférence de presse, le Luxemburger Wort faisait ses gros titres avec un exemple parfait des contradictions dans ce sens : les surfaces commerciales planifiées au grand-duché, situées en grande partie en dehors des agglomérations. Le « centre commercial de la Grande région », annoncé par le Premier ministre, sera énorme et prendra l’équivalent de quelque 150 terrains de foot. Consommer pour mieux vivre est une chose, mais pour s’approvisionner, il faudra nécessairement miser sur le transport individuel. Plus de voitures, plus de dépendance énergétique. Cette équation vaut aussi en matière de logement, où même les communes les plus en retrait par rapport aux grandes agglomérations sont tenues à encourager la construction de maisons et de cités, le tout bien ficelé par le pacte logement, instrument politique s’il en est. Avec là encore, une dépendance entière du moyen de locomotion individuel pour celui qui n’a pas eu les moyens de se payer un logement plus près du travail. Et l’annonce du gouvernement de vouloir rayer de la liste les lignes de bus non rentables, n’est pas un signe de cohérence non plus en matière d’empreinte écologique. Les instruments Modal split 25/75, IVL (integratives Verkehrs- und Landesentwicklungskonzept) sonnent creux depuis longtemps et sont sur le point de subir le même sort que la taxe annoncée sur les emballages.
D’abord, il ne s’agit pas de faire accepter l’instrument de mesure qu’est l’empreinte écologique au grand public, comme l’a indiqué le ministre Schank, il faut plutôt garantir l’acceptation des mesures nécessaires au revirement. Or, vu la capacité d’imagination des décideurs, il est fort à craindre que la seule solution trouvée en fin de compte soit une hausse des impôts sur l’énergie, sur la consommation de ressources naturelles et le traitement des déchets. Des taxes qui pénaliseront en particulier ceux qui n’ont pas les moyens de choisir leur façon de vivre qui, elle, a été toute tracée par des politiques en panne de visions. Ce n’est certainement pas seulement une question de choix personnel.
Peter Feist
Catégories: Développement durable
Édition: 10.06.2010