Reprenons le catalogue de l’exposition Robert Brandy au Musée national d’histoire et d’art, encore ouverte jusqu’au 28 novembre prochain. Pas moins d’une vingtaine de pages y sont consacrées à la question de l’indépendance de l’artiste, plus exactement à sa situation professionnelle. Comment Robert Brandy a été le premier artiste professionnel à Luxembourg, tel est le propos de l’autrice Jamie Armstrong, comment dans l’histoire de l’art dans notre pays des choses ont changé à partir des années 70 et 80. Pour aboutir à la toute fin du siècle à la loi du statut de l’artiste. Un aspect peut-être pointu, mais signifiant, et une étude approfondie, reposant sur de nombreux documents, des textes et des témoignages très divers.
C’est un exemple, il en existe d’autres, comme le regard jeté par Edmond Thill sur le groupe « Initiative 69 », Art et contestation…, texte paru dans le no 2 de la revue Arts et Lettres. Les deux disent l’absolue nécessité d’un matériau sur lequel historiens et critiques peuvent travailler. La création du « Lëtzebuerger Konschtarchiv » va dans le même sens. C’est le nom donné à cette future institution dans le projet de règlement grand-ducal approuvé par le conseil de gouvernement et qui désormais suivre la voie législative, à commencer par la soumission à l’avis du conseil d’État. Et conséquemment, jusqu’à son aboutissement et son vote, est susceptible de modifications.
Les dernières années, on se rappelle, les discussions, si elles révélaient l’accord sur la nécessité d’un pareil centre de documentation, portaient plus, et les avis s’opposaient, sur une soi-disant galerie d’art luxembourgeois (naguère on n’hésitait pas à employer un autre qualificatif). On se souvient encore qu’il avait été longtemps question de la situer dans l’ancienne Bibliothèque nationale (qui est aussi l’ancien Athénée), mais d’autres affectations (le déménagement du Tribunal de commerce) ont pris le dessus. L’idée de la galerie nationale n’a pas été abandonnée, réapparaît dans le texte, où en bout des missions du centre, il est noté d’en préparer la mise en place. Attendons donc.
Les autres points s’avèrent plus urgents, où il est question de documentation propre, de recherche et d’activité scientifique en général ; le développement d’un dictionnaire, ça se discute. Mais une décision est d’ores et déjà prise, le centre sera rattaché au Musée national d’histoire et d’art, la direction sera la même, le financement sera assuré par des crédits budgétaires dans le cadre de la dotation annuelle du MNHA. Pour l’année 2022 et les deux années suivantes, elle s’élèverait à 200 000 euros par an.
Le rattachement peut faire sens, des centres analogues à l’étranger connaissent des statuts divers : la Bibliothèque Kandinsky, par exemple, fait partie du Centre Pompidou, les Archives de la critique d’art sont liées à l’université de Rennes, d’autres sont autonomes. Dans la situation actuelle, où aucune réflexion n’a jamais été faite sur la coexistence du MNHA et du MUDAM, le premier semble donc s’orienter encore plus vers le local ou national (disons que c’est tendance), ce qui n’empêche pas qu’il collectionne et expose des artistes (vivants) étrangers. Des œuvres de Imi Knoebel par exemple, on en a au arché-aux-poissons comme au Kirchberg.
Dans l’exposé des motifs, le texte du projet fait référence à l’Archiefbank Vlaanderen ainsi qu’à l’Institut für aktuelle Kunst de Sarrelouis. Sans doute par un bon esprit de modestie. Il n’est pas interdit cependant de regarder ailleurs, vers plus grand que soi. Notamment pour une distinction des fonds (documents réunis par un producteur) et des collections (réunion artificielle). Voire les dossiers d’artistes, au nombre de 13 000 à la Bibliothèque Kandinsky, constitués de typologies documentaires extrêmement variées. Le moment viendra plus tard sur les conditions de consultation.
Les Archives de la critique d’art qui comprennent près de 500 fonds d’écrits, donnent un ensemble impressionnant d’imprimés et d’archives de plus de deux kilomètres linéaires auquel s’ajoutent des ressources numériques (le défi de demain). Là encore, dès maintenant, il y a urgence à réfléchir à une question qui risque de devenir épineuse, a fortiori dans un petit pays : quels fonds et quels documents accepter ; à Rennes, les candidatures à l’ouverture d’un fonds d’écrits doivent être validées par un comité scientifique et culturel.
Sans les précautions nécessaires, il faut s’attendre à de belles joutes. À l’abandon de l’ancien Athénée, et au choix de Dudelange (sur le site Neischmelz) pour le centre et la galerie à créer, déjà, le nord du pays s’est estimé mal traité. Par la voix d’un député (André Bauler, DP), il a réclamé comme compensation autre chose, par exemple le dépôt national des collections publiques, plus une surface d’exposition. À chacun sa part du gâteau dans un espace qui devrait éviter l’éparpillement. De haut en bas, de gauche à droite, des infrastructures aux manifestations, des choix devront être faits, rigoureux, douloureux.