Depuis le temps que le terme de développement durable est à la mode, tout le monde l’aura compris : le Produit intérieur brut (PIB) n’est pas un indicateur suffisant pour mesurer le bien-être d’une société et l’impact planétaire de la manière dont elle gère les ressources disponibles. « Le Pib (à lire en un mot, ndlr) mesure la production marchande d’un pays, pas plus, » précisait le président du Conseil économique et social (CES), Serge Allegrezza, lors de la conférence de lancement « Vers d’autres mesures de la richesse et du bien-être » lundi à la Chambre de commerce. Le gouvernement a chargé le CES d’élaborer un tel instrument de mesure, en coopération avec le Conseil supérieur pour un Développement durable (CSDD).
L’invitation avait été adressée « à tous les acteurs institutionnels et de la société civile, sensibles au progrès de la société ». Beaucoup répondirent présent à l’appel, la plupart faisant partie de l’establishment politique et économique, en costume cravate, armés de leur i-phone pour surmonter les longueurs de la conférence, sachant sans doute qu’ils allaient être récompensés par les petits fours et le crémant à la sortie, avant de descendre au sous-sol pour reprendre leur voiture. L’invitation avait notamment précisé que « le parking souterrain est à disposition des participants », aucune indication sur les lignes de bus ou la station Veloh la plus proche. Bref, de petits détails qui auraient sans doute donné un petit coup de pouce à la crédibilité de l’événement.
Rien d’exceptionnel donc sur la forme, sauf que sur le fond, les ambitions sont énormes : il nous faut des indicateurs pour pouvoir mesurer le bien-être de nos sociétés. « Nous visons le passage d’un ‘plus-avoir’ à un ‘mieux-être’, lança le président du CSDD, Raymond Weber, Cela implique un nouveau modèle de développement et un nouveau projet de société, une vision. Il ne faudra pas se limiter à de petits aménagements. »
Inventer « un autre thermomètre de la société que le PIB » signifie que les statisticiens devront s’engager sur un terrain glissant, celui du subjectif, pour quantifier des perceptions et les recouper avec des données objectives et vérifiables pour en retirer la substantifique moelle. « Jusqu’à la fin du siècle dernier, on ne se posait pas la question pourquoi on produisait, pourquoi on accumulait, » expliqua l’invité de la conférence Philippe Le Clézio du CES français1, « Ensuite il y a eu la réflexion – récente – sur : quels sont les besoins des gens ? »
Autre difficulté : les notions de développement durable et de bien-être sont mises à toutes les sauces pour défendre tous les points de vue. À l’origine, la première servait avant tout la cause écologique, elle était assimilée à tout ce qui a trait à l’environnement. « Trop longtemps, nous avons privilégié cette dimension-là. Aujourd’hui, nous savons que les trois piliers sont indissociables : l’économie, le social et l’écologie, précisa Philippe Le Clézio. Mais la définition du rapport Brundtland2 de 1987 est toujours d’actualité : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ».
En pratique, cela ne signifie rien de moins que la remise en question de privilèges acquis, de s’attaquer aux intérêts de lobbies entiers. Cependant, la question sur ces dilemmes qui découlent de conflits d’intérêts n’a été qu’effleurée lors de la conférence. Le débat portait avant tout sur le surplus en statistiques et collectes de données, la quantification de ce qui ne l’est pas, comme le travail bénévole par exemple, ou le prix d’une bouffée d’air frais. Et puis il y a eu l’autre problème interpellant : comment faire participer le citoyen à ce grand débat ? Suffit-il de s’en tenir à ses représentants élus ? Cela supposerait que la Chambre des députés soit au cœur de la population qu’elle représente. « Il faut faire la distinction entre la nécessité d’une démocratie participative et celle de faire jouer la démocratie parlementaire lorsqu’il faudra prendre des décisions, » insista Raymond Weber.
Tout ce débat pour en arriver à quoi ? « Le but est d’élaborer un instrument pour appréhender l’ensemble de ces arbitrages, » précisa Philippe Le Clézio. Il s’agit de pouvoir évaluer des politiques, les freiner ou les pousser vers une direction plus juste. Si les indicateurs virent au rouge, c’est que les mesures prises n’ont pas été les bonnes et qu’il faut un revirement. Encore faudrait-il que chacun adhère à cette conclusion. « Mais, fit remarquer un intervenant dans la salle juste avant la fin du débat, nous savons très bien ce qui est durable et ce qui ne l’est pas ! » C’était un peu comme s’il avait dit que l’empereur était nu.