Les didascalies d’Elfriede Jelinek sont assez précises : Jackie portera un costume Chanel (comme sur ces images devenues mythiques de son tailleur fuchsia tâché du sang de son mari, John F Kennedy, le jour de son assassinat, en 1963), un trenchcoat, un foulard Hermès autour de la tête et, bien sûr, de grandes lunettes de soleil. Son monologue Jackie, d’après l’ancienne première dame des États-Unis, écrit en 2002 et joué sur des nombreuses scènes depuis lors, fait parler la plus célèbre veuve de la fin du XXe siècle des nombreuses morts qui ont pavé son existence. « L’actrice doit crouler sous le poids de ces multiples cadavres », écrit Jelinek, qu’elle doit tirer derrière soi « comme un batelier tire un bateau sur la Volga » – de telle sorte que l’actrice sera à bout de souffle à la fin du monologue. « Aber Sie werden ja sicher was ganz anderes machen » (« mais vous allez certainement faire tout à fait autre chose ») s’amuse l’auteure autrichenne nobelisée à la fin de ses instructions.
Valérie Bodson, qu’on connaît actrice, s’est approprié ce texte puissant sur le deuil et la résilience d’une femme pour le mettre en scène, avec Caty Baccega en Jackie. Cette Jackie-là, Jelinek l’a classée dans sa série des Princess Plays. Parce qu’elle l’a vécue jadis comme ça : elle avait 17 ans quand Kennedy a été assassiné, a dévoré l’histoire tragique de Jackie à travers la presse people, qui raffolait de ses nombreux drames personnels qu’elle affronta toujours avec élégance. Ce soir, vendredi 7 juin (à 20 heures) aura lieu la création de cette pièce très attendue ; la coproduction des asbl Ici&Maintenant et Fundamental fera l’ouverture de la dixième édition du Fundamental Monodrama Festival.
« Il y a des metteurs en scène qui vous portent, ceux qui vous foutent la paix et ceux qui vous font chier », s’exclama Bodson dans un éclat de rire lors de la conférence de presse de présentation. Et qu’elle avait essayé d’être parmi ceux de la première catégorie. « Parce qu’avec un monologue, on est habité pendant plusieurs mois par un texte », sait celle qui avait interprété la prostituée Nour prise dans les troubles du Printemps arabe, dans la pièce Dans les yeux du ciel de Rachid Benzine il y a trois ans au même endroit.
Le festival du seul-en-scène dirigé par l’acteur et président de Fundamental Steve Karier, un des seuls festivals de théâtre au Luxembourg (avec le TalentLab des Théâtres de la Ville, qui se déroule en parallèle), dont on apprécie l’ambiance décontractée, se rajeunit cette année, avec l’arrivée de Sarah Rock et de Daliah Kentges comme conseillères. Elles ont surtout participé à la programmation de la soirée Monolabo, réservée aux talents émergents (samedi 15).
Lors de la soirée Monolabo de l’année dernière, Dans le silence des ondes d’Oumarou Aboubacari Bétodji (dit Béto), avec le musicien Ablassé, fut un des moments les plus forts, les deux hommes racontant le parcours migratoire d’Afrique noire vers l’Europe d’un point de vue africain. Donc sans cette consternation avec laquelle beaucoup d’intellectuels et d’artistes européens embellissent la traversée du désert et de la Méditerranée, mais avec toute la violence crue qui est celle des passeurs véreux et celle de la peur existentielle sur l’arrière d’un pickup traversant le désert. « Nous avons le choix entre crever ici ou là-bas… » Béto vient du Niger, pays qui sera à l’honneur du festival 2019, avec la suite de Dans le silence des ondes et J’appartiens au vent qui souffle de Jean-Marie Piemme. Ce deuxième monologue est celui de l’actrice nigérienne Aminata Abdoulaye Hama, qui raconte son difficile parcours jusqu’à une formation professionnelle à l’Insas à Bruxelles, surtout pour avoir les papiers nécessaires. Et comment, par la suite, on a voulu lui interdire de jouer Penthésilée parce qu’une reine des Amazones ne peut pas être noire (Marvellous things happening in… Niger : samedi 8 juin à partir de 19 heures).
Ce dimanche sera l’occasion d’assister à une des performances spectaculaires de l’artiste plasticienne Sophie Jung, Paramount VS Tantamount, créé l’année dernière au Centre culturel suisse à Paris. Sophie Jung, toujours accompagnée par son partenaire Peter Burleigh, y incarne cinq personnages différents, qui se répondent et fusionnent. La fille de l’acteur André Jung est une performeuse complètement déroutante, qui écrit ses propres textes et crée aussi les décors – qui, dans les musées, font aussi fonction d’expositions (dimanche 9 juin à 20 heures).
Dernière recommandation de ce début de festival : l’aussi fidèle qu’excentrique Martin Engler, une des chevilles ouvrières du festival, présentera Si je ne m’abuse, un spectacle autour de Norbert Jacques et son célèbre Docteur Mabuse (lundi 10 juin à 20 heures). Engler étant toujours au four et au moulin pour garantir une ambiance festive, il jouera cette année avec une grande formation musicale – comprenant entre autres Ralph Hufenus, Matthias Trippner et Emma Lily Karier, plus des invités – des concerts en live après les spectacles. Histoire de célébrer la première décennie du petit festival en beauté.