Trop oufs, les mecs ! Ils sont une bande de jeunes. . . Enfin, plus vraiment si jeunes, mais avec les mêmes bêtises dans la tête, les mêmes peurs et angoisses que des adolescents. Ils sont cinq copains, anciens ouvriers de chez l'Arbed, tous au chômage, et pour déguiser leur échec en réussite, ils ont fondé une sorte d'association sans but lucratif, le «Club des chômeurs», avec un cahier de charge très strict pour tous les membres. Ainsi, il est interdit de travailler, de chercher même un boulot, tout l'argent qu'ils gagnent doit l'être au noir, parvenir des caisses de l'État ou de la petite délinquance. Ils boivent «au chômage!» et ont pour litanie de répéter tous ensemble: «ceux qui n'y sont pas ne le doivent qu'à eux-mêmes!»
Le Club des chômeurs, le nouveau film d'Andy Bausch, dès aujourd'hui dans les salles, est une comédie sociale, populaire et foncièrement luxembourgeoise. De celles dont le réalisateur de Troublemaker a le secret. Son film joue en 2001 dans la Minette luxembourgeoise, mais en fait, il est intemporel, il joue dans un espace-temps quasi abstrait et baigne dans la nostalgie d'une sorte de loubardise perdue, de la grandeur déchue d'une région industrielle, ses bars, ses cinémas. . .
Une des premières grandes réussites du film sont ses costumes (Ulli Kremer) et ses décors (Axel Werner et Sybille Spindler), soignés jusque dans le moindre détail - les hauts-fourneaux en arrière-plan, la salle de répétition de l'harmonie de Differdange, le cinéma dans lequel travaille Petz (Christian Kmiotek), les intérieurs des bars et des maisons, le sticker «ech bremsen och fir de Grand-Duc!» sur une des voitures tout y prête à observation, à sourire. Et la belle bande originale de Serge Tonnar n'a pas peu de mérite dans la création d'une ambiance chaleureuse.
Dans les films d'Andy Bausch, on croise tous ceux qui font le Luxembourg: une équipe du CNA qui vient faire un documentaire sur les friches industrielles, Maurice Molitor qui dit les infos à la télévision, Jhemp Hoscheit en directeur de l'Adem, Luke Haas an chef d'orchestre de la fanfare locale dans laquelle il compte des musiciens comme Jitz Jeitz ou Georges Kass, même Camillo Felgen qui joue un curé, Paul Thiltges en employé de la Spuerkeess ou Paul Philippe en Paul Philippe. Le Sud, c'est la «banlieue rouge» du Luxembourg, dans Le Club des chômeurs, les gens lisent le tageblatt, militent à l'OGB-L ou dans la POSL. Or, nos héros à nous n'y croient plus vraiment, «aussi longtemps que nous avions la poussière rouge dans la ville, nous allions bien,» se rappelle Abbes (Fernand Fox), mais aujourd'hui, tout a changé.
Pour situer et promouvoir le film, le réalisateur ainsi que le producteur - Iris Production, la boîte de Nicolas Steil - aiment à le rapprocher de Ken Loach, des comédies sociales anglaises, Brassed off et autre Full Monty. C'est peut-être mettre la barre un peu haut - même si la production d'Andy Bausch est elle aussi très low budget (22 jours de tournage seulement) - mais ce qui est sûr, c'est que le public y trouvera les mêmes éléments d'identification.
Et pour le côté «spectacle», il y a un casting absolument fabuleux, non seulement du côté des noms d'acteurs et d'actrices qui ont pu être engagés pour le film - un véritable Who's Who des grands talents du Luxembourg - mais aussi et surtout du côté de la distribution. Et c'est la deuxième grande réussite du film. Où on apprend qu'Andy Bausch n'aime pas seulement le Sud, ses histoires et ses personnages, mais qu'il aime aussi les acteurs. S'il y a forcément Thierry van Werveke en Jérôme/ Geronimo, héros principal, toujours aussi maladroit qu'en Johny Chicago, on découvre par exemple aussi Myriam Muller en Angie, fonctionnaire bien stricte et chiante à l'Administration de l'emploi, comme un contre-emploi qui lui réussit bien. Ironiquement, elle sera l'élue du coeur de Jérôme, ce qui ne facilite pas la lutte de ce dernier pour rester au chômage.
Mais on découvre aussi une Marja-Leena Junker en ancienne Miss Minette merveilleusement déglinguée, alcoolique et méchante avec son mari qui l'adore, Frunnes (Marco Lorenzini, nettement plus décontracté qu'ailleurs). Luc Feit est à mourir de rire en héros des concours de simulations de guitare et André Jung s'adonne à coeur joie aux descriptions détaillées des accidents du travail, jadis, à l'Arbed, lorsque ses collègue se faisaient arracher qui un doigt, qui une jambe.
Tout cela dans une ambiance de franche camaraderie, où on a l'impression d'assister véritablement à un de ces Stamminee que les Luxembourgeois adorent. À la télévision, Andy Bausch dira d'ailleurs que pour lui, Le Club des chômeurs est avant tout un film sur l'amitié de ces cinq gars au ban de la société, une amitié qui ne survivra pas, la comédie vire à la tragédie.
Du Stamminee, le film a toutefois aussi certains désavantages, la vulgarité des dialogues parfois, des expressions et locutions pas toujours politically correct aussi (scénario et dialogues : Andy Bausch et Jean-Louis Schlesser). Et les critiques qui n'aiment que le cinéma de Cannes et de Berlin vont y chercher les « bauschismes », les personnages dont la psychologie n'est pas assez approfondie, une dramaturgie bâclée, des histoires secondaires qui s'arrêtent abruptement, sans raison autre qu'un élagage au montage, une fin ratée.
Mais tant pis pour eux. Car Le Club des chômeurs est tout simplement une comédie, une déclaration d'amour à la Minette et à ses habitants, au rock'n'roll, aux indiens, au cinéma et à ses spectateurs, Si on n'attend rien d'autre que du divertissement et du plaisir à s'identifier et à reconnaître, on passera un excellent moment de cinéma. Et en rira aux larmes.
À l'occasion de la sortie du film (à l'Utopolis), Paul Thiltges Distribution édite un livre avec le scénario, des entretiens avec les acteurs, le réalisateur etc ainsi que les photos d'Erich François ; prix : 15 euros en souscription, 18 euros dans les librairies ; ISBN 2-919933-98-1. Peut être commandé dès maintenant chez PTD, 23, val fleuri à L-1526 Luxembourg ; téléphone : 447070-600 : fax : 25 03 94 ; e-mail : paul.thiltges@vo.lu