La Kulturfabrik semble n'avoir jamais cessé d'être un lieu actif depuis les temps étranges où elle se faisait squatter. Si bien que, riche de ses évocations historiques et d'un rôle très souvent singulier dans les domaines artistiques, elle s'occupe de répondre à certaines attentes et il n'est pas étonnant de voir les animateurs de la vie culturelle profonde du Luxembourg et les extravagants marginaux se retrouver avec plaisir à la Kulturfabrik. Malgré tout, la salle doit encore se préoccuper de son existence: René Penning, le jeune et efficace programmateur de la Kufa affirmait encore en novembre dernier que les travaux de mise aux normes avaient décalé beaucoup de manifestations et que la venue du nouveau directeur Serge Basso de March et l'attente des nouvelles subventions obligeaient à reculer toutes prévisions de nouveaux projets pour janvier 2003.
On ne pouvait donc que se réjouir à l'annonce du festival Sonic Faces, les 19, 20 et 21 décembre dernier, perdu au milieu des désastreuses animations de Noël (habituels marchés de Noël et petits concerts «guimauves»). Et lorsque, dès la gare d'Esch, sur le quai, quelques zouaves bariolés s'échangeaient des sortes de sourires en coin, en communautés de styles qui se saluaient, nous pouvions déjà repérer ceux qui allaient à l'abattoir (le fameux Schluechthaus), les meilleurs espoirs conçus dans l'attente devenaient des soubresauts d'impatience. Tous ceux qui ne voulaient rien avoir à faire avec l'indéfectible magnanimité de la boite passe-droits exclusive, voulant enfin pouvoir partager quelques brins de folie ensemble sans se ruiner et sans règles élitistes, semblaient donc se donner rendez-vous pour un de ces trois jours de festival.
Ainsi les oiseaux du rock habillés de tous les préjugées recyclés allaient fêter l'anniversaire de Radio Ara (le dixième) et la famille du rock luxembourgeois. Car en effet le festival présentait seize groupes et seulement deux étaient étrangers, soit principalement une sélection de goût des groupes du pays les plus actifs, références dans leurs genres respectifs.
La scène avait été montée dans la grande salle contrairement à l'année dernière, la buvette sur la gauche de l'entrée de la salle pour faire d'abord les provisions puis ensuite s'avancer dans la petite foule un peu clairsemée. La petite salle accueillait les stands de ventes de disques, le stand d'Attac et celui de Greenpeace. Ainsi il s'agissait de la disposition désormais classique pour les grands concerts à la Kulturfabrik. Les moyens techniques étaient idéaux, les éclairages parfois impressionnants avec les effets des projos motorisés ou avec les ancestraux effets au sol de contre-jour et de faces pour dessiner d'étranges silhouettes ou de grandes ombres, et malgré la distribution de boules Quiès à l'entrée, la sono était très bonne.
Il s'agissait dès lors de se défaire de toutes les appréhensions conçues d'un pessimisme sur la création musicale luxembourgeoise. Et dès le premier jour, dans la soirée du jeudi, «post-rock et bricolage», les trois groupes luxembourgeois Tvesia, Actarus et Balboa distillèrent une musique instrumentale digne de la scène internationale, un peu plus personnelle que de simples hommages à Mogwaï ou Shellac. La salle semblait partagée entre quelques connaisseurs, des amateurs du genre et les curieux. Puis la tête d'affiche de la soirée, véritable curiosité liégeoise du dénommé Redboy (le nom du groupe: My Little cheap Dictaphone) finit cette première soirée de chauffe.
La soirée du vendredi fut nettement plus dense, il fallait jongler entre la programmation dans la grande salle et le Kinosch où se déroulaient des diffusions de courts métrages et des concerts brefs du style Nequi:bo (noise dream pop) et Schweinepest (electronic punk wave). Dans la grande salle, quelques jolies pointures déjà connues: les punk de Petrograd ou L'ego (indie rock) et puis des newcomers (comme on dit ici), les funcky rockers d'apparence gothisante: Myien, qui techniquement ne sont pas trop mal.
La dernière soirée fut pleine d'énergie des The Poshbokes dont les fans étaient nombreux. Ils étaient bien chauds pour gigoter sur The last millenium suckers. Puis une bonne partie des festivaliers firent une pause pendant Kitshickers, malgré leur excellent mélange de garage et soniquerie. La réputation d'Orange Squad ne suffisait à entraîner les hordes de pogoteurs dans de grandes mêlées, juste une partie de la salle écouta leur rock de camionneur.
Enfin tout le monde était frais pour les très fameux Toxkäpp! Bourrés de la bonne énergie du ska et des francs dictons du groupe politisé. La fin a fait redescendre la tension, elle a même eu tendance a bercer dans un son ska plus adulte, moins détonnant mais pas moins bon, les français de Rude Boy System commencent à devenir les vieux sages du ska. Enfin voilà, sans trop exagérer, une troisième édition du festival Sonic Faces s'impose pour la fin de l'année prochaine, tous ceux qui y ont goûté, ont vraiment aimé.