C’est une image forte que ce tribunal londonien, cette salle d’audience toute en boiseries et hauts murs, où les visages ne sont jamais tranquilles. Et puis, cette femme qui arrive, tailleur strict, talons hauts, pour rendre la justice. Personne n’a tué personne, on y parle droits des enfants, familles abîmées, les arguments s’opposent et enfin la présidente rend son jugement. Fiona Maye (Emma Thompson) est en apparence aussi imperturbable que les procès délicats qu’elle instruit. Pourtant, dès le premier plan, la blessure est ressentie, elle brûle doucement, dans le dos tourné, la lassitude, puis plus tard, dans les débuts de conversations avortées avec son mari Jack (Stanley Tucci) : Fiona n’est pas que cette figure inébranlable et confiante. Sa vie privée l’oblige à vaciller, à tâtonner. Le contraire de ce qu’on lui demande dans ce nouveau procès, où un hôpital veut obliger les parents d’un adolescent à accepter la transfusion sanguine qui le sauverait. Témoins de Jéhovah, le couple, comme leur garçon, refuse ce traitement qui va à l’encontre de leurs croyances. Fiona prend alors la décision d’aller rendre visite au jeune patient et fait finalement primer l’intérêt de l’enfant en statuant en faveur de l’hôpital. Quelques mois plus tard, alors que son couple a explosé, Fiona reçoit la visite du jeune Adam (Fionn Whitehead), désormais en rémission, qu’elle semble avoir beaucoup influencé. Mais alors qu’elle cherche à s’en distancier, protégeant ainsi son travail et sa vie privée, Adam s’accroche, persuadé qu’il doit son salut à cette femme en tailleur strict et talons hauts.
Pilier de la BBC de la fin des années 90 et prolifique réalisateur d’adaptations classiques pour la télévision, Richard Eyre aime les actrices: après avoir fait tourner Judi Dench et Cate Blanchett, il a fait appel à Emma Thompson pour le rôle de cette brillante magistrate dans son nouveau long-métrage, The Children act. Dénommé My Lady, le titre octroyé à son statut, ce personnage féminin est ausculté dans tous les plans, passant du doute à l’assurance, touchée dans sa dignité ou accomplissant les gestes familiers de son métier. Emma Thompson donne une profondeur à cette femme dont les détails intimes apparaissent en filigrane de ses jugements, comme sa passion pour la musique ou l’absence d’enfants. Dans un registre maîtrisé et une direction finement travaillée, la performance est remarquable. En face d’elle, la fougue du jeune acteur vu l’an dernier dans Dunkirk de Christopher Nolan et le flegme habituel de Tucci ne dépareillent pas.
Pourtant, cette présence ne parvient pas à insuffler au film une passion quelconque. Retenue par un académisme qui confine à la froideur, la grammaire cinématographique de Richard Eyre ennuie rapidement, trop statique pour inspirer la moindre émotion. Ian McEwan, qui a lui-même adapté son roman basé sur les chroniques d’un juge, semble avoir effacé toute forme de passion chez son personnage : le procès n’apparaît que comme un prétexte pour étirer la rencontre de deux êtres que tout oppose. Le scénario, comme la mise en scène, joue avec l’idée que la justice remplacerait Dieu en décidant du sort de l’enfant : un postulat de départ fort intéressant mais vite délaissé pour le mélodrame et les tourments redondants. Même coup de balai sur les pistes amorcées sur la question de la dignité et du sens des croyances, malgré les dispositifs narratifs mis en place autour du procès.
Jamais manichéen, le film évite tout autant de porter un jugement sur son personnage principal : ainsi, Fiona se permet quelques larmes, mais la dernière séquence la montre telle qu’à son point de départ, niant toute forme d’évolution. The Children act, de par son synopsis et sa bande annonce, se voulait profond, pourquoi pas philosophique, en tout cas engagé : il n’en ressort qu’une démonstration un peu vaine sur la dualité d’une femme de pouvoir qui voit son mariage s’effriter.