D’expérience, Passages ne badine pas avec l’excellence de ses pièces, à coup sûr c’est une gifle culturelle ou, au mieux, une étonnante fracture visuelle. Cette année a été particulière, laissant planer une drôle d’incompréhension dans certains choix et, en même temps, un profond respect face à cette direction artistique. Un mélange incongru qui se confirme sur la deuxième semaine de festivité qui, tout de même, nous a emportés et conquis (pour la première semaine, voir d’Land 20/19).
La deuxième semaine du Festival s’ouvre, pour nous, par Les verdicts guyanais. Une pièce de théâtre en création pour le festival qui accuse d’innombrables lacunes. Après le mitigé Babel Guyane, on retrouve à nouveau Roberto Jean, cette fois-ci en tant que metteur en scène et comédien, dans ce spectacle raté de bout en bout. On y trouve certes de bonnes intentions, celles de raconter son parcours, ses périples, ses réussites, mais, la pièce, en plus de sonner faux, donne à voir un fond et une forme sans aucune consistance. S’interroger sur ses racines, son identité, est tout à fait louable, pourtant, Les verdicts guyanais ne constitue pas encore le spectacle qui répondrait à ces problématiques. La langue est anodine, l’écriture scolaire, sans véritable force, quand la mise en scène, calée sur des « rebondissements » foirés, est un bordel d’inutile offrant des vidéos-projections illustratives n’apportant rien au discours.
On avait pressenti que ce Robyn Orlin allait nous taper dans l’œil. Au-delà de nos espérances, And so you see our honourable blue sky and ever enduring sun… Can only be consumed slice by slice est un rare chef d’œuvre (vu il y a deux ans au Kinneksbond à Mamer, ndlr.) et son titre – sorte d’élégie mystique – en dit long. Albert Khoza, unique protagoniste de cette pièce, trône littéralement sur scène. Entre malice et énergie, ce personnage androgyne, reine du soir, use de son corps imposant, transformé et moqué, pour raconter une histoire se déclinant autour des sept péchés capitaux. Performeur, acteur et danseur, venu d’un autre monde, Khoza est un véritable sorcier nous embarquant dans un rituel d’envoutement… Ce que Orlin nous offre c’est une créature curieuse voire hallucinée qui bouscule autant qu’elle touche.
Le lendemain, Monstres/On ne danse pas pour rien, signé du danseur et chorégraphe DeLaVallet Bidiefono, nous a complètement époustouflé. Une création pour huit danseurs, trois musiciens et une performeuse, qui, sans chichis, rentre très vite dans le vif du sujet. Des portes de la Grande Salle de l’Arsenal jaillit déjà une fumée blanche, à peine assis, elle remplit déjà le volume, nous plongeant d’entrée dans un monde à part. Ça tousse dans le gradin, l’air est obstrué, puis, dans l’ombre, quelqu’un rentre sur scène, engageant quelques pas de danse qu’on devine d’Afrique. Logique, la Compagnie Baninga nous vient de Brazzaville, en République du Congo. Là-bas, danser c’est faire acte de résistance, nous dit-on. Se décline donc de l’imaginaire du chorégraphe une pièce en fusion, bourrée d’une sorte de mythologie africaine et saupoudrée d’une esthétique à la Mad Max. Devant un enchevêtrement de poutres métalliques, de structures échafaudées et imbriquées les unes aux autres, on suit, nos yeux exempts du moindre clignement, une troupe aux danses énergiques, aux musiques alternatives entêtantes et aux mots forts de sens.
Plus décevant, Tandem – Terra Patrum s’est révélé plus alambiqué que prévu. En introduction, on nous donne un livret du conte source de la pièce, écrit par Gregor Koppenburg, Thomas Gourdy, Nicolas Marchand. On nous explique aussi qu’une voix off, « celle de Dieu », contera en anglais et que des sous-titres traduiront les tirades en Allemand… Déjà un trop plein d’éléments qui ont du mal à s’associer, en plus du fait que – sans jouer les divas – on est foutrement mal assis sur ces gradins taille enfant, joyeusement survendus. Pourtant les deux comédiens, sont bons. Dans le texte, ils sont demi-frères inconnus, héritiers de leur père décédé, l’un Français opportuniste, l’autre apatride de l’Est, adopté et élevé en Allemagne, à Schwieck, lieu de rencontre de ces deux-là. Incapable de communiquer, sans même faire l’effort de se comprendre, les deux personnages livrent un récit sordide de contradictions culturelles qui nous a difficilement touché.
Enfin le Quatrième mur, joué à l’Espace Bernard Marie Koltès, en clôture du Festival, a définitivement scellé notre avis sur cette édition du Festival. En adaptant au théâtre le roman de Sorj Chalandon, Julien Bouffier donne à voir une vision brutale, triste mais sublime d’une histoire tragique de faits réels. Verni d’un casting magnifique, la quête de cette pièce pourrait se résumer par cette phrase : « à quoi ressemble un druze ? Une Palestinienne ? Un chiite ? Un phalangiste ? Un Sunnite ? Un maronite ? ». Sans réponse, nous sommes au final face à notre point de vue qui a bougrement vrillé depuis ce spectacle.
Avec 89 pour cent des places occupées, une hégémonie critique positive et de surprenantes découvertures, cette édition 2019 de Passages est finalement une belle réussite. Même si la qualité variable des spectacles, de l’amateurisme au véritable « chef d’œuvre », nous a complètement tourneboulés, il faut bien admettre que le festival reste une référence en la matière. Certes, une certaine ère est révolue, Passages est mort, mais tant pis, vive Passages !